
Dessine moi… un spin-off
La popularité d’un show ne se mesure pas seulement à sa courbe d’audience ou à ses récompenses. D’autres facteurs entrent en compte : a-t-il généré des clones pendant son existence, créé une mode ? A-t-il donné naissance à un spin-off ? Un spin-off, pour ceux qui ne savent pas (oui, vous au fond, près du radiateur), en gros, c’est une bouture.
Vous avez une belle série en pleine forme, vous enlevez un des éléments de la série (généralement un personnage) que vous greffez dans un nouvel univers. Vous croisez les doigts pour que ça prenne racine et hop, vous avez un nouveau succès. Sur le papier, c’est gagnant à tous les coups. C’est très loin d’être le cas.
Historiquement, le principe de spin-off viendrait d’une fiction radiophonique, Fibber McGee and Molly, qui donna naissance à The Great Guildersleeve en mettant en scène l’un de ses personnages secondaires dans d’autres aventures. C’était en 1941. À la télévision, ce n’est pas beaucoup plus récent. Ça date de 1955. À cette époque, Jackie Gleason devient la star de la série The Honeymooners, restée dans les mémoires pas forcément pour son humour (encore que), mais pour la façon dont les menaces conjugales y étaient banalisées. Le fameux « One of these days, Alice, POW right in the kisser! » soit « Un de ces jours, Alice, je vais t’en coller une! », ça vient d’eux.
En 1951, Jackie Gleason participe à Cavalcade of Stars, une émission de divertissement dans laquelle il va interpréter pour la première fois, dans un sketch, le (futur) personnage central de The Honeymooners, Ralph Kramden. Un personnage qui reviendra régulièrement dans l’émission, mais aussi dans le Ed Sullivan Show et dans le Jackie Gleason Show, avant de devenir le héros d’une série à succès.
Partir d’un sketch pour aboutir à une série « spin-off » est un procédé assez commun aux États-Unis. Il va trouver son champion dans les années 80. D’abord présentée en format court en 1987 dans l’émission de divertissement The Tracey Ullman Show, une série sera mise à l’antenne de la Fox deux ans plus tard pour ne plus la quitter : Les Simpsons. Matt Groening est alors un jeune dessinateur qui s’est fait connaître avec le comic strip Life in Hell, chronique fonctionnant sur l’humour observationnel, et mettant en scène un lapin avec une seule oreille. La suite, tout le monde la connaît : Groening va pitcher sa famille au producteur James L. Brooks. Les débuts d’un phénomène mondial.
Tout le monde n’a pas cette chance. Les spin-off ratés sont bien plus nombreux que les réussis. Dans un passé proche, l’exemple de Joey résonne encore très fort dans nos esprits. Né du succès international Friends, le spin-off centré sur les aventures de Joey Tribbiani à Los Angeles a été un ratage cataclysmique. Encore aujourd’hui, quand on songe à un spin-off raté, cette série revient en tête. Plus que la qualité intrinsèque du projet (Joey n’était pas bonne, certes), c’est le parallèle avec un show aussi adulé que Friends qui la condamne encore plus.
Encore un ratage avec Time of your life, véhicule censé faire de Jennifer Love Hewitt, actrice limitée mais jouissant d’une popularité inversement proportionnelle à son talent, une star. Sa série d’origine, Party of Five était un petit bijou. Son spin-off est au mieux, hélas, dispensable. Un destin qu’on aurait pu imaginer très rapidement. Car dans Party of Five, le personnage de Sarah Reeves que Love Hewitt interprétait, était de loin l’un des moins intéressants. Peu de chance donc d’en faire d’un seul coup une héroïne centrale fascinante.
Qui se souvient de Joanie loves Chachi ? De That 80’s Show ? Plus récemment de The Finder ? Pourtant, elles furent les spin-off, respectivement, de Happy Days, That 70’s Show (1) et Bones. Aucune ne dureront plus d’une saison. À raison. La majeure partie de ces séries resteront des phénomènes américano-américains, ne franchissant pas l’Atlantique pour venir sur nos ondes. Ainsi, nous n’avons jamais goûté aux joies de la suite de M.A.S.H., AfterMASH, qui se déroule après la guerre et qui a obtenu deux saisons.
Les plus gros fournisseurs de spin-off sont sans surprise les séries procédurales. L’art du procédural a ceci de pratique qu’il se base majoritairement sur les faits divers, source infinie de matériau. Les Law and Order sont au nombre de 4 (Criminal Intent, Special Victims Unit, Trail by Jury, Los Angeles), sans compter les déclinaisons à l’étranger (Paris, arrêtée depuis, UK, qui continue). CSI s’est reproduit de Las Vegas à Manhattan en passant par Miami et les dramatiques lunettes de David Caruso. Dans ces derniers cas, on parlera moins de spin-offs que de franchises. Le lien entre les séries ne s’est pas fait naturellement, via l’exportation d’un personnage. Il s’agit juste d’une marque, déclinée à l’infini (où jusqu’à ce que les audiences baissent). Même principe que pour Star Trek et ses nombreuses dérivées, en attendant la prochaine ?
Certains spin-offs sont plus traîtres. Des faux amis. Il s’agit en fait d’un moyen détourné de modifier une série qui est en perte de vitesse (ce qu’on appelle re-tooling aux USA). Ce fut le cas en 1979 quand All in the Family devint Archie Bunker’s Place, mettant en scène le même personnage principal, mais dans son lieu de travail (une taverne) et pas son lieu de vie (qui continuera d’apparaître cependant). Quand Bea Arthur quitta Golden Girls, la série devint The Golden Palace, qui voyait les trois membres restant du casting originel tenir un hôtel.
Plus récemment, The Practice était progressivement devenue Boston Legal, après que Dylan McDermott a été remplacé pendant la dernière saison par James Spader. À la fin de la série, le personnage interprété par ce dernier, Alan Shore, est viré du cabinet et part rejoindre celui de Denny Crane, toujours à Boston. Le titre de travail du show marquait encore plus le lien avec la série d’origine : The Practice : Fleet Street.
Suivre la chronologie des spin-offs peut filer un mal de tête carabiné. On parlait plus tôt de la série dérivée de Happy Days, Joanie and Chachie. Mais ce ne fut pas la seule. Rappelez-vous Laverne & Shirley, Mork & Mindy (avec Robin Williams), Out of the Blue, Blansky’s Beauties… sans compter les versions animées des shows. Et sans oublier qu’Happy Days était lui aussi un spin-off de Love, American Style, un sketch-show. L’épisode de « Love and the Television Set » mettait en effet en scène Ron Howard, Marion Ross et Anson Williams dans leurs futurs rôles.
Peut-être encore plus vertigineux est le cas de NCIS. Devenue la série la plus regardée aux USA, elle prend ses racines dans un show qui a fait le bonheur des après-midi de France 2, JAG. Succès oblige, NCIS a bientôt droit à son spin-off NCIS : Los Angeles. Puis presque à un second, avorté, NCIS : Red. La technique des producteurs de la franchise est une déclinaison du concept même de spin-off. Si toutes les séries se déroulent dans le même univers, elles ne naissent pas en isolant l’un de ses personnages pour en faire la star d’une autre série.
Est utilisée ici la technique du backdoor pilot (technique très répandue aujourd’hui). Cette dernière consiste à introduire de nouveaux personnages dans un épisode de la série-mère, constater ses audiences, et décider de faire une show avec ces héros, dans un contexte différent. Gros ratage sur Red : les scores du backdoor pilot n’étaient pas satisfaisants. Cette année, ce procédé nous a offert The Originals, spin-off de Vampire Diairies sur la CW, par exemple.
Aujourd’hui, on entend parler d’un spin-off de Breaking Bad. Intitulé Better Call Saul, il est censé être un préquel. Showtime aimerait (mais comment ?) faire de même pour Dexter. Malgré les exemples très nombreux de ratages, le procédé du spin-off donne parfois lieu à de faramineux succès publics (l’exemple de NCIS est en cela très parlant), mais aussi critiques.
S’il existe un exemple de spin-off presque parfait, c’est bien Frasier. Au début, il y a Cheers, série qui, si elle a eu du mal à s’installer, s’est hissée numéro un des audiences aux USA. Drôle, brillant, le programme est une machine à gags de haute volée, et qui a du cœur. Lors du premier épisode de la saison 3 est introduit le personnage de Frasier Crane, nouvel intérêt romantique de Diane Chambers. À la fin de la série en 1993, Frasier Crane quitte Boston pour Seattle afin de devenir psy de radio. Frasier, la série, durera aussi longtemps que Cheers, soit 11 saisons, empochant plusieurs Emmys et profitant du rayonnement de NBC pour devenir un gros succès d’audience.
On ne peut pourtant pas considérer que les producteurs de Cheers et Frasier aient trouvé la recette magique du spin-off (elle n’existe pas). Plus tôt, ils avaient mis à l’antenne une autre déclinaison de la série, The Tortellis, centrée sur famille de la serveuse sarcastique du Cheers. Un ratage complet qui durera un an.
Frasier reste un cas rare dans l’histoire, où un succès public et critique donne naissance à un autre succès public et critique. On trouve cette équivalence avec le duo Buffy / Angel, créations de Joss Whedon. Ici, les deux séries vivront de concert jusqu’en 2003 avec la fin de Buffy, tout en étant majoritairement saluées pour leur qualité. Le fameux Buffyverse connaîtra son épilogue télévisuel avec son spin-off, qui s’arrêtera en 2004. Pareil pour Star Trek, dont les séries dérivéespossédaient globalement des identités très fortes, et qui ont été pour la plupart saluées par la critique.
N’oublions pas Knots Landing (Cote Ouest), spin-off de Dallas, qui connaîtra comme sa série d’origine 14 saisons (on peut parler de succès). La saga Stargate : SG-1 avec Atlantis, Universe et Infinity. Grey’s Anatomy et Private Practice… la liste est longue. Très longue. Et les séries d’animation ne sont pas en reste. Si récemment, l’échec de The Cleveland Show, spin-off de Family Guy centrée sur le personnage de Cleveland, disparaît gentiment des mémoires, un autre reste vivace, celui de Daria.
Daria est pour la première fois apparue dans Beavis and Butt-head. La série de Mike Judge était un phénomène de société à l’époque, véritable étendard de la génération X. Daria en prendra la suite, avec peut-être plus de finesse, mais avec un humour toujours aussi dévastateur. Elle durera 5 saisons.
L’art du spin-off devient-il de plus en plus difficile ? Les séries ont des concepts de plus en plus resserrés. Il en est même certaines qu’on imagine mal, créativement parlant, durer plus de dix épisodes. Alors un spin-off ? On le mentionnait un peu plus tôt, mais le rêve éveillé de certains exécutifs de Showtime, désireux de donner un spin-off à Dexter, fait se demander s’ils ont vu la série. Par le passé, il semblait impossible d’offrir des spin-offs à Lost, House, 24, pourtant tous des immenses succès… Aujourd’hui, et même si elle semble pétrie de bonnes intentions, la team Breaking Bad fait un peu peur avec son Better Call Saul. Quid de The Walking Dead et de AMC, qui n’a pas encore vu plus loin que : « Ah tiens, c’est un carton monumental, si ça durait toute l’année ? » avec leur projet de spin-off ?
Des projets de spin-off à la noix, on en a tous en tête, mais ceux des Simpsons dans leur épisode « The Simpsons Spin-Off Showcase » (8×24) gagnent le pompon. Présenté par Troy McClure, cet opus met en scène de faux spin-offs de la série d’origine. « The Love-matic Grandpa' », qui montre Moe obligé de cohabiter avec l’esprit du père d’Homer, qui s’est retrouvé coincé dans un testeur de sensualité. Ou « The Simpson Family Smile-Time Variety Hour », émission de divertissement en live avec les personnages de la série… sauf Lisa. Et surtout « Chief Wiggum, P.I. », sur les aventures de Wiggum, devenu détective privé à la Nouvelle Orléans en compagnie de Skinner, surnommé « Fil de fer ».
Un épisode dont la première réplique nous servira de conclusion « Spin-off ! » Is there any word more thrilling to the human soul ? » (2)
(1) : Ok, il ne fallait pas être Sherlock Holmes pour deviner ça..
(2) : « Spin-off ! Existe-t-il un autre mot qui excite autant l’âme humaine ? »