
Dossier Des Clips et des Claps, épisode 2 : Mark Romanek
Il n’y a pas que le ciné et Game of Thrones dans la vie et c’est pour cette raison que pour accompagner votre été, le Daily Mars vous propose un dossier sur une sélection de clips réalisés par de grands, parfois très grands noms du 7ème Art. Que ce soit avant, pendant ou après leurs carrières cinématographiques, que ce soit une tentative isolée ou un exercice répété à plusieurs reprises, leurs détours par le clip ne sont jamais passés inaperçus. Passage en revue des troupes…!
Mark Romanek s’est fait discret ces dernières années, que ce soit sur le plan des clips (hormis le tournage du passage de Jay-Z à la galerie Pace pour réciter son « Picasso Baby »), ou des films (rien depuis son Never Let Me Go en 2010). Pourtant, sur ses deux décennies de carrière, quasiment rien à jeter. A mon sens, il surpasse les autres réalisateurs de ce dossier en termes d’acuité visuelle, et pour une raison simple : pour la majorité, sinon la totalité de ses vidéos, il arrive à sublimer les titres des artistes avec lesquels il travaille, en créant souvent des univers visuels entiers et aboutis. Le tout avec un sens diabolique du cadrage et du montage, qualités qu’il sait mettre en retrait suivant les clips. Pourtant, on ne peut pas dire que Romanek ait un « style » particulier, mais plutôt une volonté radicale de suivre son inspiration et ses concepts jusqu’au bout. La preuve en une petite dizaine de vidéos.
De La Soul-Ring Ring Ring (Ha Ha Hey)
Romanek arrive à proposer une variation bariolée sur les clips en noir et blanc du début des 90’s. Mention spéciale à la scène où le stroboscope éclaire les B-boys pendant que Maseo rappe, et le pot de fleur cassé, couverture de De La Soul Is Dead, duquel est extrait ce titre. Grande ironie : malgré la volonté des rappeurs de Long Island de proposer un contenu résolument anticommercial, le single (et l’ajout de Maceo Parker au sax) sera un succès international. En partie, aussi, grâce au clip.
Lenny Kravitz- Are You Gonna Go My Way
Romanek a le chic pour capturer et sublimer des groupes en utilisant des plateaux élaborés. Les gigawatts dégagés par Kravitz et son groupe, en plein trip rétro, sont mis en valeur par une scène circulaire, avec un public en transe sur 3 étages, allouant une qualité de manège rock irrésistible. Les idées d’éclairage et de réactions du public seront reprises dans le clip « Faint » de Linkin Park, où le groupe apparaît de dos et à contrejour pour les deux tiers du clip.
David Bowie- Jump They Say
Le rétrofuturisme marche toujours, et Romanek filme David Bowie en cadre chic à bout dans une tour de télécommunications (l’ORTF, coucou!). Des big bands enfermés dans une vitrine à un Bowie cadré serré, comme un poisson dans un bocal avec des micros en l’air : à la fois léché et dérangeant, cet extrait de Black Tie, White Noise prouve que Romanek est un élève doué, alors que MTV commence à peine à prendre le pouvoir et l’ère du vidéoclip-roi des 90s se confirmer.
Madonna- Bedtime Story
Michael & Janet Jackson- Scream
Ces deux clips symbolisent les excès du milieu des années 1990, avec des illustrations super-artistiques, et les clips érigés en évènement. Pourtant, entre spiritualité et surréalisme, le clip de « Bedtime Story », s’il capture une certain état d’esprit fashion du milieu des 90’s (sans oublier les relents ambient de la composition signée Björk et Nellee Hooper) est aussi un manifeste artistique intègre, inspiré par des peintres comme Leonora Carrington et Remedios Varo. Quant à « Scream », c’est un délire sci-fi qui casse sculptures, voit Michael Jackson jouer à la chistera de l’espace, et tromper l’ennui avec sa sœurette. Un déluge d’effets spéciaux au noir et blanc poisseux qui n’a rien à envier aux blockbusters de l’époque, malgré un certain goût tape-à-l’oeil pour le morphing. Elles subliment aussi le travail de Tom Foden, chef décorateur qui sera à l’oeuvre sur les films baroques de Tarsem Singh et le One Hour Photo de Romanek. Et clairement, ce vaisseau spatial n’a rien à envier aux meilleurs catalogues art déco.
Eels- Novocaine For The Soul
Toujours en noir et blanc, toujours avec des effets spéciaux antigravitationnels, mais avec des intentions différentes, « Novocaine For The Soul » présentait le blues de traviole de la bande de E en 1996. Le groupe y plane dans une impasse urbaine new-yorkaise, allégorie à peine voilée des effets de la Novocaine. Gracieux, rock’n’roll et décalé : un autre cocktail gagnant pour Romanek et son équipe.
Fiona Apple- Criminal
Garantir la rotation sur MTV de Fiona Apple? Passer au scanner une nouba de Los Angeles avec une Apple qui évolue un peu sonnée. Visuellement une des premières tentatives de description de fête chic et choc duquel Harmony Korine fera ses choux gras plus tard. L’ancêtre de Spring Walkers, en quelque sorte.
Johnny Cash- Hurt
Nine Inch Nails est un des groupes fétiches pour Romanek. C’est aussi la reprise d’une de leurs chansons qui fera un paraphe honorable à la carrière de Johnny Cash, et l’illustration de l’esprit des American Sessions tout entière. A la fois portrait non officiel d’un artiste plein de démons et contradictions et tour de force de photographie, « Hurt » complète visuellement le travail de sape de Rick Rubin pour présenter Cash sans fards, en gardant la charge émotionnelle intacte. Un des exemples les plus mémorables de la dextérité et du perfectionnisme de Romanek mis au service d’un artiste émérite. 4 minutes aussi puissantes qu’un biopic entier du Man In Black.
Jay-Z- 99 Problems
Ce qui, à l’époque, était l’ultime clip et la mise en scène de la mort de l’alter ego de Shawn Carter est une autre photographie brute, cette fois-ci de son New York. Brutalité policière, magasin de disque, voiture au coffre rempli de substances illicites, apparition rarissime de Rick Rubin… « 99 Problems » est un condensé du talent de Romanek, avec cette suprématie dans la composition et la fluidité du montage. New York en immersion, une idée vieille comme la Big Apple et sont le style caméra à l’épaule aurait pu être rance. Pourtant, la maîtrise de Romanek lui confère une énergie qui arrive à la cheville de la musique. Radical, enivrant et résolument antagoniste : une bombe à hydrogène de clip.
Cette sélection est non exhaustive, et ne remet pas en cause les qualités de « Closer » de Nine Inch Nails, entre autres « oubliés ». En bonus, ci-dessous, un montage de 6 minutes reprenant bon nombre de « money shots » des vidéos de Romanek. Bel hommage à un artiste qui a su reprendre des références du milieu de la photographie et des beaux-arts pour les appliquer à un médium volontiers flashy et racoleur.
Samedi prochain : 3e épisode, avec Spike Jonze.