EDITO : Dr Mathieu et Mr Kasso : Lost in transmission

EDITO : Dr Mathieu et Mr Kasso : Lost in transmission

mathieu-kassovitz-2478095_1713Un post récent sur Facebook de l’ami Marc Godin (CORRECTION : et non pas Jérôme Wybon comme écrit précédemment, désolé pour la méprise messieurs), qui relayait l’article des Inrockuptibles établissant un Top 6 des dérapages de Mathieu Kassovitz, m’a remémoré mes propres sentiments ambivalents sur le cas schizo du soldat Kasso. A chaque prise de parole, le réalisateur-de-La-Haine (son unique titre de gloire à ce jour. Il y a vingt ans) a certes le mérite de ne jamais sombrer dans le robinet d’eau tiède. Et la plupart du temps, lorsqu’il s’en tient à la sphère du 7e art, le franc tireur brisé du cinéma français (on le sent vraiment atteint par le bide cinglant de L’ordre et la morale) nous envoie un bon bol d’oxygène avec ses fracassantes envolées.

Pour un tweet “j’encule le cinéma français” qui ne marquera certes pas les annales de la finesse, la plupart des courageuses prises de positions du Dr Mathieu ont le mérite d’établir un diagnostic sans détour sur l’état artistique de notre industrie filmique. Qu’on partage ou pas son avis, une telle fougue rageuse fait toujours du bien et depuis plusieurs années maintenant, Saint Mathieu délivre régulièrement, in ou hors promo, un évangile en colère contre l’immobilisme et la médiocrité ambiants du ciné tricolore. Dans ces sorties-là, on a d’autant plus envie de l’embrasser comme du bon pain que l’on sait l’homme pétri de saine culture – lecteur de feu Starfix, cinéphile fanboy absolu de réalisateurs magnifiques, promoteur d’un univers fermement défendu sur notre site…

Le problème, c’est que son double en matière de grande gueule, Mr Kasso, comme Lucien (un habitué de comptoir du bar où je prends mon expresso du matin), a aussi un avis sur tout le reste et se sent obligé de le partager urbi et orbi. Comme le synthétise le “best of” des Inrocks, l’opinion de Mr Kasso sur le 11 septembre, j’aurais tellement aimé ne jamais avoir à la subir. Comment un type a priori aussi intelligent, au moins dans la mise en scène formelle de ses films, peut-il à ce point sombrer dans ce cloaque de la pensée dans lequel barbotent depuis 13 ans les sinistres Meyssan, Dieudonné, Soral ainsi que moult sites islamistes et fachos réunis ? Comment, saloperie suprême, oser balancer en direct sur un plateau de télé une référence à Goebbels pour nourrir le doute au sujet des attentats du 11 septembre, sans se douter des résonances négationnistes d’une telle pirouette sur la Shoah même ?

Comment le fils d’un cinéaste juif (Peter Kassovitz, réalisateur de Jakob le menteur) peut-il autant persister dans un délire conspirationniste nauséabond qui lui valut, en 2009, d’être taxé de “Faurisson du 11 septembre” par Renaud Revel dans les colonnes de L’Express ? Kasso a bien tenté de traîner Revel en justice pour diffamation mais la 17e chambre correctionnelle du TGI de Paris a fort heureusement débouté le plaignant sans la moindre ambiguïté. L’obstination complotiste de Kassovitz est d’autant plus incohérente que parallèlement, sur Twitter, l’électron libre s’en est déjà pris violemment aux ordures Soral et Dieudonné, dans son habituel style emprunt de retenue (“Dieudo. Soral. Fils de pute”). Un coup de poing viral bienvenu là où tant de people du cinéma françaiiiiiis se terraient dans un assourdissant silence apeuré pendant “l’affaire” Dieudo et l’épidémie de quenelles sur le web.

Septembre 2008 : Dr Kasso fait la couv' de Technikart. Il "a encore la haine". Eternel enragé.

Septembre 2008 : Dr Kasso fait la couv’ de Technikart. Il « a encore la haine ». Eternel enragé.

Alors, quoi ? Comment comprendre ces attitudes contradictoires ? A priori certainement pas que Mr La Haine est à ranger au côté des autres complotistes antisémites qui, eux aussi, hurlent à la grande manip’ au sujet du 11 septembre, bien sûr. Faut-il plutôt en déduire que Matthieu Kassovitz n’est juste qu’un petit enfant malhabile et surexcité qui, dès qu’on lui tend un micro, se croit obligé pour exister de briller dans un rôle de polémiste à deux ronds où il s’est lui-même enfermé ? Probablement. Les diatribes hors-ciné de Kassovitz me dégoûtent parce qu’elles font du bruit et du mal à un débat d’idées national déjà en piteux état. Lorsque Mr Kasso tweete ”Si NS (Nicolas Sarkozy) passe un deuxième tour la France est un pays de collabo neo fasciste. Il faut se débarrasser de ces fils de putes de l’UMP avec fracas“ ou encore “À droite comme à gauche ils n’ont aucune solution et nous amènent dans le mur. Voter c’est faire preuve de lâcheté. Traiter ces gens d’enculés n’est pas une insulte. C’est un réflexe naturel”, il véhicule exactement le même type de diatribe anti-parlementaire violente et démago, aux frontières du fascisme qu’il dit abhorrer. Et par là reproduit les mêmes arguments de plusieurs groupuscules extrêmes qui gangrènent le web et le réel. Lorsque, comme Lucien (qui en est à son 3e pastaga depuis vingt minutes), Mr Kasso s’enfonce dans le degré zéro de l’opinion citoyenne avec son “tous pourris” de bazar, il ne fait que souffler sur les braises d’une explosion sociale dont il semble souhaiter l’imminence. Exactement comme les sombres individus cités plus haut. Je suppose que si cette déflagration s’abat un jour par chez nous, Mathieu Kassovitz ne sera pas vraiment concerné, depuis les beaux quartiers où il réside, contrairement aux pauvres gens qui seront aux premières loges.

Donc non, tas de débiles décérébrés, la classe politique française a beau avoir sa part de responsabilité dans la mouise que nous traversons, la représentation nationale et le droit de vote sont des notions trop vitales pour qu’on se permette de les piétiner de façon aussi caricaturale, tel un gosse capricieux, sur les ondes et réseaux sociaux. Allez donc vivre en Corée du Nord, Mr Kasso, ou encore à Cuba, en Chine, en Iran, en Arabie Saoudite ou en Ouzbékistan avant de brandir des notions auxquelles vous n’entravez manifestement rien comme le fascisme. Et malgré tout le respect que je dois à votre alter ego Dr Mathieu, celui qui sait si bien parler de cinéma voire en faire, il m’est absolument impossible d’octroyer la moindre espèce de respect pour votre diarrhée intellectuelle anarcho-irresponsable sur l’État de la France et du monde.

J’ai aperçu Kassovitz à la télé l’autre jour, sur Canal+ face à Laurent Weil. Il avait pris un évident coup de vieux, les traits un peu plus parcheminés, la gorge un peu plus crevassée, mais le propos toujours aussi amer. Ça commence à sentir l’aigreur vieillissante, fais gaffe Mathieu. Et pourtant tu n’as que la quarantaine, la vie est encore longue, même en tant que réalisateur tu as un avenir contrairement à ce que tu sembles penser. John Huston a bien réalisé des chefs-d’oeuvre jusqu’à 80 ans alors, toute proportion gardée, je suis sûr qu’un retour gagnant à l’écran comme cinéaste est à ta portée. Je n’ai pas vu Un illustre inconnu, film dans lequel il n’a fait “que” jouer mais dont on pourrait croire qu’il est le réalisateur tant le bouillant artiste, excellent sur les plateaux télé, a monopolisé la promo. Mais il parait que Kassovitz y est excellent.

Triple atout ! Réalisateur doué, acteur de talent, poil à gratter du ciné français, voilà vos plus précieuses casquettes Dr Mathieu. Elles sont bien plus estimables que celle de polémiste socio-politique néo-con (au sens de con, quoi) de Mister Kasso, dont les avis socio-politiques me font presque autant d’effet que les vomissures de ces Dieudo et Soral que vous avez pourtant pourfendu. Bâillonnez votre double de comptoir, cher Mathieu, concentrez-vous sur le cinéma, de préférence celui qu’on adore ici sur Mars. Vous transmettrez de plus belles valeurs.

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