Django Unchained : Samuel Jackson,Tarantino et la promo

Django Unchained : Samuel Jackson,Tarantino et la promo

C’est peu dire que Django Unchained (en salles depuis le 16 janvier) déchaîne les passions sur le web et ailleurs. Tarantino a l’habitude : depuis Reservoir Dogs, presque tous ses films ont suscité des réactions épidermiques plus ou moins aigues dans le débat public. Pour le plus grand bonheur des internautes, les deux sujets de polémique entourant Django (à savoir : un supposé racisme et son extrême violence) ont donné lieu ces dernières semaines à deux échanges vidéo particulièrement relayés sur le web. Décryptage.

Chahutée par les piques de Spike Lee et la tragédie de Newton, la promotion de Django Unchained n’a pas été de tout repos pour ses talents… ni pour certains journalistes. Deux vidéos, particulièrement relayées sur le web, ont contribué au tohu-bohu. La première, plutôt bon enfant malgré l’incontestable malaise du journaliste impliqué, concerne Samuel Jackson. Il s’agit d’une interview menée le 15 décembre dernier par le jeune Jake Hamilton, spécialiste cinéma de la chaîne KRIV-TV, basée à Houston et affiliée au réseau Fox. Comme des dizaines d’autres confrères ce jour-là, Jake Hamilton participe au “press junket” organisé par Sony au Ritz Carlton de New York.

Il est alors le dernier journaliste à interviewer successivement les “talents” de Django Unchained (Quentin Tarantino, Jamie Foxx, Kerry Washington, Christoph Waltz et Sam Jackson), pour l’émission Jake’s take qu’il anime sur KRIV-TV. Samuel Jackson est sa dernière interview de la journée et rien ne présage que la poignée de minutes alouées à la rencontre sortira du ronron usuel de ces entretiens à la chaîne qui portent bien leur nom. Sauf que si.

VIDEO 1 : Interviews de Tarantino et du cast de Django Urchained menées par Jake Hamilton
pour KRIV-TV : interview de Samuel Jackson à partir de 14’00

 

Alors qu’il débute une question à Samuel Jackson sur l’utilisation du mot “nigger” plus d’une centaine de fois dans Django Unchained, Hamilton refuse lui même de prononcer ce qu’il considère comme un terme infâmant et parle, à la place, de “N word”… Lourde erreur. Agacé/amusé par la pudibonderie du journaliste blanc, Samuel Jackson coupe sa question par un malicieux “No… Nobody ? None ?… Quel est donc ce mot ?”, plongeant Hamilton dans un abime d’embarras. Refusant obstinément de prononcer le terme scandaleux, Hamilton se voit intimer l’ordre de le faire par Jackson via un “Say it !” qui a fait depuis le tour du web. Le jeune intervieweur ne cédant pas sous la pression intimidante de la star, il passe à une autre question et l’entretien retrouve une ambiance bon enfant jusqu’à son terme.

Notons au passage que Jake Hamilton a soigneusement laissé le buzz circuler aux dépends de sa fiole puisque c’est lui même qui a gardé la séquence au montage, la plaçant à la queue de ses autres interviews du jour sur la chaîne youtube de son émission. La vidéo a végété deux bonnes semaines avant qu’un usager du site communautaire Reddit ne la remarque et la poste sur le site. Ironiquement, Samuel Jackson, qui ne répondra donc pas à la question d’Hamilton puisque ce dernier refuse de prononcer le terme “nigger”, a déjà été confronté au même type de controverse en 1998, à la sortie de Jackie Brown, du même Tarantino. A l’époque, Spike Lee, encore lui, avait déjà reproché au film l’usage qu’il estimait abusif du terme “nègre” et Jackson s’était aussi exprimé sur la question.

 

VIDEO 2 : Interview de Quentin Tarantino par  Krishnan Guru-Murthy pour Channel 4. La dispute commence à 4’30 dans la vidéo.

 

Revenons à Django… Le malaise monte carrément d’un cran avec la seconde vidéo. Il s’agit cette fois d’une interview de Quentin Tarantino par Krishnan Guru-Murthy, journaliste présentateur des news du soir sur la chaîne britannique Channel 4. Krishnan Guru-Murthy, 42 ans, n’est pas un amateur : professionnel de la télé depuis l’âge de 18 ans, où il débuta en présentant des programmes jeunesse pour la BBC, il est recruté en 1998 par Channel 4, où il a couvert un large spectre de l’info, de l’actualité internationale à la politique. C’est un intervieweur chevronné, qui n’a pas envie de se limiter à la soupe tiède habituellement servie à Tarantino par certains journalistes spécialisés. Qui plus est, l’interview est réalisée dans le cadre généraliste du JT de Channel 4, à l’occasion de la venue à Londres de Tarantino pour la promotion du film.

Le réalisateur doit donc bien se douter qu’il n’aura pas droit qu’à des questions de cinéphile mais davantage orientées “news”. Et l’autre polémique entourant Django Unchained, après les (vaines) accusations de racisme, porte une fois encore sur sa violence. Dans Django… comme dans 99% de l’oeuvre Tarantinienne (hormis Jackie Brown), le sang coule à gros bouillons lors de décharges d’adrénaline libératrices et jubilatoires. Ca ne plait évidemment pas à tout le monde et le couvert est remis sur la potentielle nocivité des carnages tarantinesques. Le débat n’aurait sans doute jamais eu lieu si, quelques jours avant la première mondiale de Django Unchained, la fusillade meurtrière de Newton n’avait pas éclaté aux Etats-Unis, laissant le pays en état de choc et conduisant les producteurs du film à annuler purement et simplement la soirée de lancement. Comme avec The Dark Knight Rises et la tuerie d’Aurora quatre mois plus tôt, des observateurs reprennent l’increvable débat sur l’éventuelle influence de la violence dans les films sur une certaine jeunesse paumée. Consternant raccourci, certes, nous sommes les premiers à le clamer au Daily Mars. Mais en même temps, il parait tout à fait normal qu’un journaliste du statut de Guru-Murthy amène la polémique sur le tapis.

Sauf que Tarantino ne l’entend absolument pas de cette oreille. A l’évidence mal luné dés le début de l’interview, le réalisateur se crispe un peu plus dés que le journaliste lui demande “Pourquoi aimez-vous faire des films violents ?”. La réponse de Tarantino fuse et, pour le coup, on a bien envie de lui donner raison : “Je ne sais pas, c’est comme demander à Judd Apatow pourquoi il aime faire des comédies !”. Deux minutes plus tard, l’échange entre les deux hommes tourne au duel frontal. A la question “Pourquoi etes vous si sur qu’il n’y a aucun lien entre aimer la violence dans les films et aimer la violence dans le réel ?”, Tarantino part en vrille, excédé qu’on lui reproche implicitement encore et encore la violence de son oeuvre : “Je refuse votre question… Je ne suis pas votre esclave et vous n’êtes pas mon maitre, vous ne ferez pas danser sur votre petite musique, je ne suis pas un singe !”.

Tarantino lui claquant la porte au nez, Guru-Murthy tente alors de passer par la fenêtre et cite Jamie Foxx sur la violence. Peine perdue : Tarantino ne le laisse même pas terminer sa phrase et le rembarre d’un très sec “C’est à Jamie Foxx que vous devriez en parler. D’ailleur il est ici donc vous pouvez le faire”. Et le réalisateur de déraper avec une terrible phrase assassine qui, à elle seule, a le mérite de faire tomber le masque de l’interview promo : “Je refuse de répondre à votre question parce que je suis ici pour vendre mon film. Tout ceci (il fait un geste la main pour désigner leur échange – ndlr) est juste de la pub pour mon film, ne vous y trompez pas”. Ouch. Et voilà donc Krishnan Guru-Murthy, grand reporter ayant couvert le 11 septembre, divers conflits autour du monde et animé plusieurs débats politiques sur Channel 4, réduit par Tarantino au triste rang de spot publicitaire pour la promo de Django Unchained.

 

 

Le journaliste ne se démonte pas :Vous ne voulez donc parler de rien de sérieux ?” Tarantino : “Je ne veux pas parler de ce dont VOUS voulez parler. Je refuse de parler des conséquences de la violence pour la bonne raison que j’ai déjà tout dit sur la question. Tout est sur Google, je n’ai pas changé de position depuis 20 ans”… Devant l’insistance de KGM, Tarantino assène un “I’m shutting your butt down” désormais aussi célèbre sur la toile que le “Say it !” de Jackson. Et le réalisteur répète, séparant bien les syllabes comme s’il s’adressait à un dur d’oreille ou un débile : “Ceci est une publicité pour mon film !”. Krishnan Guru-Murthy s’efforce d’expliquer à Tarantino que son job de journaliste est d’aborder des sujets sérieux et de solliciter la pensée du réalisateur sur sa responsabilité sur la violence. Mais Tarantino persiste :”Et moi je vous dis non”.

Aussi embarrassante qu’elle soit, la tournure de cette interview n’en reste pas moins fascinante. Les masques sont tombés, nous sommes dans un moment de vérité tellement plus captivant que le blabla ronronnant de ces interviews promo définies par Tarantino lui-même comme de la publicité pure et simple pour son film. Sur le fond du débat sur la violence, la réaction de Tarantino est compréhensible : régulièrement interrogé sur le même thème-tarte à la crème depuis Reservoir Dogs, on peut tout à fait concevoir qu’un beau jour le ras le bol ne soit plus contrôlable et que les nerfs lâchent. Pas de chance pour Krishnan Guru-Murthy, c’est tombé sur lui. Mais la violence de la réaction du réalisateur a de quoi nous questionner sur la fonction exacte du journalisme dans le cadre d’une interview “artistique” et la façon dont nous perçoivent les “talents” lors de ces fameux press junkets.

Pas de scoop bien sûr mais pour les esprits naïfs qui en doutaient encore, Tarantino remet les pendules à l’heure : interviewer un “talent” en promo n’est pas à proprement parler du journalisme. C’est du complément de communication pour le distributeur du film, en plus des achats d’espaces publicitaires. Nous, journalistes, ne sommes perçus par les responsables marketing d’un film (ou d’une série télé ou de toute autre oeuvre artistique…) que comme la continuation de la publicité par d’autres moyens. Oui, je paraphrase Sun Tsu. Ou Von Clausewitz, je ne me rappelle plus, les plus cultivés corrigeront. Plus ou moins enthousiastes à l’exercice du “service après vente”, les artistes anglo-saxons sont ainsi généralement payés à la journée pour causer aimablement à la presse, dans un seul but légitime : donner envie au public de consommer l’objet de leur promo. Je suppose qu’il en va de même pour leurs homologues français, mais n’ayant pas d’info précise sous le coude, je me garderai bien de généraliser.

Toujours est-il qu’en période de promotion autour de la sortie du film, Tarantino, comme ses acteurs, touchent un cachet par journées d’interviews. Pour eux, cette partie inévitable du job est aussi généralement la moins appréciée. La plupart, à l’image d’un Will Smith toujours hilare sur les plateaux, s’y prêtent de bonne grâce à condition que les questions de dérangent pas trop. Les stars les plus liberticides imposent à l’avance aux journalistes, via des consignes des services de presse, de ne surtout pas aborder tel ou tel sujet jugé gênant. Les autres se contentent d’assurer un service minimum par des réponses les plus évasives possibles agrémentées de la petite pirouette humoristique de rigueur coupant court à tout échange. Tarantino, dans une attitude à mi-chemin entre l’arrogance et la franchise louable, a tout simplement volé dans les plumes de cet insolent petit journaleux britannique qui osait lui demander des comptes.

Le plafond de tolérance à la “question qui dérange” s’abaissant d’année en année, la presse écrite elle-même s’affaissant sous le poids de sa propre déchéance, les journalistes sont de moins en moins en position de force pour lutter contre le mépris qu’illustre ce système à leur endroit. D’où dilemme : rentrer dans le rang, accepter de s’en tenir aux questions aimables pour ne pas froisser les talents et contribuer à l’édulcoration ambiante d’interviews toujours plus contrôlées par les big brothers du marketing ? Ou persister à poser les questions qui fâchent, comme l’a fait Guru-Murthy, quitte à courroucer l’interviewé ? Quelle est la juste raison d’être de ces interviews promo ? “This is just a commercial for my movie, make no mistake…”…. A méditer !

 

La critique de Django Unchained par John Plissken, c’est ici.

La mini-review de Django Unchained par le Dr No, c’est là.

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