
Dictionnaire Tolkien : la Terre du Milieu de A à W
Plus de mille pages pour approcher Tolkien, son œuvre, ses personnages-clés, ses langues inventées, ses influences et sa vie. Un Dictionnaire comme complément rêvé à l’exposition qui se tient en ce moment à la Bibliothèque nationale.
Le livre : Plus de mille pages pour cette nouvelle édition en deux volumes du premier dictionnaire en langue française consacré à John Ronald Reuel Tolkien. Les quelque 350 notices présentent les ouvrages de Tolkien : Le Seigneur des Anneaux, Le Hobbit et les volumes de L’Histoire de la Terre du Milieu, bien sûr, mais aussi ses essais sur la littérature médiévale et sur les littératures de l’imaginaire. Et bien plus, bien plus encore.
Mon avis : Un mois avant l’inauguration de l’exposition Tolkien (Tolkien, voyage en Terre du Milieu, avec 300 pièces exposées) à la BnF, visible jusqu’au 16 février 2020, Bragelonne a publié cette nouvelle édition du Dictionnaire Tolkien, réalisé sous la direction de Vincent Ferré.
Professeur de littérature comparée à l’université Paris-Est Créteil, Vincent Ferré a publié, souligne son éditeur, « plusieurs livres de référence sur cet écrivain, travaillé comme éditeur sur une vingtaine de livres de Tolkien en français (aux Éditions Bourgois) depuis 2001, participé à la traduction française du premier film de Peter Jackson, ou encore à la création du site officiel Tolkienestate.com avec Adam Tolkien » (petit-fils de J.R.R.). Histoire de boucler la boucle, il est également le commissaire de l’expo à la BnF. On est donc entre de bonnes mains.
Le Dictionnaire proprement dit est tout bonnement fantastique. Il faut dire qu’il réunit une soixantaine de contributeurs : les approches sont donc larges et variées, et cela se reflète dans la structure et la richesse du contenu. Outre les entrées plus évidentes – sur les grandes œuvres, par exemple, ou les adaptations au cinéma – on y trouve aussi des entrées biographiques (le travail de Tolkien à l’université de Leeds, sa vie à Oxford, plusieurs membres de sa famille), d’autres explorant ses influences (Andrew Lang, par exemple, qu’il ne s’est pas privé de critiquer), d’autres encore revenant sur de grands illustrateurs du corpus tolkienien comme Alan Lee et John Howe.
Certains personnages-clés ont leurs propres entrées, où ils sont décrits, analysés, où leurs évolutions sont étudiées. Tel Peregrin “Pippin” Touque, passé du statut de jeune Hobbit insouciant et maladroit à celui de héros du Gondor. Enfin, plusieurs entrées envisagent l’œuvre de Tolkien sous des angles plus transversaux : religion, providence, libre arbitre, sexualité, etc.
L’une des grandes forces de ce Dictionnaire est de ne pas hésiter à prendre la place qu’il faut, même pour des entrées a priori plus secondaires – du moins en apparence. Prenez celle qui est consacrée au Lai d’Aotrou et Itroun, un poème de 556 vers rimés octosyllabiques, publié dans la Welsh Review en 1945. Ce poème place Tolkien dans la tradition bretonne, du Barzaz Breiz de La Villemarqué et des lais de Marie de France. Sans oublier les Contes de Cantorbéry de Chaucer, au regard duquel l’apport de Tolkien est mesuré. Une entrée signée Aurélie Brémont et qui, au final, occupe trois pages et demie, pas moins. Et s’avère absolument passionnante.
Par comparaison, bien sûr, l’entrée dédiée aux adaptations cinématographiques totalise six pages. Il fallait bien cela pour évoquer Peter Jackson, ses illustres prédécesseurs et sa possible postérité.
Parmi les entrées majeures, on citera enfin celle des langues inventées. Elles qui servent à « suggérer la multiplicité des cultures de la Terre du Milieu », mais pas seulement, note Damien Bador :
Loin de se cantonner à un rôle décoratif, les langues inventées par Tolkien jouent un rôle direct dans le récit : une langue étrangère empêche les protagonistes de comprendre un dialogue, la connaissance des langues elfiques sert à démontrer le rang d’Aragorn, tandis qu’en des temps de guerre, l’entrée à Edoras est interdite à quiconque ne parle pas la langue de la Marche.
Loin d’être anecdotique, cette inventivité linguistique est placée par Tolkien lui-même aux fondements de son écriture et de sa créativité. Détail amusant : le vieil anglais, langue la plus étudiée par l’écrivain dans son travail académique, devra attendre les Rohirrim du Seigneur des Anneaux pour avoir droit de cité en Terres du Milieu.
L’esthétique est au cœur de la linguistique tolkienienne :
De son propre aveu, Tolkien s’intéressait surtout à l’aspect esthétique de la langue et à l’adéquation entre la forme des mots et le sens qu’ils véhiculent. Selon lui, la primauté de cet aspect artistique sur les besoins de la communication distinguait les vraies langues inventées des simples codes. (…) Dans une mise en abyme parfois vertigineuse, Tolkien mit en scène des Elfes et des Hommes philologues, soucieux de perfectionner les structures phonétiques de leur langue et de préserver la connaissance des traditions linguistiques.
Pour qu’une langue inventée soit digne d’être mentionnée, il faut, pour Tolkien, qu’elle soit assise sur une histoire, une mythologie qu’en retour, elle influence. Les langues tolkieniennes n’ont, en cela, rien du motif décoratif ou du divertissement d’arrière-plan. Et les lecteurs ne s’y sont pas trompés. Cela valait bien un Dictionnaire tel que celui-ci.
Dictionnaire Tolkien
Sous la direction de Vincent Ferré
Édité par Bragelonne (après une première édition par le CNRS en 2012)