Dessine moi… un Bottle Episode

Dessine moi… un Bottle Episode

“Bottle episode”, en traduction mot-à-mot, ça donnerait “épisode en bouteille”. Comme ces bateaux miniatures enfournés dans de vieilles bouteilles de rhum. Et un peu comme ces bateaux qui défient les lois de la construction de maquettes, confectionner un bottle episode de qualité tient de la mécanique de haute précision. Le procédé est simple: enfermer une partie du casting, ou sa totalité, dans un lieu clôt, ou un endroit balisé, le temps d’un épisode. Défait de ses outils narratifs habituels, dans l’impossibilité de dynamiser artificiellement son récit, il doit redoubler d’efforts pour tenir en haleine le téléspectateur… avec presque rien.

Cette désignation nous vient de Star Trek. Un grand nombre d’épisodes ne se déroulant que sur le vaisseau, l’équipe et le cast avaient fini par appeler ces épisodes “ship in a bottle episode”. Ces épisodes fonctionnent comme de petites pièces de théâtre : unité de lieu, dialogues nombreux, casting réduit, peu ou pas d’action. Des éléments qui peuvent stimuler des scénaristes, mais qui frustrent considérablement les réalisateurs. Scott Brazil avait eu cette sortie, très connue, au sujet des Bottle episode, qu’il considérait comme étant « the sad little step child whose allowance is docked in order to buy big brother a new pair of sneaks ».

Une analyse très réductrice d’un procédé qui a donné naissance à de purs bijoux. Un bottle episode, quand il est bien réalisé, peut devenir un grand moment de télévision. La série y est ramenée à sa plus simple expression, se recentre sur ce qui doit être son point fort par essence : ses personnages et leurs interactions. Un bottle episode, c’est aussi la possibilité de sortir de la routine de production d’une série, et donc de marquer durablement les esprits. C’est aussi un moyen de révéler les caractères. Enfermés, coupés du reste du monde, certains personnages peuvent aller jusqu’à donner des informations qu’ils n’auraient jamais lâchées autrement. D’épisode “fauché”, il devient épisode majeur.

Friends « The One When No One’s Ready »

Le plus célèbre, à priori, nous vient d’une sitcom des années 90 que tout le monde connaît (même s’il ne l’a pas vue), Friends. “The One Where No One’s Ready” raconte comment, à 20 minutes de partir à une réception au musée où travaille Ross, tout le monde n’est pas prêt. Second épisode de la saison 3, il démonte assez bien les mécanismes de ce qu’on appelle “dynamique de groupe”, démontrant que c’est une notion qui n’existe pas (du moins dans l’univers de la série). Initié par un des producteurs, Kevin S. Bright afin d’économiser de l’argent, le procédé sera reconduit dans la série sur les saisons suivantes.

Plus récemment, les séries Breaking Bad et Community nous ont offert deux épisodes modèles du genre. Avec « The Fly », Breaking Bad épouse à la perfection l’idée d’un “épisode-pièce de théâtre”. Walter et Jesse ne peuvent pas travailler à cause d’une mouche. Walt est persuadé qu’elle va contaminer les amphétamines, et personne n’arrive à la tuer. Cet épisode nous montre comment le plus insignifiant des insectes va pousser Walter dans ses plus lointains retranchements, le laissant dans un état catastrophiques, expression de sa paranoïa la plus aigüe. Un épisode qui ne montrera pas que les qualités de comédien de Bryan Cranston, mais aussi d’Aaron Paul, qui vient de perdre sa petite amie suite à une overdose (SPOILER: et surtout parce que Walter, qui a assisté à l’overdose, se refusera à l’aider). Walter, dans cet épisode, est à deux doigts de se confesser. Si proche et pourtant si loin. Un épisode qui retourne l’estomac. A cause d’une mouche.

Community: tout ça à cause d’un stylo

Community nous servira un autre grand moment de télé dans un style bien différent, avec « Co-operative Calligraphy », mais toujours pour des raisons minimalistes. Annie a perdu son stylo. C’est tout. Et ça va se finir en chaos total. Là encore, le prémisse minuscule ouvre sur des révélations, des épiphanies massives. Community ajoute une touche par rapport à Breaking Bad, de par sa nature comique et le personnage d’Abed, via le langage méta. Abed verbalise d’entrée de jeu qu’ils sont dans un “bottle episode”. Ici, il ne s’agit pas d’un clin d’oeil gratuit de l’auteur au téléspectateur, mais l’expression du personnage d’Abed, qui est persuadé d’être un personnage de fiction. Un épisode qui a aussi démocratisé aux yeux du grand public l’expression “bottle episode”.

Seinfeld est une série à la croisée des chemins. En terme de tournage, c’est une sitcom classique, tournée devant public dans des lieux récurrents. En terme de production, elle se rapproche définitivement plus des comédies “single camera” comme Arrested Development, 30 Rock, Parks and Recreation… Pour le coup, lorsqu’un bottle episode voyait le jour dans Seinfeld, on pouvait oublier le mot “économies”, vu qu’il fallait très souvent construire un plateau pour l’occasion et ne jamais le réutiliser.

Seinfeld : « The Chinese Restaurant »

C’est le cas pour le mythique “The Chinese Restaurant”, qui raconte l’attente des 3 personnages principaux de la série dans la salle d’attente d’un restaurant chinois. Jerry veut aller voir Plan 9 from Outer Space au cinéma, Elaine crève de faim, George essaie de contacter la fille avec qui il sort. Kramer est absent. “The Chinese Restaurant” est un modèle du genre, et un épisode qui sera fondateur sur la nature même de la série. Seinfeld est destinée à prendre plus de risque, à être différente, à être une sitcom de luxe. La série tentera à nouveau l’expérience, avec entre autres “The Parking Garage”, et la quête du groupe afin de retrouver leur voiture dans un parking de supermarché, et “The Subway”, bottle episode à grande échelle puisque se déroulant dans le métro new yorkais.

L’autre champion des bottle episode plus chers que prévu, c’est X-Files. “Ice”, huitième épisode de la première saison, est un hommage très direct et très appuyé à The Thing de Carpenter. Mulder et Scully sont coincés sur une base scientifique dans l’arctique et font face à des limaces pas sympas. “Darkness Falls” les place dans une forêt infestée d’acariens belliqueux, et fonctionne sur les mêmes principes qu’”Ice”: isolation, ennemi “invisible”, paranoïa… “Space”, c’est la parfaite mauvaise idée de bottle episode. Pensant gagner de l’argent en faisant un épisode dans une salle d’observation de la NASA lors du lancement d’une navette spatiale, la production a dû se heurter à un détail coûteux: la salle en elle-même. Au final, “Space” sera l’épisode le plus cher de la saison.

Urgences sera celle qui trichera le plus souvent avec le principe de “bottle episode”, détournant le procédé pour en faire un “bottle character”. Urgences était une série chorale, avec certains personnages ayant plus d’importance que d’autres, certes, mais chorale quand même. Ces épisodes spéciaux permettaient de s’arrêter sur l’un d’entre eux, pour une aventure individuelle, parfois sortie du contexte de l’hôpital. Dans le poignant “Loves Labour Lost”, on suit Mark Greene qui doit gérer l’accouchement difficile d’une patiente. Dans “Hell and High Water”, Doug Ross, à deux doigts de se faire virer, vient en aide à un enfant coincé derrière une grille d’égout pendant un orage aux proportions bibliques. Dans le 15e épisode de la saison 3 “The Long Way Around”, c’est Carol Hathaway qui se retrouve coincée dans une épicerie pendant un braquage, un épisode avec Ewan McGregor.

Urgences : « Secret and Lies »

Un autre épisode, non centré sur un seul personnage répond à certains critères (il débute dans l’hôpital). “Secrets and Lies” nous montre un groupe formé d’Abby, Susan, Gallant, Luka et Carter dans un amphithéâtre, dans lequel ils doivent assister à un cours sur le harcèlement sexuel. Carter et Luka s’opposent violemment, Susan réalise que Carter a des sentiments pour Abby… mais pas à 100% bottle episode. Pour en trouver un vrai, il faut faire preuve d’imagination: l’épisode “Blizzard” n’est pas une grande évidence. Mais cet épisode qui montre le Cook County fermé, bloqué par le blizzard dehors, se rapproche quasiment plus d’un bottle episode que les autres. Et ce même s’il se déroule dans le même endroit que les autres.

On se souviendra aussi d’”Intervention”, episode de Party of Five qui montre les Salinger tenter de montrer à Bailey qu’il est devenu alcoolique. Uniquement tourné dans un appartement, cet épisode est un modèle du genre, même s’il est rarement cité. Un autre, au contraire très mis en avant celui-ci, fanbase oblige, vient de Doctor Who. “Midnight” raconte l’attaque d’un extraterrestre sur un vaisseau de tourisme. Coincé avec des humains, le docteur va devoir faire face à une entité qui prend le contrôle des gens et lit dans les esprits. “Party” de Black Books, montre les personnages de la série au sortir d’une fête. Situation on ne peut plus anecdotique, mais l’épisode a la particularité d’être le dernier de la série. Spooks, avec l’épisode « I spy apocalypse », signe un pur chef d’œuvre. L’épisode se concentre sur l’équipe d’agents du MI-5, pendant un exercice, confinés dans leurs bureaux afin de faire face à une fausse attaque terroriste. Mais plus le temps avance, plus les protagonistes se demandent si l’attaque est réelle ou non.

L’un des plus mémorables, “Three Men and Adena” nous vient de la fabuleuse Homicide. Ecrit par Tom Fontana et réalisé par Martin Campbell, c’est un pur chef d’oeuvre. Tim Bayliss vient de trouver un supect majeur dans une affaire qu’il suit depuis la fin du premier épisode : le meurtre de la petite Adena Watson. Aidé par le talentueux et expérimenté Franck Pembleton, son partenaire, il a 12 heures pour faire plier Risley Tucker (fantastique Moses Gunn). Incroyable baffe, l’histoire nous montre comment, alors que Pembleton et Bayliss sont à deux doigts d’obtenir des aveux, Tucker va inverser la situation et les mettre dans une impasse. Brillant et démoralisant.

Homicide : « Three men and Adena »

Parfois frustrant pour son réalisateur qui aimerait une plus grande variété de lieux, le bottle episode est un art qui peut stimuler celui qui l’écrit, donnant parfois naissance à des heures de fictions parmi les plus mémorables de la télévision. Preuve que l’écriture peut s’épanouir malgré les restrictions. Preuve aussi, s’il en fallait une, que la télé trouve ses racines dans l’écriture plus que dans sa mise en image.

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