Documentaire « Showrunners » : interview de Des Doyle (1/2)

Documentaire « Showrunners » : interview de Des Doyle (1/2)

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Showrunner. Le métier le plus convoité de la plupart des scénaristes de télé, mais aussi la responsabilité la plus dure à assumer. Ces hommes et femmes qui restaient dans l’ombre sont de plus en plus devenus les canaux de communication de leurs propres séries dans les médias et sur les réseaux sociaux. Une équipe irlandaise menée par Des Doyle, dont c’est le premier film, a réuni, pour le documentaire Showrunners, un who’s who de la profession : de Joss Whedon et JJ Abrams à Hart Hanson (Bones), en passant par Janet Tamaro (Rizzoli and Isles) et Jane Espenson (Husbands, Caprica). Disponible aux Etats-Unis depuis vendredi dans quelques cinémas et sur iTunes, Showrunners est un travail exceptionnellement dense, abordant un maximum de facettes du métier. Doyle suit plusieurs d’entre eux sur le tournage et en train de travailler avec leur pool de scénaristes. Dans la première partie de cette interview, on revient avec lui sur le travail de longue haleine pour réussir à produire ce documentaire, faire appel à Kickstarter, et des showrunners redevenant scénaristes.

Les réalisateurs de Bones se réunissent. (Crédit : Submarine Deluxe)

Les réalisateurs de Bones se réunissent. (Crédit : Submarine Deluxe)

Qu’est-ce qui vous a pris autant de temps pour finir le documentaire et le sortir en VOD et au cinéma?

Des Doyle : Il y a plusieurs raisons à cela. C’est mon premier film, et lorsque je suis parti à Los Angeles il y a quatre ans, personne n’avait entendu parler de moi. Pour commencer, c’était très compliqué de rencontrer des gens et de les faire parler face caméra. Tourner avec le premier intervenant du film nous a pris quatre mois, et ensuite il a lentement fallu contacter une personne pour en contacter une autre, et ainsi de suite. Petit à petit, on a créé une dynamique autour de nous, et avec la persévérance de certains scénaristes que nous avons rencontré et d’autres personnes rencontrées lors de meetings ou d’évènements, le bouche-à-oreille a commencé. A ce moment-là, plusieurs opportunités se sont présenté, donc le film est devenu quelque chose de plus large que ce que j’imaginais au départ. D’un autre côté, on est arrivés à la post-production et au montage et on a dû travailler sur un documentaire de 90 minutes à partir de plus de 100 heures de rushes. C’était très difficile et le montage nous a pris un an. Ensuite, le gros obstacle qu’on a surmonté c’est toutes les demandes d’autorisations : les jaquettes, les acteurs, les extraits de séries, et le fait qu’on ne pouvait pas se permettre ce que d’autres paient pour ces droits avec notre minuscule budget. Donc, tout a dû être négocié. On a dû remonter certains passages parce qu’on ne pouvait pas obtenir les droits pour les éléments des séries respectives.

Vous venez de préciser qu’il y a environ 100 heures de rushes, et vous avez eu accès aux plateaux de tournage comme celui de Bones. Est-ce que vous avez trouvé comment structurer le documentaire tard dans la production, tel qu’on peut le voir aujourd’hui?

On savait qu’on avait deux arcs majeurs dans le film : celui de Matthew Michael Carnahan (créateur de House Of Lies, visible sur Jimmy), et celui de Mike Royce (créateur de la série de TNT Men Of A Certain Age, annulée après 2 saisons et inédite en France, NDR). L’essentiel avec un documentaire, c’est qu’il y a un million de façons différentes de raconter une histoire. On est partis dans une certaine direction et on a fini par en conclure qu’elle ne fonctionnait pas aussi bien que ce qu’on espérait. Donc on a opéré deux virages à 180 degrés dans la deuxième moitié du film, qui est la version définitive. Donc il y avait des histoires que l’on voulait raconter, mais il y a eu pas mal de réorganisation.

Avec le petit budget de Showrunners, vous avez fait appel à Kickstarter pour financer la postproduction et terminer le film. Après le panel du Comic Con et une campagne sur Internet et auprès des sériephiles, est-ce que cela a aidé à faire parler du projet et a aidé à obtenir un accord de distribution aux Etats-Unis?

La campagne Kickstarter a fonctionné pour nous. D’abord, on a choisi la pire période pour lancer une campagne, qui était en décembre : elle s’est terminée le jour de Noël. C’était un passage obligé car on devait rentrer en postproduction en janvier 2013. Ce qui a permis que ça marche, essentiellement, c’est que beaucoup de showrunners qu’on a interviewé se sont fait nos porte-paroles sur les réseaux sociaux, à travers des posts sur leur blog, sur Facebook, sur Twitter. La plupart ont donné eux-mêmes, parce qu’ils croyaient en nous et voulaient que le film sorte. Le trailer que nous avons tourné pour la campagne a eu environ 250 000 vues à l’époque. Cet ensemble de facteurs a aidé à améliorer notre visibilité aux Etats-Unis. On a eu beaucoup de retours médiatiques positifs, notamment après notre premier trailer, qui a amené plus de personnes à le regarder. Je pense qu’on avait beaucoup d’angles intéressants en notre faveur : on était un film, on parlait de télé, avec beaucoup de genres de série représentés. Donc on avait trois bons points en notre faveur.

Matthew Michael Carnahan donne des instructions à Kristen Bell sur le plateau de "House Of Lies".

Matthew Michael Carnahan donne des instructions à Kristen Bell sur le plateau de « House Of Lies ».

Ce qui m’a surpris dans le documentaire, c’est qu’il y a deux aspects : le rush créatif dont parlent les showrunners, et le fait qu’il y a beaucoup de pressions et de maux découlant du poste. Au Comic-Con 2013, j’ai retranscrit les anecdotes horribles sur la gestion de la production, devoir faire 100 choses dans une même journée, et à quel point ce devait être épuisant. Et en réalité, dans le documentaire fini, il y a moins de ce sens de catharsis mis en avant. Est-ce que vous vous êtes efforcés de trouver un équilibre dans ce que vous disaient les intervenants?

Les choses ont beaucoup changé au fur et à mesure. Beaucoup de personnes ont vu le documentaire, des documentaristes expérimentés, des monteurs… Ils étaient de l’opinion que l’on s’accrochait un peu trop à cet aspect-là des choses, et qu’en conséquence, certaines personnes pouvaient paraître sous un mauvais jour, en quelque sorte. C’est un poste extrêmement difficile, et je ne tiens pas à minimiser leurs propos, mais ce n’est pas comme s’ils travaillaient dans une mine. On a effectivement atténué cet aspect. Mais on conserve une idée de leur labeur et des sacrifices que cela implique.

On assiste à un phénomène d’anciens showrunners qui rejoignent le staff de séries pour écrire des épisodes : le staff de Homeland était composé notammant de Meredith Stiehm (Cold Case) et Chip Johannessen (MillenniuM, Dexter), et plus récemment, l’exemple de Glenn Gordon Caron (Clair de Lune, Medium) sur Tyrant (FX). Comment expliquez-vous ce retour après avoir occupé un poste si haut?

Ce que dit Bill Prady dans le film, cela vaut pour les personnes qui ont été showrunner de séries toute leur carrière. Ce qui se passe en ce moment, avec la multiplication des débouchés pour avoir sa série et de demande du public pour du drama original, c’est que des scénaristes expérimentés sont rares sur le terrain, tout comme des showrunners d’ailleurs. Glenn Gordon Caron, Chip Johannessen, tous ces gens ont eu leur propre série, qui a duré plusieurs années, mais il y a une différences avec ce que Bill expliquait, à savoir aller de série en série et être showrunner à chaque fois. Il y a des périodes creuses, comme entre Clair de Lune et Medium, par exemple ; c’est plus facile de revenir en tant que scénariste, la pression y est moindre. Et il y a toujours beaucoup d’argent à gagner, parce qu’ils vont négocier à un niveau confirmé, avec leur expérience acquise. On vit dans un monde où XBox, PlayStation et Amazon produisent leurs propres séries. Donc des scénaristes vraiment expérimentés se font rares sur le terrain.

Sur la page Kickstarter vous avez décrit le film comme étant fait « par et pour des fans de télé ». Or il explique beaucoup une partie des termes techniques du métier et de l’écriture de ces séries à un large public. Est-ce que ce documentaire est accessible à tous, néophytes comme sériephiles?

On a essayé de trouver un équilibre dans notre ciblage entre des sériephiles hardcore, ceux qui lisent et regardent tout, et également un téléspectateur beaucoup plus lambda, quelqu’un qui regarde The Good Wife chaque semaine. J’essaie de trouver un bon dosage, croisons les doigts, et d’après les retours qu’on a eu jusqu’à présent, il semble qu’on ait réussi auprès de la plupart de notre public. Pour ceux qui sont des aspirants scénaristes et essaient de percer dans l’industrie, en espérant avoir leur propre série un jour, on espère qu’ils auront assez d’informations qui leur soient utiles ; et qu’il y a quelque chose d’intéressant pour le téléspectateur normal. Le livre est une version approfondie du film ; il y a des informations utiles dedans.

Il y a des séquences à l’intérieur de la « writers room » (pièce où se réunissent les scénaristes), vous avez eu accès à celle de Spartacus et celle de Sons Of Anarchy, où les arcs de la saison 4 sont détaillés. A quel point c’était compliqué d’avoir les autorisations de tous les studios, et de convaincre les équipes de vous laisser les voir à l’oeuvre lors d’une journée normale de travail?

Rien n’était facile. Ce qu’on pouvait faire et ne pas faire dépendait des séries. Par exemple, Kurt Sutter nous avait donné l’autorisation de filmer dans la writers room avant que l’équipe ne change d’avis. Steve DeKnight et Spartacus ont été très coopératifs avec nous, tout comme Starz. Néanmoins, la chaîne a demandé à voir l’intégralité des rushes avant d’accepter.

Ont-ils expliqué pourquoi ils avaient besoin de ce droit de regard?

Pas tellement à cause des spoilers, mais parce qu’ils craignaient que quelqu’un dise quelque chose de mal contre la chaîne, ou qu’elle soit mal représentée dans les extraits. En ce qui concerne les spoilers, certains étaient tendus à l’idée que l’on filme les tableaux (détaillant les arcs et intrigues), mais comme Hart Hanson (showrunner de Bones) a fait remarquer, le film sortirait bien plus tard. Toute la saison a été diffusée depuis très longtemps, et ce ne sont pas des spoilers à moins de n’avoir jamais vu la série. Le staff de Fringe nous a explicitement dit de ne pas filmer les tableaux.

Sont-ils protecteurs envers leur travail et les épisodes qu’ils écrivent?

De ce point de vue, en réalité, la writers room est sacrosainte. On a été dans les locaux de chaque série pour les regarder écrire, qu’ils s’habituent à notre présence. Une fois que je sentais qu’ils retournaient à un rythme plus normal, j’intervenais et leur posais des questions. Toute sorte de choses précises relatives à une série, les gens l’ont déjà vu. Je ne me permettrais pas de faire ça, je déteste les spoilers moi-même.

Dans la deuxième partie : l’absence des cadres des networks, la réaction du public au Comic-Con et dans les festivals, et la potentielle diffusion du documentaire en France.

Showrunners Trailer from Showrunners Documentary on Vimeo.

What took you so long to get the footage you shot a while ago released just now?

Des Doyle : There’s a couple of different reasons for that. I’m a first time director, and when I moved to L.A. four years ago, no one ever heard of me. It was very difficult to get in touch with people and meet them to start off with. It took us four months to get the first people on camera, and after that, it was kind of a slow build of getting one person to get to another person. Slowly, you start to build a momentum, and to the insistence of some writers and to the insistence of some of the people we met at various events, people started to spread the word about us. And as that was happening, different opportunities started to present themselves, so the film grew to be that became something bigger than what I thought it was gonna be. Then, on the flipside of that when we got to the editing and post-production, and because we had more than 100 hours of footage, trying to cut that down to 90 minutes, which would be the workable time. It was extremely challenging and it took us nearly a year to edit the film. Then the big challenge we faced was clearing the material : the artwork, actors, clips from shows, and because we couldn’t afford to pay within our low budget. We couldn’t afford to pay the rights people normally pay for the footage. So, everything had to be a negotiation. We had to go back to the documentary and clear things again, because we couldn’t be able to clear some of the footage.

You said there were 100 hours of footage and you’ve been on a couple sets, like the « Bones » set. Did you find the structure of the documentary really late in the game, as it is now in theaters?

We knew we had two major arcs in the film : the one of Matthew Michael Carnahan on [the first season of] « House Of Lies » and Mike Royce on « Men Of A Certain Age ». The thing about a documentary is that there are a million ways to tell a story, so we kind of went down a certain road and we came to the conclusion that didn’t work as well as it could have. So we did a couple radical turnarounds in the second half of « Showrunners », which is where the film has landed now. There are things we knew were the stories we wanted to tell, but there was a lot of reorganization.

There was also a low budget on « Showrunners » : you did a Kickstarter campaign to do post-production and to finish the movie. After doing the Comic-Con panel and sort of this Internet campaign, did that raise extra awareness that got you a distribution deal in the U.S. and such?

The Kickstarter campaign worked for us. First of all, we picked one of the absolute worst times of the year to do a Kickstarter, which was December. Our Kickstarter finished on Christmas Day [2012]. It was out of necessity because we had to go to postproduction in January. The main reason why it worked is that a lot of the showrunners themselves kind of banged the drum for us on Twitter, Facebook, with posts talking about us. Some of them donated to our Kickstarter campaign, because they believed in us and they wanted the film to happen. So, through their help, it spread very quickly. The trailer piece we shot for that Kickstarter campaign was very well received. I believe it had around 250, 000 views. This combination of things really helped raise the profile in the U.S. We got a lot of really positive press in the U.S. People picked up on the first trailer that we released, and that got a lot of people watching as well. I think we crossed a lot of things for the press : we’re a film, we’re about television, there’s a lot of different genres represented in the film. So, we kinda tick three boxes.

What surprised me is that there are two aspects in this documentary : the creative kick people talk about, and the fact there is a lot of pressure and pain. At the Comic-Con panel back in 2013, I wrote about the awful experiences of dealing with the production day-to-day, dealing with 100 things a day, and how exhausting that must have been. Actually, I found that in the finished documentary, there is a little less of the sense of catharsis that I felt. So did you strive to make a balance in what the people were telling you about their jobs?

Things changed an awful lot as we went along. We had some people come along and view [the documentary], editors, experienced documentary filmmakers. There was a sense that we were harping too much on that end of things, and as a result, some of the guys were coming across a little negatively, possibly. It’s an incredibly difficult job, I’m not taking that away from what they’re saying, but it’s not like they work in a coal mine. We did dial back on that element of things. But you do get a sense of how hard people work and the kind of sacrifices involved in the job.

There is a phenomenon of former showrunners going back to just writing episodes in recent years. The writing staff on « Homeland » had Meredith Stiehm (« Cold Case ») and Chip Johannenssen (« Millennium ») ; recently, « Medium » creator Glenn Gordon Caron on FX’s « Tyrant ». How do you explain going back to writing episodes after occupying such a high-level position?

The point that Bill Prady is making in the film is that it’s specific if you’ve been running shows your whole career. There is a thing going on at the moment, because there’s so many new outlets, and people looking for original TV drama, that experienced writers are very thin on the ground, experienced showrunners as well. Glenn Gordon Caron, Chip Johannessen, people like that had a show that they’ve been running for a long period of time, but it’s not exactly the same as what Bill was talking about, which is going from show to show and running it every time. There are gaps in between, like the gap between « Moonlighting » and « Medium ». It’s much easier to come back as a writer, there’s far less pressure there. There’s still a lot of money for them to be making, because they’re gonna commit at quite a senior level, with the experience that they have. There’s so many opportunities with original drama… I mean, we live in a world where XBox and PlayStation are making their own TV shows, as well as Amazon. So really experienced writers are thin on the ground.

On the Kickstarter page you mentioned that you did this documentary « by TV fans, for TV fans ». And the documentary certainly explains a lot of the technical sides of the job and of writing these shows to the general public. Is it a documentary that is accessible to everyone, and not casual TV fans?

We try to find a balance between something that would appeal to hardcore TV fans, people who read and watch everything, and also to a far more casual level of TV fan, someone who watches « The Good Wife » every week. I try to find that balance, fingers crossed, and based on the feedback that we’ve had so far, it seems like we’ve achieved that for most people anyway. It you were a TV writer trying to get into the industry, hoping to be a showrunner some day, we hope that there’s enough material there for you ; and that there’s also something in there for the casual fan. The book is also an expanded version of the movie, and there’s something in there as well.

There is some footage of the writers room : you had access to the « Spartacus » writers room, and the « Sons Of Anarchy » where the outlines for season 4 were detailed. How hard was it to get clearance from the studios and convince the crews to let you in these rooms on a regular work day?

Nothing was easy. It was different depending on the shows, of what you can and can’t do. For example, with Kurt [Sutter], we had been given permission to film in the writers room, but they changed their mind about it. Steve DeKnight and « Spartacus » were very open with us, actually. Starz were helpful and supportive, and had to see all the footage before agreeing to it.

Did they explain why they needed to review the footage?

Not as much a fear of spoilers, but fear that somebody was telling something negative about the network, or the possibility of the network being misrepresented. As for spoilers, some were nervous to talk showing the board, but as Hart correctly points out, the movie would come out much later. The season will have been done, and everyone will have seen what’s on these boards. There aren’t spoilers unless you’ve never seen the show. In the Fringe b-roll, they made it very clear to us that we couldn’t film the boards.

Are they actually that protective of the writing material they have?

Absolutely, the writers room is very sacrosanct in that regard. We went to each room and watched them work so they could be used to us being there. Once I kinda felt they were getting back into a normal routine, I would jump in with some questions. Any kind of specifics that people might see, it has already aired. I wouldn’t do that as I hate spoilers myself.

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