Deauville 2014 : Get on Up

Deauville 2014 : Get on Up

Note de l'auteur

Get-On-Up-AfficheAprès avoir produit Les Doors d’Oliver Stone en 1990, puis 8 Mile avec Eminem en 2002, Brian Grazer s’attaque à un nouveau film musical avec Get on Up (en salles depuis le 24 septembre), qui retrace le parcours mouvementé du titan d’airain James Brown. Fan du Sex Machine Man, le funkateer Mikanowski a-t-il mis un genou à terre devant ce biopic, en signe d’adoration ?

Le 12 septembre dernier, au Festival de Deauville, nous avons assisté, Plissken et votre serviteur, à l’hommage décerné au producteur américain Brian Grazer, qui œuvre dans le cinéma depuis près de quarante ans (après le succès de Splash, son ami et associé, l’acteur-réalisateur Ron Howard, a fondé avec lui la société Imagine Entertainment en 1986).

Alors qu’il mettait les dernières retouches à sa superproduction Heart of the Sea avec Chris Hemsworth (Thor), l’histoire vraie du naufrage de l’Essex, un baleinier qui a inspiré à Herman Melville l’écriture de Moby Dick (nous avons eu la chance de découvrir quelques images de ce film de Ron Howard), Grazer a reçu ce soir-là des mains du producteur Alain Terzian une récompense honorifique pour l’ensemble de sa carrière.

BRIAN GRAZER

Le producteur américain Brian Grazer.

Le producteur à la coupe de douille improbable (Javier Bardem s’est inspiré de sa coiffure dans Cartel de Ridley Scott) était surtout venu en Normandie pour lancer en grande pompe sa dernière production, Get on Up, biopic musical de James Brown, dont Grazer avait acquis les droits dès 1998.

Ce projet de longue date fut difficile à mener à bien en raison de nombreux problèmes juridiques liés aux ayants droit (la famille du chanteur, bien sûr, mais aussi les maisons de disques et labels discographiques détenant les chansons). Adoubé par James Brown lui-même, Spike Lee a longtemps été pressenti pour réaliser ce foutu biopic. Mais l’auteur de Malcolm X, qui a déjà collaboré avec Grazer sur Inside Man, a demandé un budget trop important au producteur, qui l’a écarté du projet. La mort subite de Mister Dynamite en décembre 2006, des suites d’une pneumonie, rend la gestation du film encore plus difficile (ses héritiers se déchirent autour de son testament), faisant passer le projet en mode stand-by.

Grazer propose alors au “chanteur d’un petit groupe de rock qui rouleˮ de rejoindre l’aventure : un jeune débutant répondant au doux nom de Mick Jagger ! Le leader des Rolling Stones, qui a rencontré James Brown pour la première fois dans les rues de New York en 1964, a en effet débloqué la situation en coproduisant le film.

Le Jag’ a donc déboulé, hilare, sur le tapis rouge de Deauville et foulé la scène du C.I.D. aux côtés de Brian Grazer pour s’exprimer dans un français impeccable face à un public déjà conquis. Drôle de voir à quelques mètres de nous cette légende du rock’n’roll qui, avec son air d’ado attardé et son corps mince et élancé, ne ressemble en rien à un vieux fossile de 71 ans. Alors que le service de sécurité était en alerte maximale, Mick a appelé sur scène “la vraie starˮ de Get on Up : Chadwick Boseman, qui a eu la lourde tâche d’incarner le Godfather of Soul à l’écran, à savoir Jaaaaaaaaames Brownnnnnn ! Natif comme le chanteur de Caroline du Sud, l’acteur afro-américain s’était fait connaître par un autre biopic (que Spike Lee a aussi failli réaliser) : l’inédit 42, sur le célèbre joueur de base-ball Jackie Robinson, géant des Brooklyn Dodgers et premier noir à avoir intégré la Major League au lendemain de la Seconde Guerre mondiale.

© photo David Mikanowski

© photo David Mikanowski

N’oublions pas la présence dans le grand auditorium du réalisateur (blanc) du film, Tate Taylor, qui s’est vu confier ce projet grâce au succès de son précédent long métrage, La couleur des sentiments (The Help, 2011). Un mélo avec Emma Stone qui nous replonge dans la détestable atmosphère de ségrégation raciale qui régnait dans le Sud des États-Unis, au début des années 1960. On retrouve d’ailleurs deux actrices de ce film – conspué par Spike Lee – dans Get on Up : Viola Davis (qui joue la mère indigne de James Brown) et Octavia Spencer (dans le rôle de sa tante Honey, qui tenait une maison close en Géorgie et l’a recueilli après son abandon par ses parents).

Lorsque Grazer, Jagger, Taylor et Boseman s’éclipsent sous un tonnerre d’applaudissements et que la lumière s’éteint progressivement dans le grand amphithéâtre, le logo Universal fait enfin son apparition et nous voilà parti pour une épopée américaine de près de 2h20 au son du génial Get Up Offa That Thing, à la rythmique époustouflante.

 get-on-up-biopic-movie-james-brown-trailer-bande-annonce-Chadwick-BosemanGet on Up débute en septembre 1988 au moment où James Brown, sous l’emprise de la drogue, débarque armé d’un fusil et d’un pistolet dans un séminaire d’assureur. Défoncé au PCP, le Soul Brother Number One se lance alors dans une longue course-poursuite avec la police et brûle un barrage routier au volant d’un pick-up truck, criblé de vingt-trois impacts de balles ! Au final, Brown écopera de six ans et six mois de prison. Il en fera plus de deux sous le matricule 155 413. Et sera libéré sur parole qu’au début de l’année 1991.

L’homme qui tirait à la Winchester dans les manteaux de vison de sa femme n’en était pourtant pas à son premier séjour derrière les barreaux. Comme va nous le rappeler le film, dès l’âge de 16 ans, JB est pris en flagrant délit de vol de voiture et fait un séjour de trois ans en maison de correction.

Kaboum ! On se retrouve soudain en 1968 au Vietnam où le screamer décide de donner un concert pour la 9e division d’infanterie (l’armée de terre des États-Unis). À bord d’un avion militaire pilonné dans les airs par les Viets, le Karajan Funk garde son cool et rassure les membres de son groupe, apeurés par les explosions. Une scène d’anthologie.

Flashback. Nous voilà désormais en Caroline du Sud dans les années 1930, au beau milieu de la Grande Dépression. Petit garçon élevé dans la pauvreté la plus crasse, James est abandonné à l’âge de quatre ans par sa mère alcoolique, qui délaisse également le domicile conjugal (une cabane délabrée dans les bois). Son père violent le frappe quand il s’entête à taper la mesure avec une petite branche de bois sur la table de la cuisine.

james-brown-get-on-up-movie-capOn va naviguer ainsi à travers différentes époques de la vie du chanteur de rhythm’n’blues. Le réalisateur Tate Taylor croit en effet contourner l’hagiographie en bousculant artificiellement la temporalité et en optant pour une construction éclatée. Le film, qui forme une sorte de kaléidoscope, n’en demeure pas moins scolaire, appliqué, voire d’un grand classicisme. Il n’y a vraiment rien d’original dans ce biopic très propre sur lui qui utilise, en prime, un procédé aujourd’hui dépassé : le regard caméra. Toutes les séquences où James Brown s’adresse au public en le fixant droit dans les yeux est à ce titre une bien mauvaise idée de mise en scène (n’est pas Ferris Bueller qui veut).

Pour le reste, Get on Up remplit le cahier des charges. Bien qu’un tantinet longuet, le film reste un honnête spectacle, ponctué de bondissantes séquences musicales (voir le fabuleux concert new-yorkais à l’Apollo de Harlem, en 1962. Ou le mythique live parisien de l’Olympia, en 1971, où James se lance dans une version démentielle de Get Up (I Feel Like Being a) Sex Machine, avec Bobby Bird en aboyeur de foire et l’infernal batteur “Jaboˮ Starks). Si Chadwick Boseman, coiffé d’une perruque pompadour, sait effectuer le grand écart, ses rugissements sont loin d’égaler ceux du véritable showman, qui entrait sur scène en transe. La sauvagerie de son chant est d’ailleurs inimitable. Et le magnétisme animal de Brown se suffit à lui-même. D’ailleurs, on ne se lasse pas d’écouter l’excellente BO du film, qui a exhumé un magnifique jump blues, enregistré en 1964 pour Smash Records, Caldonia.

En dehors du voyage au Zaïre pour le grand concert donné autour du match de boxe entre Mohamed Ali et George Foreman (un événement déjà traité dans le documentaire When We Were Kings en 1996, puis dans Ali de Michael Mann en 2001), le film couvre toutes les grandes périodes de l’artiste : on y découvre sa longue amitié avec son principal collaborateur et vocaliste Bobby Bird (joué par Nelsan Ellis, qui interprétait Martin Luther King dans Le majordome). Sa rencontre cruciale en 1955 avec son idole et modèle Little Richard dans une boîte de Toccoa (il lui piquera sa garde de robe et son jeu de scène). Mais aussi la formation de son premier groupe, The Famous Flames.

Son association avec Ben Bart, l’un des agents les plus influents du R&B (ce manager juif est incarné à l’écran par Dan Aykroyd, qui a connu le vrai James Brown en preacher allumé sur le tournage des Blues Brothers). On apprend aussi la mort de son fils aîné, Teddy, dans un accident de voiture en 1973. Et l’on croise enfin le saxophoniste ténor Maceo Parker (Craig Robinson), qui se rebella contre son boss, mauvais payeur. Un James Brown superbad, qui dérouillait à l’occasion sa seconde femme, “DeeDeeˮ (incarnée par la chanteuse Jill Scott). Seul le bassiste William “Bootsyˮ Collins manque à l’appel – même si son nom est évoqué brièvement par le performer quand il s’apprête à recruter ses fameux J.B.’s.

Alors voilà, le chanteur à l’égo démesuré, l’artiste le plus “sampléˮ de l’histoire par les jeunes groupes de rap, l’autoproclamé “The Hardest Working Man in Show Businessˮ, a enfin eu le droit à son long métrage. Était-ce vraiment nécessaire ? Indispensable ? À en croire les mauvais chiffres au box-office… pas sûr (sorti le 1er août aux États-Unis, Get on Up n’a seulement récolté que 30 petits millions de billets verts). À titre de comparaison, Ray, la bio du pianiste et chanteur noir Ray Charles, avait rapporté, il y a dix ans, 125 millions de dollars de recettes mondiales au même distributeur, Universal. Et Jamie Foxx avait, en prime, décroché l’Oscar du meilleur acteur pour sa performance époustouflante dans la peau du Genius.

Le grand public serait-il lassé des biopics ? Pas Hollywood en tout cas, qui prévoit de nous balancer bientôt celui sur Jimi Hendrix, All Is by My Side, avec André Benjamin (alias André 3000, du groupe OutKast). En attendant ceux sur Marvin Gaye, Stevie Wonder et Bob Marley. Si vous frôlez comme nous l’overdose, vous pouvez aussi rester chez vous à écouter les disques de ces messieurs en vinyle 180 grammes (le plus bel hommage que l’on puisse faire à ces artistes). Ou bien vous déplacer ce mercredi au cinéma pour un autre biopic, autrement plus audacieux : le singulier Saint Laurent de Bertrand Bonello avec Gaspard Ulliel.

Film de Tate Taylor (USA, 2014). 2h19. Avec Chadwick Boseman, Nelsan Ellis, Dan Aykroyd, Viola Davis, Octavia Spencer, Jill Scott, Craig Robinson. Sortie salles le 24 septembre.

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