
DMM #8 : Le Western Samplé
Mon ami Schwarzie l’avait dit : “I’ll be back”. Après une salve inaugurale où je vous ai exposé les tenants et les aboutissants de l’état d’esprit mashup, le Daily Mashup Mars revient avec l’ambition de décortiquer les icones POP et de plonger dans leurs hommages et leurs détournements.
The Revenant d’Alejandro González Iñárritu vient de sortir. L’occasion pour nous de revenir sur la figure du western. Comment les mashupeurs-remixeurs-sampleurs s’emparent-ils du mythe du Grand Ouest ?
Tout d’abord, avec sobriété et humilité, en compilant ce qui fait la substantifique moelle du genre. Qu’y a-t-il au centre de tout bon western ? Je vous le donne en mille : le duel de flingues. Le new-yorkais Andrew Kozlowsky fait étalage de son art du montage dans Once Upon a Shootout. Il orchestre l’hybridation de sept westerns pour ne former qu’un seul et même duel. Il crée cette unité en utilisant un procédé classique de raccord regard et une seule musique, le thème principal de Pour une poignée de dollars composé par Ennio Morricone. Rien de nouveau sous le soleil me direz-vous. À côté du sempiternel monument Le Bon, la brute et le truand de Sergio Leone, on remarquera tout de même la présence de Leonardo DiCaprio (époque “Leonardo di CARPACCIO” avec son visage poupon) et Sharon Stone en cowgirl dans le Mort ou Vif de Sam Raimi.
Ce film recycleur nous éclaire sur l’essence même du mashup : créer un pur plaisir de cinéphile en concentrant nos personnages préférés dans un même film et démultiplier ainsi l’émotion. Ce Once Upon là, c’est un peu comme si on nous offrait un gâteau avec de multiples couches de différents chocolats et autres sucreries.
Si vous voulez aller plus loin dans le délire culinaire, je n’ai qu’une chose à vous dire : regardez Gunslinger ! Un travail de malade mental où les collectionneurs de Smash TV ont compilé trente ans de western en une heure de mashup. Dans notre époque où chaque seconde compte, qui peut consacrer une heure à regarder un mashup non narratif de ce genre ? Personne à part peut-être quelques fous furieux qui hantent les pages du Daily Mars. Pour un tel acte de bravoure et de rébellion face au diktat du temps compté, j’épouse quiconque réussit à regarder ce mashup intégralement d’une traite. Je précise que je suis très beau d’où l’aubaine et que cette belle union restera platonique si vous êtes un homme. Pour les autres, jetez un œil tout de même aux premières minutes. Leur logique de supercut vaut le détour avec un passage en revue de toutes les figures emblématiques : les gros plans regard, les bottes, les chapeaux, les instruments à vent du héros qui sont là pour dire à l’adversaire “j’ai tellement pas peur de toi que je vais te jouer un petit air de pipeau.”
Sa nature de “puzzle aux pièces hétéroclites” rend le cinéma mashup toujours assez calorique visuellement. Cependant, il peut être également pure figure de style musicale et élégant petit pas de côté. Avec Exit, Reborn Identity amorce un regard quelque peu différent en apposant sur des westerns vus et revus une musique autre que l’originale morriconienne. Cette œuvre transformative reste dans le même univers que les œuvres qu’elle emprunte. Elle les teinte toutefois d’une petite touche de modernité.
Avec THE GOOD THE BAD (Funkdooby Video Edit), l’allemand Falk Peplinski crée un décalage par rapport à la matière filmique originale. Il prend le plus populaire des westerns et le marie avec l’univers hip hop, la “battle” de danse faisant écho au combat armé des cowboys. Le Mashup est Réappropriation. Peplinski amène sur son terrain ce qu’il a vu en tant que spectateur. Il prend des images qu’il n’a pas tournées et les pare de ses valeurs morales propres. Ainsi, ce remix de la musique de Morricone (encore lui) est plus fun, moins agressif. Si le hip hop se voulait revendication de la jeunesse, il n’en est pas moins plus pacifiste que la moralité qui l’a précédé, celle de Charlton Heston “et vas-y que j’ai le droit constitutionnel de flinguer à tout va avec ma carabine si on me cherche”. On peut désormais s’affronter sans arme grâce à la danse. Ce clip vidéo montre au passage à quel point le cinéma mashup doit tout au sampling musical.
Quittons l’ère du sample et du remix musical pour entrer dans celui de la musique mashup, c’est-à-dire la rencontre de deux morceaux mélangés l’un avec l’autre. Dans For a Fistful of Brooklyn Babies, la musique de Morricone rencontre celle de Lana Del Rey. La voix suave de cette dernière confère une sophistication et une élégance nouvelle aux sonorités du vénérable compositeur. Visuellement, DJ Rozroz transcende le côté low-tech des effets spéciaux qu’il utilise par un envoûtement. Cette image inanimée du visage de Lana Del Rey fixant et flinguant imperturbablement son adversaire Clint Eastwood est en fait très expressive. Elle apporte une véritable ambiance subversive anti-machiste.
Contrairement à la Sharon Stone de Mort ou Vif qui singe l’homme, il y a là selon moi une proposition anti-testostérone. Je ne vous l’apprends pas mais vous le rappelle : le western est un monde où le seul but dans la vie est de dégainer son engin avant l’autre. La féminité y a rarement sa place et John Wayne veille au grain pour qu’elle reste dans sa cuisine. Lana Del Rey nous dit là que le monde va quelque peu changer.
The Good, the Bad & the Creepy réconcilie pudding, spaghetti et tortilla. Phil RetroSpector y marie la voix habité de Thom Yorke, l’oiseau rock british tombé du nid de Radiohead, les fulgurances du maestro italien et les virevoltes ibériques. Dans cette vidéo, il n’y a pas une image de western, mais l’air morriconien est si fortement ancré dans la vision que l’on a du genre, que ces danseurs de flamenco passent pour des cowboys. On aime ou pas, mais on doit avouer que la force du mashup réside dans sa capacité à faire mumuse avec notre imaginaire collectif.
La Classe américaine, elle, nous sort de cette petite musique qui trotte dans la tête et fonctionne dans une logique de rupture. Rupture avec ses prédécesseurs : elle tue le père mashup musical et s’affirme comme un film de fiction et non un clip vidéo.
Rupture avec les films empruntés : Michel Hazanavicius et Dominique Mézerette ont tout mis en œuvre pour nous faire voir ces films et ces grands acteurs autrement, gorger de fiel leur politiquement correct. Petit extrait western du film :
Si jamais vous n’avez jamais vu ce long métrage cultissime et fondateur en version restaurée, rendez-vous sur Mashup Cinéma.
Ce mashup est Détourneur. Mais que l’on ne s’y trompe pas : s’il tourne en dérision ces films hollywoodiens, il est un des principaux artisans de leur popularité auprès des nouvelles générations. La non-autorisation de distribuer ce long en salle est donc une ineptie dont commence à se rendre compte les grands studios hollywoodiens. Et nous sommes une poignée de réalisateurs à vouloir entrer dans cette nouvelle ère en travaillant sur un long métrage collectif partageant un même esprit de remploi iconoclaste. Oyez, oyez spectateurs, chercheurs, réalisateurs ou producteurs ! Tous ceux qui veulent nous rejoindre dans cette aventure sont les bienvenus !
Mais revenons à nos moutons noirs et concluons cet article par une autre revisitation radicale du mythe, cette fois-ci axée en premier lieu sur la bande visuelle. Dans son Color Shoot (Western Fantasy), Johanna Vaude retravaille numériquement le grain et la colorimétrie pour nous immerger dans sa vision du Grand Ouest. Une vision très Noir&Blanc quand il s’agit de virilité belliqueuse cowboyenne. Plus colorée et chatoyante musicalement quand elle dépeint les indiens d’Amérique. Mais alors pourquoi diable la poudre et les balles sont-elles en couleur ?
Selon les propres termes de la réalisatrice, « Color Shoot est une rêverie autour de l’iconographie du western, empruntant à l’esthétique de la bande dessinée.”
Le mashup est la Machine à Recréation Graphique. Quand je vous disais que le geste mashupien se rapproche du geste du peintre.
Rendez-vous le mois prochain avec les Super-Héros !