Edito : Génération Séries – 10 ans déjà

Edito : Génération Séries – 10 ans déjà

Génération Séries n°1

Génération Séries n°1

C’est un anniversaire dont la majorité de la population n’a que faire, c’est dommage mais compréhensible : il y a dix ans, au mois de juillet 2004, paraissait le dernier numéro de Génération Séries.

 

C’est un anniversaire dont la majorité des amateurs de séries TV n’a pas conscience et c’est bien triste car cette revue fut marquante pour la reconnaissance artistique de la fiction télévisuelle en France. Chaque personne qui regarde l’intégrale d’une série en 15 jours, qui découvre toutes les nouvelles séries de la rentrée de septembre, qui n’hésite pas à faire une nuit blanche pour suivre les Emmy Awards, ou qui défend sans cesse sa série chouchoute sur le net, est quelque part un enfant de Génération Séries et lui doit beaucoup.

 

 

Génération Séries n°19

Génération Séries n°19

Génération Séries fut lancé en 1991 par Christophe Petit et Christophe Renaud. Pour nos lecteurs qui n’étaient pas nés ou qui n’étaient que des machines à manger et à produire du caca, cette époque peut sembler être la préhistoire et, par certains aspects, c’était vraiment le cas. Nous étions dans une sorte de préhistoire de la reconnaissance artistique et publique des séries télé en France. En dehors des veinards frontaliers de la Belgique ou de la Suisse, nous n’avions que six chaînes de télévision à notre disposition, nous n’imaginions pas qu’on puisse voir un jour des films ou des séries via des Digital Versatile Disc, et le magnétoscope était notre ami pour la vie.

 

 

 

Ça fait très vieux con qui veut faire prendre conscience de la chance qu’ont les sériephiles d’aujourd’hui. Et c’est le cas ! Certes ce n’était pas le bagne non plus, et si j’avais retrouvé au pied du sapin une belle orange au lieu de la figurine du chevalier d’or du Sagittaire que j’avais demandé, j’aurais posé un contrat sur la tête de papa Noël. On avait pas une vie difficile mais il est clair qu’entre aujourd’hui et cette époque, c’était le jour et la nuit en terme d’accessibilité aux séries télévisées.

 

 

Aujourd"hui la série arrive en blu-ray. Il y a presque vingt ans : Génération Séries HS n°1

Aujourd’hui la série arrive en blu-ray. Il y a presque vingt ans : Génération Séries HS n°1

Six chaînes et un magnétoscope mais tout de même des séries on pouvait en voir : Columbo, Chapeau Melon et Bottes de cuir, Les Mystères de l’Ouest, La Quatrième Dimension, Dallas, La Loi de Los Angeles, Fame, K-2000, L’Agence Tous Risques, Madame est servie, Clair de Lune, Wonder Woman, L’Homme qui valait Trois Milliards, La Petite Maison dans la Prairie, Happy Days, L’Enfer du devoir, Cosmos 1999, Hulk, La famille Addams, Alf, Le Prisonnier, La Croisière s’Amuse, Mike Hammer, Remington Steele, Les années collège, Star Trek, Les envahisseurs, Magnum, McGyver, Manimal, Tonnerre Mécanique, Mariés, deux enfants, Starsky et Hutch, Deux flics à Miami, Mission : Impossible, V, Zorro, Amicalement Vôtre… Voila un panaché des séries que le gamin de treize ans que j’étais alors, avait pu voir depuis sa naissance. Et encore, je vous épargne les séries d’animations parce qu’on n’en finirait plus.

 

 

Génération Séries n°42

Génération Séries n°42

Six chaînes et un magnétoscope mais tout de même c’était galère. Les séries étaient avant tout perçues par les chaînes comme des bouche-trous bien pratiques, les épisodes pouvaient être diffusés dans le désordre quand ils n’étaient pas déprogrammés sans remords. Mais à cette époque c’était surtout très mal vu de regarder des séries, d’aimer cela et de les considérer comme des œuvres artistiques au même titre qu’un long-métrage. On mesure alors le chemin parcouru quand, aujourd’hui, il faut avoir vu le dernier épisode de la série dont tout le monde parle pour ne pas passer pour un gland à la machine à café.

 

 

 

Et surtout on n’avait pas Internet ! Oui je refais mon vieux con et je te prie d’être un peu respectueux de tes aînés, jeune paltoquet. Certes, quand je vois les clashs sur Twitter, les commentaires sous les sites d’informations, l’invasion de la pub (merci Boulet) et les concours pour savoir qui a la plus grosse sur les forums, je ne peux pas être ravi face à ces aspects de la Toile. Toutefois, la connexion a permis à une multitude d’individus de prendre conscience qu’ils n’étaient pas seuls, et que d’autres partageaient leurs passions.

 

 

Génération Séries n°13

Génération Séries n°13

Pour les gens qui n’avaient pas la chance de vivre près de Paris ou d’avoir accès aux chaînes du câble, Génération Séries remplissait brillamment ce rôle fédérateur et de transmetteur de la passion pour les fictions télévisées. Pendant quarante-sept numéros, Christophe Petit et tous les autres collaborateurs de ce magazine nous firent découvrir des centaines de séries, nous apprirent des milliers de choses sur leurs productions et nous donnèrent des outils essentiels pour les suivre au mieux, notamment avec leurs guides d’épisodes d’une qualité extraordinaire. Mais avant toutes choses, Génération Séries nous rendit fiers d’être des amoureux des séries télé. En abordant celles-ci avec sérieux, en les présentant en détails, en vulgarisant un vocabulaire alors inconnu (aujourd’hui entré dans la discussion courante), bref en faisant un véritable travail d’analyse, Génération Séries participait à légitimer la fiction télévisée en tant qu’art à part entière.

 

Génération Séries c’est également une revue d’une grande qualité formelle et intemporelle. Faites le test vous-même. Ouvrez un numéro de la revue et parcourez-là. Outre la qualité du papier et la clarté de sa maquette, ce qui fait la force de la revue c’est la grande qualité de ses textes et de ses guides d’épisodes qui font encore référence aujourd’hui. On ne peut que rendre hommage ici à Jacques Baudou, Bruno Billion, Martin Winckler, Jean-Jacques Schleret, Alain Carrazé, Eric Bouche, Kiko, Loïc Le Roux, Thierry Le Peut, Julien Leclerc, Benjamin Campion, Yvanie Caillé, et tous ceux que j’oublie pour la qualité de leurs textes et de leur travail, qu’ils aient été des intervenants ponctuels ou des rédacteurs réguliers.

 

En ouvrant Génération Séries on avait la certitude de passer un long moment de lecture agréable et on était prêt à découvrir avec envie des séries inconnues et des analyses pointues. Twin Peaks, Code Quantum, Sherlock Holmes, Buffy, Star Trek : The Next Generation, Friends, Happy Days, Les Mystères de l’ouest, Mission : Impossible, Les Sopranos, Stargate, Highlander, Le Caméléon, Urgences, X-Files, Alias, Ally McBeal, Angela, 15 ans, Malcolm, Zorro, Homicide, NYPD Blues, Hill Street Blues etc. etc., se virent consacrer des articles et des dossiers absolument passionnants et qui donnèrent à plus d’un d’entre nous envie de découvrir ces œuvres.

 

 

Génération Séries n°39

Génération Séries n°39

C’est dans Génération Séries que, pour la première fois, je pus donner des noms derrière les œuvres qui m’enchantèrent : Steven Bochco, David E.Kelley, David Chase, Joe Michael Straczynski, Gene Roddenberry, Rod Serling, Bruce Geller, Chris Carter, Dick Wolf, Glenn Gordon Caron, Tom Fontana, Joss Whedon…. Autant de noms que la revue mettaient en avant de façon naturelle mais également en ayant conscience de l’importance du statut d’auteur dans notre pays. L’envers du décor était important dans Génération Séries et, à ce titre, on ne peut que louer la revue pour ses entretiens avec les grands comédiens de doublage français dont l’importance fut primordiale. Henry Djanik, Jacques Thébault, Lita Recio, Raymond Loyer, Philippe Dumat, Michel Roux, Dominique Paturel, Guy Pierauld pour n’en citer que quelques-uns, se virent ouvrir les colonnes du magazine pour faire découvrir leur métier, et notamment son caractère ingrat. Bien que fervent défenseur de la version originale, GS n’oubliait pas ces comédiens sans qui certaines séries n’auraient pas eu la même longévité en France.

 

Il s’en défendrait sûrement mais avec Génération Séries, Christophe Petit participait à un certain militantisme dans la reconnaissance des séries en France. Auprès du public mais surtout auprès des programmeurs ou des distributeurs. Plus d’une fois le magazine s’est fait l’écho, voire la caisse de résonance face à certaines pratiques des chaînes : la déprogrammation sauvage, la censure ou le traitement de certaines séries. On se rappelle ainsi de leur défense pour une meilleure diffusion de Law & Order ou de Chicago Hope à l’époque où tout le monde ne jurait que par Urgences.

 

 

Génération Séries n°24. La revue se répand dans tout les kiosques

Génération Séries n°24. La revue se répand dans tout les kiosques

Urgences qui fut, bien avant CSI, programmée le dimanche soir à la place d’un long-métrage. Date marquante dans l’histoire de la reconnaissance des séries télévisées en France. Durant toute la période de vie de Génération Séries (entre 1991 et 2004), les mentalités évoluèrent de plus en plus rapidement cela grâce à des succès publics de plus en plus nombreux, mais également grâce au travail de plusieurs personnalités. On pense bien sûr à Alain Carrazé qui au début des années 80 dans Temps X nous fit découvrir La Quatrième Dimension. C’est ensuite avec Destination Séries (en duo avec Jean-Pierre Dionnet) ou le magazine Éπsode qu’il continua (et continue encore) à travailler pour la reconnaissance des séries en France. On pense enfin à Martin Winckler, médecin et romancier qui, à l’époque du succès de son livre La maladie de Sachs, n’hésitait jamais à dire tout le bien qu’il pensait des séries TV dans un milieu où il était bon ton de les mépriser.

 

 

Génération Séries n°47. Le dernier numéro

Génération Séries n°47. Le dernier numéro

Le début des années 90 pouvait donc être considéré comme une sorte de préhistoire, mais avec le recul on peut également la voir comme l’aube d’une renaissance et comme le point de départ d’un mouvement inexorable. Telle une lame de fond emportant tout sur son passage, les séries télévisées allaient s’imposer enfin comme un art à part entière, et obtenir la place qui leur était dues depuis longtemps déjà. Avec sous le coude une revue aussi exceptionnelle, l’amateur de séries était armé pour affronter toutes les moqueries. C’est en juillet 2004 que Génération Séries tira sa révérence dans une certaine indifférence. Sa disparition (et également celle d’Éπsode la même année) correspond aussi à l’émergence d’une nouvelle génération de sériephiles. Celle qui, grâce au Net, peut avoir accès à un choix quasi illimité de séries, et qui peut contrôler son mode de visionnage de plus en plus facilement. Ce n’était pas encore l’avènement des réseaux sociaux, mais déjà on préférait discuter sur les forums et consulter les guides sur des sites. Plus facile, plus rapide et moins encombrant. Qu’est ce que la qualité rédactionnelle face à l’immédiateté de l’information ? En un sens l’arrêt de Génération Séries préfigurait la crise de la presse actuelle face aux évolutions du lectorat¹.

 

La rapidité de l’information ne doit pas nous faire oublier qu’il est indispensable également de savoir prendre son temps et se poser pour mieux analyser, décrypter, comprendre et aimer. Génération Séries savait faire cela avec talent nous donnant l’envie et les outils pour défendre les séries. Aujourd’hui la série télévisée est totalement entrée dans les mœurs, certaines sont à la mode et d’autres représentent un véhicule d’audience indispensable. Pourtant plus les choses changent et plus elles restent les mêmes. A l’heure où TF1 n’hésite pas à couper la série Hostages pour la faire entrer dans sa grille, et où beaucoup s’en offusquent sans savoir que ce genre de coupe n’est que la dernière d’une longue lignée (compréhensible de la part de spectateurs, moins de la part de professionnels qu’on aurait bien voulu entendre il y a dix ou quinze ans). A l’heure où la programmation des séries est encore construite sur la base de grilles établies pour des films ou des téléfilms, où il est de bon ton d’avoir vu la dernière série à la mode sans chercher à découvrir la véritable petite perle et, enfin, où il est courant de croire que les séries sont devenus bonnes avec l’avènement d’HBO, l’anniversaire du dernier numéro de Génération Séries nous fait prendre conscience à quel point une revue de qualité sur les séries télévisées manque cruellement.

 

 

 

 

¹ Curieux paradoxe que celui d’un éditorial d’un site Web regrettant la disparition d’une revue papier et pourtant….

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