
Die Antwoord – Mount Ninji and da Nice Time Kid (Zef Recordz)
Tiens donc, mais qu’avons-nous là ? Une encyclopédie sur la musique, d’où peut-elle bien sortir ? C’est étonnant, elle s’est ouverte toute seule sur un passage précis, voyons voir ce que cela raconte : « Siècle de l’autotune, hurlements/Au jour dieux, Kanye West fait affront/Du Hip Hop combattant frères au micro/Soupe commerciale épousée commet faute/Panique, ruine, fin d’un monde/Sur Terre sans gang ni posse/Vient dieu des Lyrics en couple des frayeurs/Du ciel à l’insulte Die Antwoord » (la Réponse). Ça promet.
Die Antwoord fait partie de ces groupes inclassables qui vous redonnent foi en l’humanité tout en vous faisant comprendre que notre destruction programmée ne serait peut-être pas un mal. Issus de la scène rap d’Afrique du Sud, Ninja (Watkin Tudor Jones), Yolandi Vi$$er (Anri du Toit) et DJ Hi-Tek, font partie de la mouvance culturelle Zef. Le concept en est relativement simple, mélanger des éléments modernes avec d’autres, désuets (donc peu chers), dans une combinaison trash et provocatrice se voulant classe, histoire de tenir la dragée haute aux catégories sociales supérieures.

Salut, on est vos nouveaux voisins
La fleur qui pousse sur le fumier du ghetto en somme, sauf que l’on parle ici de l’un des ghettos (Cape Town) les plus dangereux de la planète, un lieu qui ferait ressembler les quartiers de South Central et de Compton (Los Angeles) à l’un des mondes magiques de Disneyland ! Ninja et Yolandi ont grandi là-dedans, au cœur d’une Afrique du Sud en proie aux tensions post apartheid, petits blancs white trash misérables coincés entre les erreurs monstrueuses de leurs aînés et le désir de revanche d’une communauté noire pas toujours réceptive aux appels à la fraternité de Nelson Mandela. Ambiance.
Die Antwoord est un concentré de tout cela, une rage contre les inégalités et les injustices, une fierté d’appartenir au niveau le plus bas de la société brandie comme un étendard, un désir de revanche matérialisé par une expression artistique d’une violence rare, volontairement outrancière, tant dans leur musique que dans leur comportement, leur look et leurs vidéos. Car le Zef, c’est avant tout l’image et, dans ce registre, Die Antwoord ne fait pas dans la dentelle. D’ailleurs, avant d’aller plus loin, rencontrons donc nos deux lascars en virée dans leur quartier avec le petit clip ci-dessous.
Édifiant non ? Maintenant que les présentations sont faites, intéressons-nous à ce Mount Ninji and Da Nice Time Kid, quatrième album en date du groupe dont le projet est d’en publier cinq avant de se séparer. Car depuis $O$ (2009) et son single imparable au titre explicite Enter the Ninja, Die Antwoord a en effet un plan bien précis. En mariant progressivement deux styles musicaux différents (rap et musique électronique) dont le seul point commun est leur ancrage dans les couches populaires, ils ont donné naissance à un monstre hybride, unique en son genre, et de plus en plus efficace dans son entreprise de destruction de standards et accessoirement de neurones.
La créature en question n’a pas cessé d’évoluer pour aboutir à cet album qui nous occupe aujourd’hui, et qui s’ouvre sur un coup de sonnette brutal auquel répondent des murmures de gremlins sous amphétamines. « C’est qui ? On ouvre ? » Ainsi débute We Have Candy, petite bombe hardcore empruntant autant à L’Étrange Noël de Mr. Jack qu’aux Beastie Boys, nous présentant le personnage principal de l’album, Ninja, sorte de Mr Oogie Boogie du ghetto dont l’ombre malsaine n’arrêtera pas de planer sur le reste du disque.
Suit Daddy, complainte drum n’ bass à tendance incestueuse introduisant (métaphoriquement) Yolandi dans son rôle de lolita redneck, un rôle qu’elle va endosser tout au long de l’album et qui se précise sur Banana Brain, sorte de mode d’emploi gabber d’une soirée réussie version Cape Town. Ça sent la bière bon marché, les pilules magiques à petit budget et le sexe… La tristesse aussi, qu’on refoule à grands coups de beats pour donner l’illusion de la fête, une fête sordide qui a cependant le mérite de tenir la réalité à l’écart pour un moment.
Shit Just Got Real nous emmène sur un terrain plus familier, avec le premier featuring de l’album en la personne de Sen Dog (Cypress Hill). Du bon gansta rap des familles avec un petit truc en plus, une dose d’authenticité crasse qui fait toute la différence avec les collègues de la côte ouest, car lorsque les mecs proclament « You talk the talk, you’d better walk the walk » (« Si tu te la joues, tu ferais mieux d’assurer »), on y croit sans hésiter et ça fout la trouille.
En parlant de featurings, citons également l’apparition inattendue de Dita Von Teese sur Gucci Coochie, une touche d’élégance et de chaleur, bouffée d’oxygène salvatrice au cœur de la froideur d’une rythmique électronique sombre comme l’arrière-salle d’un club minable à trois heures du matin. Et puis, il y a Jack Black. Tout à fait dans son élément sur le génial Rats Rule qui aurait pu figurer sur n’importe quel album de Tenacious D, il nous rappelle qu’au final, tout cela n’est qu’un disque, c’est pour rire ! Enfin, normalement.

Photographie : Amanda Demme
Alien par exemple, sonne sacrément vrai… Douce berceuse d’apparence innocente, le titre voit Yolandi se pencher sur une enfance solitaire marquée par la souffrance d’être différente, une douleur qu’elle a transformée en force et qui s’exprime au travers de cette rime édifiante : ”They laugh at me because I’m different/I laugh at them because they’re all the same” (Ils se moquent de moi parce que je suis différente/ Je me moque d’eux parce qu’ils sont tous les mêmes)
On ne ressort pas indemne de l’écoute de Mount Ninji and Da Nice Time Kid et il y aurait sans doute encore plus à dire, tellement cet album vous laissera des marques de morsures aux oreilles et peut-être même quelques lésions internes pour peu que vous vous laissiez prendre au piège par l’univers pervers et terriblement réel de Die Antwoord. Si la fin du monde approche à grands pas, alors en voici la bande originale.
je les avait découvert avec Far Cry 3, merci pour cet article sur un groupe réellement intéressant et novateur.