
EDITO : Génération Marvel
J’avais oublié de vous dire : l’autre jour, pour un article sur Spidey proposé au Point Pop, je suis retourné voir Captain America : Civil War et… non, je n’ai pas changé d’avis sur le film. Je le trouve toujours encalminé par les impératifs sérialisants de Marvel Studios, parasité par des choix de mise en scène illisibles dés que l’action s’emballe, affaibli par le vilain le plus inintéressant et joué sans conviction, du jamais vu dans une production Marvel (allo, Zemo, Daniel Bruhl, y a quelqu’un ?). Et j’adore toujours la partie centrale brutalement relevée par l’apparition de Peter Parker/Spider-Man et le fight colossal de l’aéroport. Mais là n’est pas le sujet de cet édito. Pendant cette seconde expérience Civil War, le jour même de la sortie du film à une séance de 15h au MK2 Bibliothèque, j’ai aussi beaucoup regardé le public dans la salle 5, pleine à ras bord. Cette fois plus qu’une autre, allez savoir pourquoi, j’ai été frappé par sa composition. Très majoritairement adolescents, une bonne moitié de salle féminine et une diversité réjouissante : noirs, blancs, asiatiques, arabes, indiens… Et un public manifestement averti : beaucoup de t-shirts, sacs ou casquettes à l’effigie de super-héros (plutôt Marvel), des bavardages happés au vol comparant les mérites de Marvel par rapport à DC ou exprimant telles attentes sur ce Civil War imminent. À l’extinction des lumières et l’apparition du logo Marvel, le silence, soudain. Une salle incroyablement respectueuse, peu ou pas de murmure pendant la projection, si ce n’est les rires là où ils étaient attendus. Quoi qu’on pense du film ou plus généralement des productions Marvel, cette ambiance de ferveur collective et, ouais allez disons-le, de communion, faisait immensément de bien à vivre.
Peu avant que le film ne démarre, un petit garçon noir à lunettes est venu s’assoir juste à ma gauche, avec sa maman. Mon oreille indiscrète l’a surpris en train d’expliquer à sa mère les derniers événements survenus dans Avengers : l’Ère d’Ultron et Captain America : le Soldat de l’hiver. Fanboy à 100%, ça crevait les yeux. Je n’ai pas osé le leur demander de peur de passer pour un individu louche, mais j’aurais été curieux d’en savoir plus sur lui, son âge, ses goûts, son passif, comment a-t-il été amené à l’univers des super-héros, comment partageait-il ses goûts avec d’autres… Mais je me suis tu, sans pour autant m’empêcher de jeter parfois quelques coups d’œil discrets vers le gamin pendant le film. À l’apparition de Black Panther en costume pour la première fois, je l’ai vu sourire et serrer dans ses mains le blouson roulé sur ses genoux. Lors du cameo de Stan Lee, je l’ai surpris se tournant vers sa mère pour lui expliquer qui était le vieil homme et pourquoi on le voyait apparaître de la sorte dans tous les films Marvel. Dès que Peter Parker a pointé le bout du nez, mon jeune voisin a littéralement trépigné sur son siège, le sourire ne le quittait plus, c’était noël. Peter Parker ou Miles Morales, blanc ou noir, à l’évidence il s’en foutait. C’était Spider-Man son idole et c’est tout. Parfois pendant le film, il expliquait à sa maman qui était qui dans ce défilé non-stop de super-héros et au générique de fin, il l’a instamment priée de se rasseoir parce qu’il fallait attendre les scènes post-générique. Il savait. Il avait intégré les codes de consommation de l’univers Marvel. Les lumières rallumées, je les ai regardés s’éloigner tous les deux, sa mère sous le charme de Robert Downey Jr., lui en plein débriefing et explication de texte pour être sûr que maman avait tout compris. Ce gosse, c’était moi il y a plus de trente ans.
Certes, les bouffeurs de Strange à l’époque n’auraient même pas imaginé en rêve pouvoir admirer un jour les héros de Stan Lee se déployer aussi spectaculairement au cinéma. Mais la ferveur de ce petit binoclard, sa surexcitation, cette forme de fierté à connaître les clés d’un monde flou pour sa mère, cette connexion intime aux héros étaient aussi les miennes à son âge. Quand il aura grandi, si son affection pour la ménagerie Marvel est restée intacte, ce petit emmènera lui aussi ses enfants voir des films de super-héros – pour peu que le genre existe toujours et c’est précisément avec ces générations-là que tout se joue. Mais quelle que soit la forme qu’elle prendra dans 20 ou 30 ans, cette propriété intellectuelle perdurera, c’est une évidence. Qui sait, si un jour j’en ai, peut-être que moi aussi j’irai voir ces films avec mes propres enfants. Et j’écraserai discrètement une mini larmichette lorsqu’ils me chuchoteront en cours de projection qui est qui à l’écran. Ou quand ils m’expliqueront avec application les qualités et défauts du nouveau costume de Spidey. Y a des après-midi bizarres, quand même : on part pour retourner voir un film dans le cadre du boulot et, sans prévenir, on se prend une violente bourrasque d’envie de paternité sur le tard.
Un dernier coup d’œil dans la salle avant de partir : le jeune public évacue doucement, ça piapiate dans tous les coins. Trois adolescentes, quinze ou seize ans tout au plus, sont en désaccord sur le principe d’imposer par la loi le contrôle des super-héros. Puis s’accordent soudainement sur Tom Holland, qui est “trop chou et trop craquant” en Spider-Man. Mais que sa tante May “super sexy comme ça, c‘est abusé”. Elles sont toutes familières de l’univers Marvel, ont vu les films précédents, font les connexions avec L’Ère d’Ultron, Ant-Man et Le Soldat de l’hiver. C’est un petit bout de France mixte et apaisée, comme la cauchemardent sûrement les tristes sires du Parti des Indigènes de la République : les trois fangirls sont respectivement asiatique, noire et maghrébine. La pop culture en général et Marvel en particulier n’est très certainement qu’un sédiment mineur de leur amitié, mais il est bien là. J’adorerais joindre leur conversation, leur dire à quel point je les trouve géniales toutes les trois, mais non, je préfère les écouter un peu à distance. Puis m’éloigner, niaisement rasséréné d’avoir observé ces jolies scènes de concorde et de communion. Alors oui, je vais très certainement continuer à dire du mal de certains films Marvel et bisquer contre certaines méthodes de ce groupe tout puissant et pas toujours amical. Mais, un fait demeure, irréfutable : Marvel a réussi son pari. Spider-Man, Captain America, Black Panther, Iron Man, Le Faucon et les autres ont de belles années d’existence mémorielle devant eux. Sous mes yeux ce jour-là, j’ai vu un échantillon d’une génération renouvelée de fans, convertis à la culture comic book par le cinéma et qui ont ensuite ouvert les livres. J’ai vu des gosses de toutes les couleurs et tous les horizons partager une expérience commune dans un respect général absolu, puis quitter les lieux avec ce vibrant souvenir collectif qui alimentera leurs futures conversations. Et j’ai vu comment, dix ans après sa création, la branche cinéma de l’ex-petite maison d’édition new-yorkaise a su imposer une marque suivie par des bataillons de fidèles. Lesquels passeront le relai à leurs descendants, comme avant eux les lecteurs de Strange dans années 70/80. J’ai vu la nouvelle génération Marvel. Et j’ai eu envie de voler encore un peu avec elle.
Merci pour cet excellent article!
Très beau texte. Bravo !
Merci beaucoup pour cet article plein d’espoir et d’émotion!
Merci pour ce petit article qui m’a, en effet, amené la larmichette à l’oeil.
Et je te confirme qu’emmener ses enfants voir les films Marvel, après avoir grandi avec cet univers, cela n’a pas de prix
Très emouvant ! Je me reconnais beaucoup dans ton texte, je pinaille sur les films Marvel, mais je ne peux pas modérer mon excitation a l’annonce du prochain opus du MCU. Qui plus est, ces films viennent enrichir ma vidéothèque déjà bien fournie, afin de pouvoir les redécouvrir dès que mon fils de 11 mois sera en âge de les apprécier !
Merci pour toutes vos réactions très gentilles les aminches, ça me fait plaisir de savoir que le texte vous a touché !
Je suis Génération 80/90 j’ai été ému à la lecture de ce texte, de voir et constater des plus jeunes discuter des mêmes codes, la même culture comics que moi et mes copains, trouver cette petite fenêtre pour voyager dans le temps et sympathiser au delà des générations. C’est magique de me rappeler ces moments. Merci.
Punaise je chiale ! 😀 Bravo John. Très beau texte. Même moi qui fait la fine bouche sur le côté grand public je dois avouer que vu comme ça, ça fait plaisir !
Et puis si je veux faire mon élitiste y’a toujours le DCEU… 😀