Edito : Entracte obligatoire ?

Edito : Entracte obligatoire ?

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Il y a des traditions qui sont intimement liées au cinéma. La salle obscure et son écran géant, les pop-corn et autres friandises, l’ouvreuse, l’entracte, toutes ces petites choses qui ont su s’adapter avec l’évolution naturelle du cinéma en bien de grande consommation. Les films eux-mêmes ont su évoluer, une narration plus dense, des effets de plus en plus spectaculaires, une montée en puissance de l’histoire jusqu’à son dénouement. Affranchis des contraintes techniques dues au passage au numérique, les réalisateurs prennent le temps de poser leur histoire dans le temps, en travaillant les transitions narratives, par l’ajout des saynètes qui concourent au développement des personnages et de l’histoire, ou de grandes fresques épiques surchargées de CGI dans le but de nous en mettre plein les yeux. En conséquence, les films sont en moyenne de plus en plus long (120 minutes minimum) pour notre plus grand plaisir et il nous paraîtrait même inconcevable d’aller voir le dernier Nolan, P. Jackson, ou  J. Whedon sur 90-100 minutes de projection ; ce format restant plus approprié pour les comédies et films intimistes selon moi.

S’il y a bien une tradition dont je me serais passé, c’est bel et bien l’entracte qui persiste à subsister dans les salles CGR, pour « le confort » des spectateurs ; et ceci apparemment depuis l’avènement des films en 3D, Avatar notamment (2009). En effet, ayant quitté ma ville pour les fêtes et mes circuits de distributions en salle (UGC et Pathé Gaumont), je suis allé voir Le Hobbit : la bataille des 5 armées dans un ville CGR « only ». J’ai d’abord été surpris par l’affichette à la caisse indiquant la présence d’un entracte pendant la projection, du fait de la durée du film et pour notre confort (visuel? physique?). Puis j’ai été profondément agacé par l’arrivée brutale et sans préavis d’un écran indiquant l’entracte, en pleine scène, en plein milieu d’une phrase, me sortant de la stase contemplative dans laquelle je me trouvais… Bad trip!!! De l’agacement je suis vite passé à l’énervement à la lecture de l’écran nous invitant à profiter de tous les services offerts (sic) par le cinéma, à savoir la boutique et surtout au fait que nous sommes restés dans l’obscurité pendant dix minutes à attendre… pour rien. Outré, je le suis devenu quand après 9 minutes d’attente, un compte à rebours a débuté, indiquant le reprise du film. Autant dire que si tu n’es pas revenu dans le temps imparti (file d’attente ou toilettes, à la boutique…), le film reprend au début de la scène coupée.

Cinéma vs Home Cinéma

Il est bon de se questionner sur la nécessité la persistance de l’entracte sur le fond et sur la forme. Sur le fond, les directeurs de salles y verront eux la possibilité de retirer un profit supplémentaire par la vente de sodas et autres douceurs sucrées/salées à un prix prohibitif. Les plus fervents défenseurs argueront, tout comme l’avait fait Hitchcock en son temps,  que « la durée d’un film devrait être en lien direct avec l’endurance de la vessie humaine ». Argument compréhensible pour les films de 3 heures ou plus, mais que je considère d’une autre époque, les cinémas étant équipés de toilettes et d’un chemin lumineux pour s’y rendre, il me parait totalement injuste qu’une minorité à la physiologie limitée l’emporte sur une majorité à la force de caractère en acier trempé. Et quant à l’argument défendant le fait de ne pas vouloir choisir entre aller se soulager et le visionnage de la scène en cours projection, le fait même de proposer un entracte n’empêchera pas les éternels retardataires de rater la reprise du film les 10 minutes passées. Il ne faut pas confondre aller au cinéma et home cinéma ; aller au cinéma c’est un acte de foi, c’est sortir de chez soi pour se mettre dans des conditions idéales pour profiter d’une oeuvre entière et conçue pour ce format, c’est aussi respecter les règles communes de bienséances en société ; à l’inverse le home cinéma, c’est la possibilité de profiter à domicile d’un film, en stoppant la diffusion pour aller au toilettes/chercher à manger/répondre au téléphone… pour notre plus grand confort.

Sur la forme, le fait de couper en plein milieu d’une scène démontre un mépris certain pour les spectateurs et pour le film. N’était-il pas possible de proposer l’entracte à la fin d’une scène appropriée (à 1h30 ou 1h40 du film ?), ou la facilité de programmer un pause à 1h45 de projection, au mépris même du contenu du film et de sa durée (45 minutes restantes), l’emporte-t-elle sur la qualité de la projection dans son intégralité. Autrefois l’entracte faisait partie intégrante des films, certains longs-métrages incorporant même un entracte musical dans la projection  (Ben Hur, 2001 l’odyssée de l’espace…). Mais sur 2h30 de projection, est-il nécessaire de couper un film ? Et quand bien même cela le serait, ne pourrait on le faire intelligemment, dans le respect du spectateur, indiquer visuellement l’approche de l’entracte discrètement par un signal visuel indiquant l’entracte dans X minutes? Dans un sens, recréer un lien entre le spectateur, le film et la salle de cinéma, apportez un « plus » produit autre que la vente de sucreries.

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Descriptif complet de la projection de Ben Hur – entracte compris

Dernier point qui mérite réflexion est l’obligation de subir cet entracte dans les villes qui ne proposent pas plusieurs circuits de distribution en salle. Ce fut mon cas et concrètement, je ne pense pas que je renouvellerai cette expérience, notamment sur le prochain Star Wars et autres blockbusters de 2h30. Mais j’ai le choix dans ma ville… aucune salle ne propose d’entracte sur ces durées, et je plains le cinéphile ou l’amateur qui n’a pas ce choix, qui doit choisir entre un entracte ou des km pour voir sur un circuit concurrent le film dans son intégralité. C’est ce qui me gène au plus haut point ; que le circuit de distribution CGR décide commercialement d’insérer des entractes sur des films longs et attendus de tous, alors que d’autres circuits concurrents ne le font pas, démontre l’attention tout relative qu’il porte à ses spectateurs… oups pardon, à ses consommateurs de films pop-corn. A moins qu’une future offre pour ces films ne voit le jour, le film sans coupure mais pour quelques euros de plus afin de compenser les pertes financières sur la vente de sucreries.

C’est notre liberté d’apprécier/consommer un film qui est touchée, et en poussant le raisonnement à son extrême, ça donne envie de militer activement pour la suppression de la chronologie des médias pour permettre à chacun de voir un film dans les conditions qu’il souhaite, soit au cinéma avec ou sans entracte, ou à domicile sur son écran HD le jour de sa sortie via une plateforme de téléchargement légale, la télécommande en main, en totale maîtrise du déroulement du film et de sa vessie.

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