Dessine moi… un spoiler

Dessine moi… un spoiler

Et si on parlait spoilers ? (Bruits de panique, hurlements, mouvements de foule, l’article n’est même pas commencé que j’ai déjà des morts sur la conscience) Les spoilers, pour ceux que ça agace, c’est ce qu’il y a de pire pour un sériephile. Ils agacent, plombent, révoltent… Et fourbes, ils n’ont pas tous la même forme. Tentative de décryptage très personnel de la chose.

Alors histoire de n’agacer personne, ou pire, de faire fuir les gens, au début de chaque paragraphe, je vais mettre le nom et la saison spoilée des séries concernées. Ainsi, vous saurez quoi zapper.

"j'espère que tu ne vas pas me spoiler ma série, toi..."

« j’espère que tu ne vas pas me spoiler ma série, toi… »

[The Good Wife, saison 5] Récemment, un épisode de série a agité les réseaux de toutes parts. L’épisode 5×15 de The Good Wife « Dramatics, your Honor ». Pas à cause de sa qualité, l’épisode se situant dans la moyenne basse de la série. Mais parce que dans cet épisode, un personnage principal est tué. Une mort complètement inattendue car rien n’avait filtré. Généralement, les départs majeurs dans les séries, on les voit venir. Et ce grâce aux contrats. Bidule n’a pas prolongé, il quitte machin. Truc-muche a signé pour un pilote, il va quitter chose. La question n’est pas de savoir si le personnage va quitter la série, mais comment, voire quand. Ici, tout le monde a été pris de court, et les réseaux sociaux se sont retrouvés pleins de spoilers concernant la mort de Will Gardner.

[The Good Wife, saison 5] On se trouve ici face à un cas intéressant, car fonctionnant sur plusieurs niveaux. Il y a le spoiler brut, celui qui fâche : Will va mourir dans l’épisode, et ce meurtre est censé nous prendre de court. Le savoir à l’avance va gâcher (to spoil) la surprise. Les réseaux sociaux s’animent : ceux qui ont vu balisent leur discours d’avertissements [SPOILER], [SPOILER ALERT], « attention je vais spoiler… »… Ils créent, sans le savoir, un second niveau de spoiler, basé sur l’attente. Vous ne savez pas ce qui va se passer, mais vous savez que QUELQUE CHOSE va se passer. Vous allez vivre l’épisode dans l’expectative (à la limite deviner le revirement si vous êtes un habitué des séries, car dans le cas de The Good Wife, on voit clairement dans l’épisode que Will dit « au revoir » à ses confrères). Vous ne pourrez pas l’apprécier comme vous étiez censé le faire.

[Game of Thrones, saison 3] Game of Thrones est un bon exemple de la gestion du spoiler, aussi, car elle prouve qu’elle n’a aucune limite. La série est adapté d’une saga de bouquins déjà en vente. Certains téléspectateurs ont pris la décision de suivre la version télévisée seule, d’autres de lire tout en amont afin de tout connaître (bien évidemment, d’autres avaient lu avant la diffusion, cela va sans dire). Ceux qui ont lu se mettent alors à parler du Red Wedding à l’approche de « The Rains of Castamere ». D’autres le font après, spoilant la nature même de la surprise contenue dans l’épisode. Ici, le lecteur se pose en téléspectateur qui a un coup d’avance. Il ne regarde pas une série dans le même temps que les autres, il regarde une adaptation. Il cesse d’être un téléspectateur et devient un observateur. Sans retenue, il pourrait faire preuve de sadisme et spoiler l’intégralité de ce qui a déjà été écrit. C’est le cas d’un prof américain, qui, selon la légende, a obtenu l’assiduité de sa classe en menaçant ses élèves de révéler les futures morts de Game of Thrones s’il n’obtenait pas le calme.

"Si vous bronchez, je vous spoile"

« Si vous bronchez, je vous spoile »

[Mad Men, saison 5] Les journalistes ne font pas toujours preuve de finesse. Lors de la diffusion de la saison 5 de Mad Men, le site Hollywood Reporter s’était fendu d’un article titré « ‘Mad Men’s’ Jared Harris on Lane Pryce’s Shocking Death », ensuite modifié en « ‘Mad Men’s’ Jared Harris on Lane Pryce’s Shocking Episode ». Le papier, daté du 4 juin 2012, soit 24h après la diffusion de l’épisode, ne prenait aucune précaution avec le lecteur et lui imposait son spoiler sans ménagement. Il suffisait d’être abonné au fil twitter du site, se rendre sur sa page d’accueil, ou subir un simple retweet et pan, on payait au prix fort le fait de ne pas être à jour avec les Américains sur la diffusion de la série d’AMC.

[Once upon a Time, saison 3] Et il y a les acteurs. La tentation est grande de suivre vos comédiens US préférés. Mais si vous ne regardez pas les séries dont ils sont les stars dans les temps, eux-mêmes risquent de vous spoiler brutalement. Le cast de Scandal est certainement le pire pour cela, étant donné que les comédiens live-tweetent les épisodes. Dernièrement, dans une logique de vouloir évacuer les rumeurs sur son départ, Michael Raymond-James a révélé le destin de son personnage dans Once upon a Time. Suivre les comédiens ou les auteurs de séries est une magnifique loupe sur les coulisses d’un show qu’on adore. Mais c’est à vos risques et périls.

[Breaking Bad, saison 4] Twitter n’est pas le seul outil capable de vous plomber le visionnage d’une série. Pas besoin d’être abonné à un réseau social et de suivre l’actualité US, il suffit d’utiliser… Google. Tapez, par curiosité « Giancarlo Esposito Breaking Bad » et vous verrez, sur la page des résultats, dans l’encart images, le bon vieux Giancarlo tenir une statue moulée de son personnage en fin de saison 4. Si vous inversez le titre avec son nom, en 18e image représentée, vous aurez carrément une capture d’écran de l’évènement.

Photo numéro 2 sur Google... jusqu'ici rien de révélateur...

Photo numéro 2 sur Google… jusqu’ici rien de révélateur…

[Urgences, saison 5 ; X-Files, saison 1] Internet est un lieu maudit pour l’allergique au spoiler. C’est aussi un lieu d’échanges sur les séries comme nul autre. Un passage obligé où le risque est grand pour le sériephile de se faire violenter la rétine par des révélations non souhaitées. Surtout que le problème majeur, c’est qu’il n’existe pas de date de péremption sur le spoiler. Si certains sont acquis, c’est surtout parce qu’ils ont été relayés plus de 100 fois. Tout le monde sait que ça arrive, donc personne n’est gêné. Globalement, annoncer que Carter se fait poignarder dans Urgences et que Lucy meurt, ou que Gorge Profonde se fait dézinguer en fin de saison 1 d’X-Files, ça ne choque pas grand monde parce que c’est déjà dans l’air depuis près de 20 ans. Ça n’en reste pas moins un spoiler. Les séries n’existent que lorsqu’on les regarde, pas lorsqu’elles sont diffusées.

"On t'avais pourtant prévénu de ne RIEN regarder sur ce film avant de venir... On l'a pas fait ? On aurait dû."

« On t’avait pourtant prévenu de ne RIEN regarder sur ce film avant de venir… On l’a pas fait ? On aurait dû. »

[The Crying Game, film ; From Dusk Till Dawn, film] La télé n’est pas la seule à subir le diktat du spoiler. Le cinéma aussi. Par le passé, le film The Crying Game avait beaucoup fait parler de lui pour cette fameuse “grosse surprise à la 51ème minute”. Et par grosse, on entend la révélation d’un pénis, celui du personnage qu’on avait admis comme étant féminin. Évidemment, pour que la surprise soit totale, il ne fallait pas avoir vu Stargate avant, film où Jaye Davison jouait un homme, mais quand même. Par extension, on peut adapter cette réflexion au film de Robert Rodriguez From Dusk Till Dawn. Film qui, au bout d’une heure, passe d’un récit de gangsters en fuite à celui d’un survival horror rempli de vampires. Si on n’avait pas vu l’affiche, la bande-annonce ou lu quelque chose sur le film, il existait la possibilité de ressentir le véritable intérêt de l’œuvre. C’est ainsi se mettre au niveau du lecteur du scénario, le seul, au final, à être vraiment surpris.

Le jeu de la bande-annonce est en soi celui du spoiler constant. Elle n’existe pas pour aguicher le spectateur, mais pour lui montrer une suite d’extraits qui doivent lui donner envie de voir le film. Un procédé qui peut s’avérer agaçant au possible, et provoquer une réaction épidermique, l’impression d’avoir déjà tout vu. Dans le Masque et la Plume, l’émission de critique de France Inter, le journaliste cinéma Michel Ciment avait été pris à partie par les auditeurs car il avait révélé la fin d’un film. C’était devenu une blague entre les intervenants. Ciment avait fini par s’insurger et se justifier ainsi : “ce qui importe, ça n’est pas ce qui se passe, mais la façon dont c’est mis en scène”. Façon détournée d’élever le statut du réalisateur (celui qui raconte l’histoire) au-dessus du scénariste (celui qui invente l’histoire). L’important ne serait pas ce qui va se passer, mais comment ça va se passer. Une vision assez réductrice du problème qui ne conviendra pas à ceux qui aiment être surpris par autre chose que la qualité d’un cadre, d’un mouvement de caméra, ou de l’efficacité d’un montage.

Les « twists », ces surprises qui ponctuent les séries télé sont une arme de scénariste. Parfois employés avec facilité, souvent utilisés pour retirer le tapis sous les pieds du téléspectateur, le laisser bouche bée. Avoir accès aux spoilers, c’est se couper d’un des aspects qui forment l’expérience télévisuelle. Et pourtant… certains n’y voient aucun inconvénient. Mieux, ils les cherchent. Ils veulent connaître l’histoire avant de la regarder, éliminer l’effet de surprise. Cette attitude surprenante pour certains, révoltante pour d’autre, tient sur quelle logique ? La haine de la surprise ? L’envie de ne pas être manipulé par le scénariste ? Une monumentale curiosité ? Peut-être une volonté d’avoir le loisir de se focaliser sur la mécanique. En connaissant l’histoire avant qu’elle se déroule sous leurs yeux, ils peuvent se focaliser sur la mécanique du jeu plutôt que son impact émotionnel. Une façon de se détourner de ce qui est brillant et qui fait du bruit (le twist) pour se concentrer sur les petits à-cotés qui mènent à la surprise.

Tagline de The After "une série avec des gens qui font des trucs... par Chris Carter"

Tagline supposée de The After : « une série avec des gens qui font des trucs… par Chris Carter »

Certains auteurs de télé font preuve d’une paranoïa sans borne concernant les spoilers. Ils veulent surprendre coûte que coûte, garder une part de mystère. Chris Carter, pour son retour à la tête d’une série avec The After sur Amazon, a demandé qu’aucun élément ne soit publié avant la diffusion, entourant sa série d’une grosse dose de mystère. Matthew Weiner impose aux journalistes US, depuis plusieurs saisons, de ne révéler aucun point de narration des premiers épisodes qu’il leur envoie avant diffusion. Pourtant, Mad Men n’est pas, à proprement parler, une série constellée de twists. Ils sont très rares, parfois 3-4 par saison, et surtout, quasiment jamais en ouverture. Les journalistes s’en amusent, certains se permettant même d’ironiser sur la situation. Jace Lacob (@Televisionary) partageait ce tweet le 21 mars 2014 : « Season 7 of Mad Men will take place at a point in time. Things will happen. Phone calls will be made. Pasts will be reflected upon. »

[The Empire Strikes Back, film] Le problème, c’est que la notion de spoiler varie d’une personne à l’autre et qu’il est très compliqué de faire preuve de finesse sur la question. On ne regarde pas les séries en même temps. Avec l’émergence des séries sur des réseaux non-linéaires, c’est encore pire. Impossible de savoir quand tout le monde va finir House of Cards, par exemple, même si les spectateurs débutent le visionnage le jour de la sortie. Ce qui est rageant, avec le spoiler, c’est que de lui dépend la façon dont on va appréhender un moment marquant d’une fiction. Dans Les Simpsons, Homer, dans un flashback, sort de la salle après avoir vu The Empire Strikes Back et se fend d’un « c’est dingue, j’aurais jamais imaginé que Dark Vador, c’est le père de Luke Skywalker ». Le tout à haute voix, devant une file d’attente outrée. La découverte de l’identité de Dark Vador est pourtant un moment fondateur chez les cinéphiles de cette époque, depuis parodié, cité à tout bout de champ ce qui le fragilise considérablement. Et pourtant, si on reste vierge de toute information à ce sujet, ça peut donner ça comme réaction :

Le spoiler est peut-être plus violent chez les gens qui vivent les séries (ou films) à un niveau purement émotionnel. Ceux qui sont totalement investis dans la narration, qui adoptent une attitude qui n’est pas réflexive. Le spoiler est vécu par eux comme une trahison. Un peu à l’image d’un gamin excité à l’idée d’ouvrir un cadeau de Noël et à qui on annonce froidement le contenu avant qu’il n’ait fini de déballer le paquet. Le twist, c’est cet agitateur qui vient faire monter le rythme cardiaque, ou vous couper la respiration. Celui qui laisse vos yeux exorbités et votre bouche pendante. Celui qui vous laisse planté là, abasourdi, sonné. Et son ennemi juré, c’est le Spoiler.

Petite vidéo illustrative du débat, avec plein de stars dedans :

PS : Si vous voulez commenter cet article en faisant part de votre ressenti sur les spoilers ou vos expériences personnelles sur la question, essayez de reproduire le format de l’article en avertissant en début de paragraphe ce que vous allez spoiler. Sinon ça va grincer des dents.

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