
E3 2016 : quand le Japon s’inspire de l’Occident
L’édition 2016 du salon de l’E3 à Los Angeles s’est terminée il y a quelques jours. L’avènement de la VR de Sony fut un des points importants de ce cru américain, mais on notera surtout l’attaque frontale des grosses productions nippones s’inspirant fortement du game design occidental. Nintendo, Capcom et Square-Enix : ces trois grands groupes japonais tentent de s’en sortir tant bien que mal, et lorgnent de l’autre côté du Pacifique. Un aveu de faiblesse ou une simple manière de s’adapter pour survivre ?
Resident Evil 7 était probablement le jeu le plus intrigant du salon. Mis en avant grâce au Playstation VR, le titre de Capcom était accessible uniquement via une démo, aussi disponible par le Playstation Plus. Elle se présente comme une courte séquence, en vue FPS, où votre personnage doit s’échapper d’une baraque abandonnée dont le niveau d’insalubrité ferait fuir n’importe quel inspecteur d’hygiène. Ambiance crado, plancher qui grince, mannequins flippants avec don d’ubiquité ou apparitions fugaces d’une demoiselle à la coiffure tendancieuse : pour l’avoir testé, il faut bien reconnaître que l’ambiance est extrêmement efficace. On pourrait facilement crier au plagiat en repensant à la démo P.T. de Silent Hills, mais ce n’est pas le genre de la maison.
Ce retour aux sources est assez osé de la part de Capcom. Après les épisodes 5 et 6 qui ont réalisé les meilleurs ventes de la série, mais aussi dégoûté bon nombre de fans qui regrettaient amèrement l’orientation action de la licence, ce septième opus revient à de l’horreur pure. On notera les inspirations, japonaises certes, en pensant au projet avorté Silent Hills, mais surtout de plusieurs titre indés surfant sur la vague de l’expérience « jump scare approved ». Outlast, Amnesia, Soma ou plus anciennement Condemned, ces jeux ont tous la particularité d’être occidentaux. Le genre de l’horreur japonais s’est rarement servi de la première personne comme point de vue, si ce n’est pour certaines features comme la prise de photo dans les Project Zero. L’utilisation de cette caméra pour Resident Evil témoigne bien de la volonté de Capcom de coller à la mode du moment pour s’en servir sur sa plus grosse licence. Et tandis que les premiers épisodes donnaient des petits coups de coude aux nanards zombiesques des années 80, ce septième opus va chercher plus loin pour frapper à la porte de Tobe Hooper et son Texas Chainsaw Massacre. Une baraque flippante, une famille louche, dans ce qu’on pense être le bon vieux Texas américain : pas de doute, Resident Evil 7 ira chercher son inspiration du côté des slashers et des psychopathes comme La colline a des yeux. Capcom a même demandé à Richard Pearsey, scénariste sur FEAR et Spec Ops: the Line, de s’occuper du scénario de ce nouvel épisode.
Juste à côté, Square-Enix continue de montrer son Final Fantasy XV, avec une certaine appréhension quand on voit l’énergie que déploie l’éditeur japonais à vendre le petit dernier de la licence. Je vous laisserai découvrir le tumultueux développement du titre pour me concentrer sur l’orientation de son gameplay. Ce quinzième épisode puise un peu partout ses idées, mais surtout dans les grosses productions américaines. Le RPG à la japonaise n’a plus la côte, tout particulièrement en Occident. Fini le combat au tour par tour, qui signerait l’arrêt de mort de la franchise. The Witcher 3 est passé par là et a mis tout le monde d’accord sur l’envie des joueurs pour les combats en temps réel. On ira donc récupérer un système proche de Kingdom Hearts pour le placer au sein d’un open-world. On rajoute des PNJs qui vous suivent partout histoire de toujours commenter l’action (Last of Us) et des boss gigantesques pour accentuer des différences de proportions (God of War), et on obtient un Final Fantasy XV que Square-Enix veut imposer au monde entier. Un sacré challenge, surtout quand on se remémore le moment gênant de la conférence Microsoft où ce pauvre développeur tente tant bien que mal d’impressionner une foule médusée par autant de médiocrité alors que le titre sort dans moins de quatre mois. Ambiance.
Dire que Square-Enix joue ici sa dernière carte pour réhabiliter une licence en perte de vitesse est un euphémisme. Long métrage avec doubleurs occidentaux de renom (Game of Thrones) ou volonté d’avoir un doublage intégral pour les langues les plus utilisées (dont le français), le géant nippon met le paquet pour garantir un succès et espérer faire revenir le J-RPG au centre de toutes les attentions. On est loin de l’époque bénie de la PSONE avec la fameuse trilogie VII-VIII-IX, qui portait Final Fantasy au panthéon des jeux les plus populaires. Après une série très inégale pour l’épisode XIII et un jeu online pour l’épisode XIV, ce nouvel opus essaye de piocher ses idées un peu partout, quitte à perdre de vue son objectif et à s’éparpiller dans tous les sens. Le trop est l’ennemi du bien et on a l’impression que vouloir manger à tous les râteliers ne sera pas forcément la meilleure tactique pour en faire un bon jeu.
Enfin, et c’était peut-être le plus gros événement du salon, la présentation de The Legend of Zelda: Breath of the Wind. Nintendo a choisi de concentrer son énergie uniquement sur ce titre longuement teasé. On a enfin découvert le gameplay de ce nouvel épisode, toujours prévu sur WIIU et la future NX, et quelle ne fut pas notre surprise quand on s’est aperçu à quel point Zelda s’était transformé en RPG occidental. Pour tenter de se renouveler, le constructeur japonais a choisi de s’inspirer de bon nombre de gros titres américains, ceux d’Ubisoft en tête, pour en intégrer les éléments dans ce nouvel univers. Ce n’est pas un mal en soi, sauf quand ces éléments sont des features que l’on voit déjà un peu trop souvent dans les titres actuels. Que ce soit la capacité de marquer les ennemis (Far Cry, Watch Dogs), l’escalade (Assassin’s Creed) ou les capacités de craft/survie (à peu près tous les jeux en Early Access actuels), ce Zelda pioche curieusement dans des idées qui ont déjà fait leurs preuves depuis bon nombre d’années.
On se retrouve donc avec un épisode qui souffle le chaud et le froid. D’un côté, on jubile à l’idée de découvrir cet open-world gigantesque et parcourir ce monde que l’on sait rempli de donjons cachés et de cavernes de fées. De l’autre, on lève un sourcil en apercevant des éléments de gameplay qu’on nous a déjà servi à toutes les sauces chez les autres studios. On attendait un peu plus de fraîcheur au niveau des idées, et on a la désagréable sensation que ce Zelda troque l’originalité et la fraîcheur de ses idées habituelles pour revêtir un aspect bien plus conventionnel par rapport au reste de la production vidéoludique. On sait que la WIIU ne se vend pas vraiment, que la NINTENDO 3DS est en perte de vitesse, et que les jeux à venir sont réduits à quelques sorties sans grande ambition. Nintendo compte probablement sur cet épisode pour se relever, et au lieu de prendre des risques comme à l’époque de Wind Waker, il donne l’impression de choisir la sécurité en présentant un gameplay qui parlera au plus grand nombre, et surtout à ceux qui n’ont jamais touché à la série. Sauf que les fans sont quelque peu déconcertés par ce déchaînement de nouveautés qui sonnent un peu faux pour la licence, même si les séquences présentées donnent envie malgré tout, si on met de côté une partie technique clairement à la ramasse par rapport aux ténors du genre.
On sait que le Japon peine, depuis une bonne dizaine d’années, à sortir de son cocon pour retrouver la gloire d’antan et redorer le blason du jeu vidéo japonais. Toujours un peu en retard techniquement (les studios japonais maîtrisent mal la 3D), leur volonté à miser avant tout sur le gameplay ne suffit plus à une époque où les joueurs regardent d’abord les graphismes. Et avec ces trois gros jeux à venir, on sent que ces géants misent le tout pour le tout pour reconquérir le cœur des occidentaux, quitte à récupérer des features qui parleront plus facilement à ce public. Espérons que cette inspiration ne sera pas préjudiciable aux vraies qualités d’un jeu nippon (narration, gameplay au diapason) et qu’ils parviennent à réussir leur coup, ou on se retrouvera avec des pachinkos jusqu’à la fin de notre vie.
« Sauf que les fans sont quelque peu déconcertés par ce déchaînement de nouveautés qui sonnent un peu faux pour la licence »
On n’a pas du lire les mêmes réactions de fans…
Si tu fouilles sur le net et les previews ici et là (hors fanboys absolus) c’est quand même assez mitigés: beaucoup sont sous le charmes, mais plein d’autres ont du mal à retrouver l’esprit « Zelda ».
Après je dis pas que c’est une mauvaise chose, c’est peut-être la meilleure direction à prendre, et le passé nous a prouvé qu’un Zelda qui apparaît comme bien différent (Majora’s Mask, Wind Waker) est souvent meilleur…