Dexter Vs. Breaking Bad : Deux façons de dire au revoir…

Dexter Vs. Breaking Bad : Deux façons de dire au revoir…

On vit une époque formidable. Enfin… étonnante. A une semaine d’intervalle, deux séries qui ont marqué les sériephiles vont quitter l’antenne. Deux grands comédiens, qui possèdent la même douceur dans la voix, le même charisme naturel. Deux anti-héros. L’un qui est présenté comme tel dès le départ, l’autre qui s’est révélé petit à petit sous nos yeux. La chronologie fait qu’il est impossible de ne pas faire un parallèle entre les deux. Dexter et Breaking Bad sont dans leur dernière saison, et le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il n’ont pas abordé la fin de la même manière…

L’effet de loupe est cruel, sans pitié. D’un côté vous avez la fin d’un chemin fait de bruit et de fureur, de larmes et de sang. Un final à la fois attendu et redouté, qui ne laissera personne indemne. Breaking Bad part dans un feu d’artifice. Alors certes, la toute fin peut toujours être manquée, rien n’est impossible, mais pour l’instant, la série s’en va de la plus belle des manières. De l’autre, vous avez le soporiphique Dexter. Un personnage-pantin désarticulé, qui balade son absence de vie dans une intrigue sans intérêt, jusqu’au bout de l’ennui. Regarder les deux dans les temps, c’est aussi valoriser l’un à la hausse et l’autre à la baisse.

A côté de Dexter, Breaking Bad est le summum absolu de la narration télévisuelle. A côté de Breaking Bad, Dexter représente le néant total, la négation de l’ambition.

Petit retour historique. Breaking Bad arrive sur les antennes en 2008. Très rapidement, la série s’impose comme un évènement. D’abord parce qu’elle est la deuxième production à débarquer sur la nouvelle venue AMC, qualifiée à l’époque de nouveau HBO. Mad Men puis Breaking Bad, ça pose. Mais la saison, prévue pour durer 13 épisodes, est amputée par la grève des scénaristes. Pour Vince Gilligan, cet événement a aidé la série. Ce que le scénariste-producteur imaginait comme cliffhanger de la première saison, il a dû le retarder. De son aveu, il voulait faire arriver les choses trop vite. Une bénédiction.

L’un des thèmes majeurs de la série, c’est que chaque action a une conséquence. Qu’elle intervienne immédiatement, ou plus tard. Une sorte d’effet papillon constant, le tout dans le microcosme de la vie de Walter White. Le chemin est clair depuis le départ : il faut que Walter White, prof de chimie émasculé se transforme en Heisenberg, dealer cruel et manipulateur. Une révolution qui mettra un an dans la temporalité de la série, cinq en terme de saison de sériephiles. Ce chemin balisé ne connaît pas tous ses points de passage, la carte n’est pas claire dès le départ, mais la destination est connue.

Celui qui la connaît, c’est Vince Gilligan, même s’il fait le chemin avec d’autres scénaristes, tous brillants au possible. Une équipe de top niveau, sans point faible. Sans fausse note.

Félin, menaçant, séduisant. Le Dexter du générique agit comme un révélateur face à l’ennui que procure celui qui évolue aujourd’hui dans les épisodes.

Dexter n’a pas du tout la même origine. Au début il y a un livre de Jeff Lindsay, Darkly Dreaming Dexter, adapté pour la télévision par James Manos Jr. (une commande, donc). Manos ne sera jamais plus au générique d’un épisode. L’équipe de production s’est construite au fil de la première saison, empilant des noms de qualité : Melissa Rosenberg, Clyde Phillips (à l’écriture), Michael Cuesta (pour la réalisation). Le livre, trop court pour être adapté stricto-sensu à la télévision sera gonflé. Certains personnages gagneront du temps narratif, comme les policiers du Miami Metro (le point faible de la série depuis huit ans). Dès la deuxième saison, il est décidé de ne plus suivre les livres de Lindsay, beaucoup trop violents pour Showtime.

Un autre problème, de taille, vient de la nature même du personnage principal. Dénué d’empathie, il est un asocial complet. Par essence, il ne peut pas vraiment évoluer puisqu’il ne ressent rien. Ce héros immuable a provoqué un effet inverse sur l’équipe scénaristique, qui est en perpétuel mouvement. Phillips (devenu showrunner) et Rosenberg quittent la série au terme d’une quatrième saison formidable, avec un dernier plan qui crée une boucle parfaite dans la vie de Dexter. Après cette saison, la série ne sera plus jamais au niveau, quel que soit le showrunner.

Chip Johannessen, tristement célèbre pour la 3e saison de Millennium, nous sert une saison 5 partiellement intéressante. Depuis la saison 6, Scott Buck est aux commandes de l’entreprise de démolition. Les saisons 6, 7, et 8 flirtent avec le grotesque complet et les idées foireuses vite évacuées. Ce qui frappe le plus avec Dexter, c’est l’immobilisme. Chaque saison ressemble à la précédente dans une routine qui déclenche plus de bâillements que de cris de surprise.

De Walter White à Heisenberg, une évolution progressive et percutante

Quand Breaking Bad décide de ne faire appel à aucun guest pour ses derniers épisodes, resserrant sur son cast principal, Dexter va chercher Charlotte Rampling et lui trouve un rôle digne d’un lapin sorti d’un chapeau. Quand Breaking Bad s’éloigne des réapparitions de guests aimés, Dexter ressort des personnages qu’on avait complètement oubliés. Un fan-service qui ne rend service à aucun fan.

Si regarder un épisode de Breaking Bad plonge aujourd’hui dans une apnée chargée en émotion et en stress, Dexter se révèle d’un ennui cataclysmique. Il existe d’un côté une envie de finir de la plus belle des manières, et de l’autre, juste d’en finir. Breaking Bad a mis cinq ans à transformer son héros. Dexter essaie de le faire en 10 épisodes. C’est bâclé, non crédible, et pire que tout, risible.

Le bon sens aurait été d’arrêter Dexter en saison 5, quand l’ennui a frappé en premier. Mais quand on aime une série, on pousse souvent plus loin que la date de péremption, on l’a dit dans ces pages assez souvent pour y croire. Même si le show devient sa propre parodie, il existe l’espoir qu’il reprenne des couleurs un jour ou l’autre. Ou du moins, ait la correction de finir en beauté. Dexter peut encore signer une dernière heure intense, rien n’est exclu. Mais elle aura tellement mal préparé le terrain, gâchant ses derniers épisodes avec des personnages dont on se moque éperdument et des intrigues sans intérêt ([SPOILER] Debra qui plonge dans la drogue et en ressort aussi vite, Masuka a une fille et c’est cool, Quinn passe un concours pour avoir une promotion mais ne l’obtient pas… il ne s’agit pas de plaisanteries, mais de vraies pistes de la saison 8 [FIN DU SPOILER]), qu’il sera compliqué pour eux de finir sur une bonne note.

Quand à Breaking Bad, elle peut offrir une résolution décevante, donner un destin convenu à Walter White. Mais elle aura eu le courage d’aller jusqu’au bout de son concept, de tout bousculer, de tout exploser, marquant chaque semaine d’une heure de fiction dont on ne décroche jamais.

C’est cruel pour Dexter. Mais il l’a bien cherché.

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