
Découvrir… Twin Peaks (après tout le monde)
Annoncé cet automne, le retour de Twin Peaks en 2016 sous la forme d’une troisième saison a fait son petit effet chez les nombreux amateurs de cette série initialement diffusée en 1990-1991. David Lynch et Mark Frost retourneront même à l’écriture et Lynch à la réalisation. Pour moi qui étais totalement passé à côté du phénomène (j’avais 3 ans, merde !), c’était une bonne occasion pour m’adonner à un petit cours de rattrapage. Alors, Twin Peaks est-elle encore regardable 25 ans après ?
Ce que je pensais y trouver
Un scénario incompréhensible. Connaissant la propension du père Lynch à jouer avec le symbolisme, à brouiller les pistes, voire à transformer ses oeuvres en puzzles abscons – quitte à pommer quelques spectateurs en route –, j’avais une petite appréhension avant de me lancer dans Twin Peaks. Je ne suis pas près d’oublier la frustration ressentie après ma découverte du cryptique Mulholland Drive…
Finalement, si David Lynch n’a pas pu s’empêcher de glisser un brin de mysticisme dans son histoire, une poignée de scènes hallucinatoires (le géant et le nain…) et quelques zones d’ombres jamais totalement mises en lumière, Twin Peaks reste l’histoire d’une enquête de police. Une enquête pleine de ramifications et de fausses pistes, certes, mais une “damn good investigation”, maligne et passionnante de bout en bout.
Une ambiance mortifère. Plus d’une fois, je suis tombé sur des textes comparant l’atmosphère de telle ou telle oeuvre à celle de Twin Peaks (le tout récent jeu vidéo Life is Strange, par exemple). Je savais que la série parlait d’un meurtre sordide dans une petite ville américaine au milieu de nulle part, que j’imaginais enveloppée de brume, pleine de rednecks xénophobes et de vieilles bicoques croulantes.
En réalité, à quelques détails près (la forêt soi-disant maudite, le bar un peu creepy…), la petite communauté de Twin Peaks est loin d’être inhospitalière. On devine rapidement l’existence de quelques secrets enfouis et autres petits complots, mais la plupart des gens du coin s’apprécient et se serrent les coudes. Parfois très sombre ou même carrément flippante, la série regorge aussi de légèreté, d’humour et de personnages cocasses (nous y reviendront).
Les stigmates des années 80-90. Diffusée en 1990 et 1991, Twin Peaks commence sérieusement à dater. Et l’on sait que le poids des années peu être cruel, notamment à la télévision et au cinéma (au secours, le brushing de Linda Hamilton dans Terminator m’attaque !).
Capillairement parlant, aucun drame à signaler. Quelques personnages ont des toisons plus fournies que la moyenne – le shérif, la standardiste dans la station de police, la mère de Laura Palmer… – mais pas de quoi distraire le spectateur au point de lui faire oublier le reste de l’histoire. Ouf. Le jeu des acteurs, un peu excessif à l’occasion, n’a toutefois rien de rédhibitoire.
Ce qui a sans doute le plus mal vieilli, c’est la musique. Ou plus l’usage trop systématique des thèmes musicaux principaux (par ailleurs excellents et très caractéristiques de la série). Cela rend parfois ridicules certains moments censés être émouvants, tout en leur conférant paradoxalement un petit charme désuet.
Ce qu’on avait oublié de me dire
Une incroyable galerie de personnages. Toutes les meilleurs séries TV ont cela en commun et Twin Peaks ne fait pas exception. À commencer par le fabuleux agent du FBI Dale Cooper interprété par Kyle MacLachlan, futur “captain” d’How I met your mother. Excentrique (il enregistre toutes ses pensées sur un dictaphone pour une certaine Diane qu’on ne voit jamais), excellent flic (son instinct et sa vivacité d’esprit ne sont pas de trop pour résoudre le cas Laura Palmer), loyal (le shérif devient vite son best buddy) et curieux comme un gamin de 5 ans, Cooper séduit dès les premières minutes.
Évidemment, l’agent du FBI n’est pas seul. Rusé comme un renard, l’homme d’affaires Benjamin Horne n’est jamais à court d’idée retorses. Sa fille Audrey possède un charme magnétique et évolue de façon très intéressante. La tête à claques Bobby Briggs, amant secret de Shelly, finit même pas devenir attachant… La cocasserie ultime est peut-être à chercher du côté de l’agent transgenre Denise Bryson (David Duchovny !) ou de l’agent Gordon Cole qui hurle en permanence puisque sourd comme un pot (David Lynch himself !). Et j’en passe.
Des intrigues annexes à foison. C’est une des grandes forces de la série. Quand l’enquête piétine, il est toujours possible de se consoler avec les aventures secondaires vécues par les habitants de Twin Peaks. Étonnamment, presque aucune ne se déroule au lycée où étudient tous les amis de feu Laura Palmer… (sauf l’hilarante régression adolescente d’une femme mûre qui s’inscrit chez les cheerleaders) Il y en a pour tous les goûts : duel de femmes pour le contrôle de la scierie locale, duel d’hommes pour le coeur de l’excentrique Lucy, trafic de drogue à la frontière canadienne, épopée immobilière impliquant de sympathiques scandinaves… On ne s’ennuie pas à Twin Peaks !
L’irruption du fantastique (GROS SPOILERS). À la manière d’une partie de Cluedo grandeur nature, Twin Peaks déroule sa panoplie de personnages plus ou moins louches, les agite tel un marionnettiste, sème des indices ici et là, poussant le spectateur à deviner l’identité du tueur… Puis l’on découvre le visage de Bob, l’introuvable suspect n°1. Où te caches-tu, Bob ? Finalement, Lynch et Frost nous assène l’impensable vérité : Bob est un esprit pervers pouvant prendre possession des êtres humains et leur faire commettre les pires atrocités ! Terrifiant car insaisissable, Bob plonge le récit dans le fantastique… À moins qu’il ne s’agisse “juste” d’une métaphore des démons intérieurs qui sommeillent en chacun d’entre nous ?
Mon avis sur les deux saisons et le film
La série. De tailles inégales (7 puis 22 épisodes) et sans véritable séparation, les deux saisons sont inextricablement liées. Elles forment un tout cohérent qu’il me semble difficile de séparer. D’ailleurs, l’intrigue autour de la mort de Laura Palmer est résolue au cours de la saison 2 et laisse place à une seconde enquête majeure mettant en scène un ex-collègue de l’agent Cooper de retour pour se venger…
Souvent sobre dans sa mise en scène (scènes oniriques mises à part), Twin Peaks prend son temps pour dérouler son intrigue policière évidemment plus complexe que prévue. Bien que très intéressante à suivre et pleine de rebondissements, l’enquête se fait vite voler la vedette par les curieux personnages qui gravitent autour. Un fascinant portrait de petite ville américaine perdue entre montagne et forêt.
Si le dernière épisode apporte une bel et bien une conclusion, l’épilogue en queue de poisson pourra en frustrer quelques-uns. L’expérience vaut malgré tout la peine d’être vécue. Plutôt deux fois qu’une.
Le film. Sorti en 1992 au cinéma, Twin Peaks: fire walk with me est une préquelle évoquant l’enquête sur la mort de Teresa Banks et, comme son titre en français l’indique, les sept derniers jours de Laura Palmer.
Personnage mystérieux esquissé au travers des personnes qui l’ont (mal) connue, Laura Palmer est ici la vedette. Lynch met en image son addiction à la cocaïne, ses “flirts” multiples et sa terrible souffrance, puisqu’elle sait qu’elle va finir par se faire tuer.
Beaucoup plus sombre que la série (la plupart des scènes comiques sont à chercher du côté des 1h30 de scènes coupées présentes dans le BluRay de 2014), le long métrage s’apprécie en tant qu’expérience visuelle et sonore, une sorte d’aventure perturbante entre rêve et cauchemar.
Peu compréhensible pour les néophytes tout en n’apportant aucune véritable réponse aux interrogations primordiales de la série, ce film reste à mon sens une curiosité dispensable. Fun fact : David Bowie et le jeune Kiefer Sutherland ont chacun un petit rôle.
Merci pour cette article dont je trouve le point de vue plus que respectable; « je n’avais pas l’age pour regarder Twin Peaks lors de sa 1ere diffusion télé ».
De mon côté, au contraire, j’avais exactement l’âge qu’il fallait, c-à-d 16ans et je me souviens de cette expérience comme si c’était hier. Evidement, pour (vraiment-bien) comprendre Twin Peaks, je me permets d’ajouter quelques observations à votre excellent article.
1. Le premier du genre
Twin Peaks est apparu sur nos écrans comme un OVNI total. A l’époque, la télé et le cinéma étaient deux mondes très séparés avec des modèles et des formats apparemment incompatibles dans l’esprit du public. L’annonce d’une série, réalisée par David Lynch, à l’époque LE réalisateur le plus « branché » (expression de la même époque), a fait l’effet d’un buzz mondial jusqu’alors inégalé.
Imaginer: un réalisateur arty, pionnier du style WTF allait recevoir la possibilité de tirer en long et en large une enquête qui se déroule dans un bled paumé des USA, et qui plus est, au nord, là où il pleut et où il fait froid; loin de Dallas, de Miami (Vice), de la Californie ou des villes télégéniques comme NY, Chicago ou San Francisco.
2. L’absence de Saisons
Twin Peaks est certes l’histoire d’une enquête, d’un village, etc. mais c’est aussi une expérience sur l’écriture-même d’une série. De l’expérience Twin Peaks, la télévision a peaufiné une science dont l’univers des séries contemporaine use et abuse depuis lors.
Comme pour la série « Le Prisonnier », l’histoire de Twin Peaks ne nous mène pas là où le spectateur pense qu’il sera embarqué. C’est ce côté WTF qui imprima dans la tête des spectateurs le concept « d’ambiance à la Twin Peaks » pour qualifier par la suite tous film ou série qui vous absorbe littéralement dans une ambiance qui permet de passer de la légèreté au dark, de l’humour à l’angoisse.
3. La musique
Et la musique est un des acteurs les plus importants de cette recette WTF. Entre-temps, l’histoire de la musique a évolué et certes, elle n’a plus le même impact. Le traitement sonore de la série « The Leftovers » suit le même canvas, est le meilleur élève de l’utilisation de la musique de Badalamenti dans Twin Peaks. Déjà à l’époque certains thèmes paraissaient kitsch, mais le kitsch est aussi un outil dans la construction des univers Lynchéens.
4. Les ados
Les personnages d’ados sont aussi torturés que des personnages adultes. Cette manière de dépeindre l’adolescence (alcool, drogue, prostitution,…) c’était nouveau dans une série. Il faut rappeler que le slogan avait plus que mouche au point de se substituer au titre de la série pendant les 9 premiers épisodes « Qui a tué Laura Palmer? » nous promettait de participer à un vaste Cluedo pour découvrir qui avait tué le colonel Moutarde avec un chandelier dans la bibliothèque.
Très vite, des clubs de fans (surtout aux USA et aux Japon) se sont créés autour de débats et spéculations sur ce qui allait venir
Processus qui s’effrita au cours de la « 2nde saison » parceque ATTENTION SPOILER les fans avaient compris que les épisodes qui faisaient vraiment avancer l’enquête étaient réalisés par Lynch-même; si le générique de début finissait par « Directed by David Lynch » on savait que l’épisode serait crucial.
5. Les fausses-pistes
Et oui, il y a plein de fausses pistes dans Twin Peaks et cela fini par énerver beaucoup de monde: on entendit dire « mais c’est comme dans Le Prisonnier, il ne sait pas où il va, il peut nous pondre encore 300 épisodes comme ça… » et c’est ainsi que Twin Peaks perdit en audimat et cela donna naissance au film « Twin Peaks, fire walk with me » car il fallait donner qqch à ce public de la première heure qui voulait savoir: qui a tué Laura Palmer?
6. L’addiction Twin Peaks
Une fois la série terminée, Twin Peaks eut un second souffle: et le culte repris de plus belle. Les gens commencèrent à s’échanger les épisodes sur VHS et découvrirent les autres aspects de l’univers Twin Peaks: certes il y avait l’enquête, ils découvraient maintenant le côté addictif de l’ambiance. Les fans se faisaient des marathons Twin Peaks, on pouvait entendre encore en 1996: « ce week-end je me suis tapé tous les épisodes les uns à la suite des autres » et ça, aucune autre série n’avait encore provoqué dans son audience.
Merci pour tous ces précieux compléments !
C’est sûr qu’à l’époque le choc a dû être brutal…
Comment avez-vous réagi à l’annonce de la future saison 3 ?
Si. Star Trek pour n’en citer qu’une.