
Edito : La critique série, l’art du funambule
Dans un précédent édito, nous rappelions que la critique de pilotes pouvaient s’avérer périlleux parce qu’ils reposaient sur une promesse. Et qu’il fallait donc parfois admettre de se tromper. C’est même quelque la part la base de la critique série. Parce que l’on est face à une oeuvre mouvante, qui avance dans le temps et qui prendra parfois plusieurs visages. Critiquer une série reviendrait à faire un livetweet d’un film ou d’un livre au fil de sa découverte. De micro-moments faits d’enthousiasmes, de lassitudes, d’euphories ou d’apitoiements. Un mouvement oscillatoire (ou non), un voyage en montagne russe. De par sa structure morcelée, fragmentée mais organisé en bloc de différentes échelles (l’épisode, la saison, l’intégrale), faire un point critique s’avère un exercice indispensable quand il ne viendrait pas à l’esprit de faire un retour sur les douze premières minutes d’un film ou les trois paragraphes d’un livre.
Ces différentes échelles apportent un caractère particulier au travail de la critique et pose le problème de la valeur de la série. Qu’est ce qu’une bonne série ? Ou une bonne saison ? Si la première saison d’une oeuvre s’avère médiocre et les suivantes excellentes, que devons nous en déduire ? Chaque sériephile dans ses découvertes est passé à côté d’une série. Abandonnée après des premiers épisodes décevants et entendre que la suite s’avère passionnante. Chaque spectateur possède sa propre résistance, son propre degré de masochisme. Jusqu’où doit-on aller ? La première saison de Parks & Recreation est médiocre. Pourtant, la suite prouve qu’elle fait partie des meilleures comédies de la décennie. Combien peut-on amputer d’une oeuvre pour qu’elle conserve son statut de bonne série ? Le cas Dexter est intéressant. Quatre bonnes voire excellentes saisons et une descente aux enfers toute aussi longue. Se pose la question de l’objectivité et de l’équilibre. Mesurer le degré d’excitation et celui de consternation et conclure sur ce que l’on peut déduire d’une série qui a tutoyé les cimes et les bas-fonds.
Le cas Fringe est passionnant. En schématisant, cela pourrait donner quatre mauvaises saisons pour une excellente dernière. Le résultat est donc affligeant… pourtant, sans ces précédentes saisons, la cinquième n’aurait jamais pu être aussi belle. Comme si la série récompensait ces fidèles spectateurs ayant endurés une évolution chaotique fait de nouveaux départs, temps morts, impasses et révolution. Doit-on mentionner la série sur ce parcours ou se rappeler la force de son final ? Impossible de conseiller ou motiver la vision d’une oeuvre dont on sait qu’elle sera un calvaire mais on se sent meurtrie de priver ainsi la fin fabuleuse du voyage.
La critique de série doit savoir faire preuve de contorsions, de volte faces, d’assurance même quand la suite contredit tout le travail précédent. Il faut rappeler à quel moment de l’oeuvre elle intervient, accepter que sa valeur dans le temps sera peut-être nulle et contredite. Il n’y a pas plus éphémère qu’une critique d’une série en cours (à l’épisode ou à la saison) parce que l’on sait que tout pourrait être balayé par la suite. Ce n’est plus le temps qui affine la critique mais l’oeuvre elle-même et sa dispersion dans l’espace.
Exercice parfois exaltant, frustrant, fatiguant, critiquer un work in progress est une démarche de funambule. La corde est souvent fine mais une fois traversée, on mesure le chemin et le sens de l’équilibre qu’il faut posséder. Seulement comme toute note artistique, le comptage des points s’avèrent tout aussi complexe et périlleux.
« Le cas Fringe est passionnant. En schématisant, cela pourrait donner quatre mauvaises saisons pour une excellente dernière. »
Quatre mauvaises saisons ? C’est du révisionnisme !
Je veux bien croire que les deux premières (disons la première et la première partie de la 2ème) n’étaient pas toujours super passionnantes (beaucoup de loners moyens), mais la 3ème avec les deux mondes parallèles éclate tout, la 4ème est un ton en dessous mais globalement de bonne facture. La 5ème, qui ressemble davantage à un long épilogue, ne m’apparaît pas forcément supérieure aux précédentes.