
De Walter White à Heisenberg
Cet article est susceptible de comporter de légers spoilers.
Walter White est-il devenu, au fil des saisons, une ordure finie, un monstre sans morale ? A-t-il mit de côté son humanité toute entière pour mener à bien ses projets ? Est-il devenu son alter-égo, le terrifiant Heisenberg ? Où l’était-il depuis le début ?
Le débat est ouvert. Il animait même la salle d’écriture de la série. Le scénariste Thomas Schnauz est revenu sur le sujet dans Time Magazine pour donner son opinion, selon laquelle Heisenberg est une partie intégrante de la personnalité de White (1). Vince Gilligan dit aujourd’hui détester Walter White, le comparant à Darth Vader. Peter Gould, pour sa part, considère que la personnalité d’Heisenberg est disparue à la mort de Hank. Pas dans la salle d’écriture et pourtant intéressé, Damon Lindelof ira jusqu’à comparer Walter White et Bruce Wayne, Heisenberg et Batman (ce qui ferait de Jesse : Robin. Pas de bol, décidément). Cela fait d’Heisenberg le vrai personnage, et de Walter White le camouflage.
Retour en arrière, saison 1. Walter White vient d’apprendre qu’il a un cancer incurable. Sa vie est pourrie : il est prof de chimie dans un lycée de moyenne stature et il travaille à temps partiel dans un car-wash. Il a aussi, à cause d’une histoire d’amour, retiré ses billes d’un projet industriel qui pèse aujourd’hui des milliards. Il aurait pu, dû, être considéré comme un génie de l’industrie chimique. Il est loin du compte.
Décidé à laisser assez d’argent à sa famille, il va prendre une décision sur un coup de tête (pas la première ni la dernière) en assistant à une descente de la brigade anti-drogue : il va préparer des amphétamines. Et le jeune Jessie Pinkman s’occupera de la revente. Le duo fonctionne très bien au début, ne se mettant qu’eux-mêmes en danger. Ca ne durera pas.
Car Walter White va progressivement prendre goût à la situation. Si Walter White est ce gentil beau-frère qui ne fait pas un bruit plus haut que l’autre, s’il est un père aimant et un mari dévoué, cet état de fait ne lui convient pas. Walter White aime diriger. Aime être le meilleur. Il aime être craint. Et ça ne date pas d’aujourd’hui.
Dans une scène de flashback en saison 1, on voit un jeune Walter White, filmé à contrejour, discourir du poids de l’âme avec sa petite amie de l’époque. Il y est montré debout et elle assise. Même à contrejour, il est magnétique, imposant, et pue l’arrogance. Il assoit sa supériorité, son intelligence extrême. Ce qu’il réalise avec Heisenberg, c’est ce qu’il a échoué à réaliser avec Grey Matter.
Grey Matter était donc une entreprise, montée au départ entre lui et son ami Elliott Schwartz. Quand ce dernier lui pique sa petite amie, il réagit au quart de tour et quitte le projet. Par pur égo, il va tourner le dos à l’affaire du siècle. L’égo de Walter est tel que lorsque le même Schwartz, en saison 1, alors que Walt a déjà eu l’occasion de mesurer le danger de devenir un dealer, lui propose de prendre soin de lui et de sa famille, Walt refuse.
Heisenberg n’est pas juste son alter-égo, c’est le surnom que porte son égo. Walt veut y arriver seul, ne dépendre de personne. Il veut être respecté, craint. Il veut marquer les esprits, devenir une légende. Et de fait, il va perdre ses amis, sa famille, provoquer la mort autour de lui de façon directe, mais aussi indirecte (oui, la méthamphétamine est l’une des drogues les plus dures du marché).
Jusqu’au bout, Walter White sera consistant. La part d’humanité décelée en début de série est toujours présente. Mal dirigée, étouffée un temps par l’ambition, mais toujours présente. Il veut aider Jesse, même si, pour ce faire, il va ruiner sa vie en la contrôlant. Il aime sa famille et veut leur laisser quelque chose. Il aime son beau-frère mais veut le laisser à l’écart.
Walter White pense presque jusqu’au bout que, oui, il peut s’en sortir sans faire souffrir les autres. Du moins, ceux qui comptent pour lui. Il est certain de faires les bons choix, d’être le gentil de l’histoire. Le résultat est un désastre. Il lui faudra tout perdre pour réaliser la situation et arrêter de se voiler la face. Il le fera devant sa femme, avec une honnêteté désarmante.
Walter White est un génie du crime. Un manipulateur, un improvisateur de talent. Capable de se tirer des pires situations grâce à un intellect supérieur. Il restera aussi dans les mémoires comme un type impulsif, capable des pires décisions. Et comme un monument d’égo voué dès les premières heures à s’effondrer.
(1) : qui rejoint la mienne, ça tombe bien
Tout à fait d’accord avec cet article qui montre le réel enjeu de la série. J’en ai marre de voir sur Twitter la mini-BD qui explique que Breaking Bad ne pourrait se dérouler qu’au US à cause de la non prise en charge de la maladie par l’État. Premièrement il veut d’abord se laisser mourir et ne pas prendre le traitement et deuxièmement il veut surtout assurer le futur de sa famille (même si ce but fini par passer au deuxième plan). Même en France où la couverture santé est conséquente, l’État ne te donnera pas 767 000 $ pour tes enfants après ta mort.
Voilà fallait que ça sorte ^^
Le meme article pour Vic Mackey?
Je ne suis pas sûr que « De Vic Mackey à Heisenberg » fonctionne aussi bien.
Article très intéressant. J’ajouterai qu’il y a néanmoins un côté un gauche, un peu naïf chez Walter White dans l’apprentissage des affaires, avant sa nomination de plus grand dealer du Nouveau Mexique. Et cela le poursuivra toujours un peu. Il possède une très grande intelligence, c’est un très grand manipulateur et pourtant, parfois (comme l’implication toujours plus grande des Néo-nazis qui allait forcément mal tourner), il va prendre la mauvaise décision, une décision que la raison aurait dû l’empêcher de prendre.
J’aime beaucoup la lecture que tu fais du flash-back de la 1ère saison. Démontrer que Heisenberg a toujours été en Walter. Ce rapport quasi schizophrénique va peut-être justifier ce côté naïf. Comme si le maladroit Walter arrivait à corrompre le perfide Heisenberg. Comme s’il y avait une lutte constante des deux personnalités…
« Quand ce dernier lui pique sa petite amie, il réagit au quart de tour et quitte le projet. »
Je suis pas completement sur de moi, mais je crois que vous tirez une conclusion un peu rapide ici. De mémoire, la raison du départ de Walter de la société n’a jamais été expliquée, et je crois encore recement avoir lu que c’etait volontaire de la part des scénaristes, pour laisser une part de mystere au personnage.
Heisenberg n’est pas juste son alter-égo, c’est le surnom que porte son égo.
Félicitation magnifique formule.
Bon, eh ben j’en connais une qui va se mettre à Breaking Bad…