#Edito : L’Avenir de Séries Mania

#Edito : L’Avenir de Séries Mania

julianna-margulies_series-mania-8Mercredi 22 mars se déroulait la conférence de presse dévoilant le programme de Séries Mania, saison 08. Nous savions déjà que Damon Lindelof (Lost, The Leftovers) serait le nouveau président du jury, succédant à David Chase (The Sopranos), l’année dernière. Nous savions aussi que Julianna Margulies (ER, The Good Wife) serait l’invitée d’honneur. Deux belles annonces qui ne furent pas les arbres qui cachaient la forêt. C’est un véritable vent d’excitation qui a soufflé dans la sériesphère, au fur et à mesure des révélations (résumé à lire ici), preuve s’il en était, de l’excellente santé d’un festival qui n’a cessé de grossir, grandir, se perfectionner au fil des ans.

Alors que l’on anticipait avec anxiété le futur casse-tête pour composer nos programmes personnels, un article paru le jeudi soir sur le site de La Voix du Nord est venu couper les ardeurs du sériephile. Un peu plus de 24 heures après la conférence de presse, on annonçait que Lille serait l’hôte du futur Festival International des Séries. Un choix qui sonne a fortiori le glas de Séries Mania.

matrice-logoPour rappel, fin 2015, Laurence Herszberg (directrice générale du Forum des Images) se voit confier par le ministère de la Culture la mission « portant sur l’opportunité de créer un Festival international des séries en France à l’image du festival de Cannes pour le film ». Cinq villes (Lille, Paris, Bordeaux, Cannes, Nice) déposent leur candidature, auditionnées par un jury de professionnels qui en sélectionnent deux : Lille et Paris. Entre temps, le maire de Cannes David Lisnard a annoncé que sa ville organisera un grand festival international de séries, passant outre la décision du ministère de la Culture. Canal+ a apporté son soutien et Fleur Pellerin (à l’époque à l’initiative de la mission) présidera le festival.

Il ne s’agit pas de contester le choix de Lille, ni de juger le passage en force de Cannes, mais on peut déplorer le manque d’élégance d’une annonce qui aurait pu attendre la fin de la saison 08, tout comme le manque absolu de respect envers les équipes du Forum des Images qui apprirent la nouvelle par voie de presse. C’est d’abord à eux que l’on a envie de penser. Ils ont fait de Séries Mania le festival qu’il est et méritent meilleur traitement qu’une sorte de sacrifice médiatique. C’est même très mesquin de couper ainsi l’enthousiasme et la fierté de ces gens qui ont œuvré sans relâche pour ouvrir l’art sériel international (et pas uniquement sur l’axe français-anglais-américain) au plus grand nombre avec toujours ce souci de créer un événement à la fois universel, ludique et pointu. Si on peut féliciter l’envie de faire de la France le lieu de la série comme Cannes est celui du cinéma, le timing disgracieux ternit une réflexion qui n’est pourtant pas dénuée de raison.

En effet, le CNC (Centre National du Cinéma et de l’Image Animée) a dévoilé la synthèse des auditions sur son site¹ concernant la création de ce grand Festival International des Séries. On peut y lire les raisons qui ont poussé à choisir Lille au détriment de Paris (et donc de Séries Mania). Une question d’infrastructures insuffisantes, d’une volonté de décentraliser la culture, une position géographique plus centrale à l’échelle européenne ; des arguments d’autant plus convaincants que l’on a pu observer que Séries Mania cherchait de plus en plus à repousser les murs du Forum des Images et investir d’autres lieux, victime de son succès et de sa volonté de croître.

logo-serieseries-02On peut néanmoins se demander si la réflexion s’est dirigée dans le bon sens. Faire de la France un pays qui compte dans le monde de la série devant l’émergence de manifestations étrangères (Londres et Berlin ont développé leur propre entité) semble pertinent, mais fallait-il casser la dynamique positive que proposait Séries Mania depuis huit ans ? Un mal bien français qui consiste souvent à réparer quelque chose qui n’est pas cassé. Laurence Herszberg, dans une interview pour le Film Français, n’imagine pas que trois festivals similaires puissent cohabiter. Dès lors, ne fallait-il pas segmenter les offres et chercher de la complémentarité au lieu de capitaliser sur des événements existants quitte à les balayer ? Depuis 2012, Série Séries à Fontainebleau justifiait son existence non pas contre Séries Mania mais de façon complémentaire, trouvant un axe distinct pour célébrer les séries autrement. Une démarche intelligente qui ne loue pas la concurrence (même si elle existait par la force des choses) mais entend démontrer toute la richesse de l’art sériel quand il s’agit de lui rendre hommage.

Après tout, puisque l’idée d’un grand festival s’est construite sur le modèle de Cannes et du cinéma, en poursuivant l’analogie, nous pouvons observer que différentes manifestations cohabitent dans l’hexagone. Deauville et son festival du film américain, Beaune et son festival du film policier, des événements marquants et reconnus² qui, s’ils n’ont pas l’aura de Cannes, montrent néanmoins leur importance. Bien sûr, les festivals de séries ne se limitaient pas à Paris et Fontainebleau, puisque l’on peut aussi recenser le festival de la télévision de Monte Carlo ou celui de la fiction TV de La Rochelle. Il existe très certainement une forme d’égo à vouloir incarner « l’équivalent d’un Cannes des séries » et on imagine très bien combien les différents candidats souhaitent devenir LA sinon une référence mondiale. On peut aussi penser que David Lisnard et le statut de rōnin de son festival ait pu abîmer les possibilités.

17332439_696903183816553_5906993862219399168_nCes mouvements dans la tectonique des plaques festivalières auraient dû s’accompagner d’enthousiasme et d’excitation. Malheureusement, ils nous plongent dans un avenir ambiguë (à l’heure d’écrire ces lignes, le futur de Séries Mania et Série Séries reste encore incertain et les organisations de Cannes et Lille demeurent une inconnue). On est sur la note amère d’une annonce précipitée, venue casser une dynamique positive autour d’un événement qui aura participé à l’ouverture des séries, que ce soit en tant qu’art à célébrer, en tant que pays à visiter, en tant qu’objet à analyser, débattre ou comprendre, et prouver qu’un grand écran, une salle de cinéma pouvait aussi accueillir des œuvres pourtant destinées à la plus-si-petite lucarne. Le Daily Mars s’est toujours montré enthousiaste à l’idée de couvrir Séries Mania (tout comme nous le sommes pour Série Séries, La Rochelle, Monte Carlo,…), félicitant le festival pour sa progression, son énergie, son équipe ; le critiquant quand il le fallait.

Dans la mythologie grecque, Mania est « une divinité personnifiant la folie »³. Aujourd’hui, les séries ne sont plus une folie intermittente, une habitude étrange ou excessive, une manie. On peut peut-être voir, dans sa possible conclusion, la fin d’une réflexion sur la série, d’objet atypique à art pluriel. Les acteurs sont nombreux dans cette démocratisation et Séries Mania est l’une de ses vitrines les plus distinguées. Cette édition marquera peut-être la fin d’une aventure. Ne faisons pas preuve de la même impolitesse que cette annonce prématurée, ne soyons pas déjà nostalgiques, nous avons un festival à célébrer. Et le programme s’annonce alléchant.

¹ Le Rappport du CNC
² Liste des festivals dédiés au cinéma en France
³ Source Wikipedia

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