Edito : L’art délicat de la séduction

Edito : L’art délicat de la séduction

Rentree2014_series_EnCeMomentSeptembre, les librairies accueillent la rentrée littéraire et sa pléthore d’ouvrages ; la télévision lance sa saison et ses nouvelles séries. Critiques et sériephiles, même combat. Eviter la noyade dans la masse d’oeuvres à absorber. Entre boulimie et rejet, le gavage est intensif, au point, parfois, de ne plus savoir quel met apprécier et pour quelle raison. S’en suit un parcours du combattant, labyrinthique, pour séparer le bon grain de l’ivraie.

Symbole d’une promesse pour les romantiques, contrat pour les pragmatiques, le pilote est un objet aux contours incertains. Une forme diffuse capable de nous attirer à elle ou nous laisser esseulé sur le bord de la route. Sa découverte est toujours un moment excitant. Comme une première rencontre, un premier rendez-vous. On se cherche. On s’apprivoise. On essaie de mettre en avant ses qualités. On essaie de ne pas trop mentir. De ne pas trop se vanter. Les intentions sont claires : séduire.

Le pilote est une science inexacte. Aucune recette miracle n’a été découverte jusqu’à présent. Parce qu’il est difficile de prévoir l’alchimie, cette forme de magie qui opère dans un couple. C’est une conjonction où des éléments mis en action vont transmuter vers un idéal. Une étincelle. Le petit quelque chose qui nous fait croire que cette relation va être unique alors qu’elle aura peut-être lieu chez plusieurs milliers d’autres gens.

L’épisode inaugural tisse un lien, un fil tenu entre l’oeuvre à venir et l’oeil du téléspectateur. Et ce fil, s’il rompt, entame la relation de confiance. Comment croire en une série qui n’aura pas su nous agripper 22 ou 42 minutes ? C’est presque du speed dating, l’erreur est impardonnable. C’est un univers impitoyable mais où il faut savoir faire preuve de mansuétude, de commisération et parfois admettre son erreur. Le pilote, c’est aussi l’habit qui fait ou non le moine. Le jugement se fait sur les premières minutes d’une oeuvre qui pourra devenir colossal. Il y a des séries qui sont maître dans l’art de séduire, d’autres inexpérimentées. Les premières sauront masquer leurs carences ; les secondes seront maladroites. Et bien souvent, ces dernières seront celles qui survivront au grand ménage.

Critiquer un pilote, c’est accepter de se tromper. C’est imaginer un potentiel à partir de prémisse. Concrétiser une esquisse. Où le spectateur assiste à un effeuillage qui s’arrêterait juste avant de trop dévoiler. La critique devra associer des paradoxes, confronter un art quasi divinatoire avec un regard objectif. Déterminer des intentions, une mécanique, un plan à partir d’éléments parfois disparates. Et pour cela, le pilote devra être généreux. Altruiste dans sa façon à susciter le mystère, le plaisir, l’avenir. Comme ils pourront être malin, chafouin ou cauteleux. Critiquer un pilote, c’est accepter d’être pris au dépourvu, mystifié ou jobardé. C’est surtout admettre et faire comprendre que ces premières pages ne seront peut-être pas toujours à l’image de la suite et que l’art spéculatif de la critique de pilote nous entraîne vers l’incertitude. Et cette incertitude rend l’exercice si séduisant.

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