Edito : refais-moi rire, comédie française !

Edito : refais-moi rire, comédie française !

LAST MINUTE : nous nous sommes réveillés ce matin avec une bien sinistre nouvelle : la mort de Wes Craven, emporté par un cancer à l’âge de 76 ans. Triste coïncidence avec le décès de Pascal Chaumeil, qui avait déclenché l’idée initiale de cet édito. Il va sans dire que les lignes suivantes sont spécialement dédiées à l’ami Wes et que le Daily Mars reviendra dans la journée sur l’œuvre que nous laisse en héritage le papa de Fred Krueger et des tueurs tarés de Scream. Et maintenant, haut les cœurs et place au rire. Enfin… sort of…


arnacoeurgrdPascal Chaumeil s’est éteint
prématurément, à 54 ans, dans des circonstances non encore officiellement précisées au moment où j’écris ces lignes. Son CV ne se limite évidemment pas à la réalisation de L’Arnacœur, son premier long métrage. Ex-protégé de Luc Besson, il fut premier assistant de ce dernier sur Léon et réalisateur de seconde équipe sur Le Cinquième Elément. Il a mis en scène plusieurs épisodes de séries télé, d’Avocats et Associés à Engrenages en passant par Fais pas ci, fais pas ça. Tout récemment, il avait également signé les deux premiers épisodes de la dramedy Spotless pour Canal+. Mais soyons francs : la postérité retiendra L’Arnacœur (2010) comme son unique coup de maître. Pas un chef-d’œuvre, gardons-nous des excès. Mais l’une des très rares comédies françaises contemporaines à s’être insinuée noblement dans notre mémoire collective. Une romance authentiquement drôle et brillante, légère comme une bulle de Prosecco, sachant conjuguer mise en scène virtuose, clins d’œil non-putassier à une certaine pop culture, interprétation au millimètre près et script faisant l’effort de véritables rebondissements jusqu’au final.

L’Arnacœur est aussi un film capable de convoquer le rire et une émotion adolescente dans une même scène touchée par la grâce comique, imparablement efficace même pour les allergiques à Dirty Dancing. Votre serviteur en est un, il a pourtant fondu dans un gros soupir niais devant la dite séquence. Élégamment réalisé dans un cinémascope justifié par son cadre (au hasard, Dépression et des Potes en 2.35 : pourquoi faire ?), visuellement classe mais pas tape à l’œil, L’Arnacœur offre aussi un VRAI scénario qui ne carbonise pas son concept au bout d’une bobine. Derrière le pitch, un véritable travail d’écriture (le film est co-scénarisé par Laurent Zeitoun, également producteur) prend le temps de peaufiner la psychologie et l’évolution de son héros cynique, tout en laissant une vraie place aux magnifiques personnages secondaires incarnés par François Damiens et Julie Ferrier. L’Arnacœur est un film qui assume pleinement son statut de comédie romantique glamour mais sans jamais confondre le genre avec tourtasse écœurante fourrée à la guimauve la plus éculée (coucou L’Ex de ma vie, Décalage horaire, La Stratégie de la poussette, 20 Ans d’écart…).

Pascal Chaumeil, sur le tournage de «A Long Way Down», en 2013. - LILO/SIPA

Pascal Chaumeil, sur le tournage de «A Long Way Down», en 2013. – LILO/SIPA

Combien de comédies françaises, depuis le début des années 2000 (il faut bien placer le curseur quelque part mais j’aurais pu reculer encore de quelques années), peuvent prétendre à ce degré de réussite quasi intégrale dans le périmètre de la comédie grand public à gros casting ? Et même en élargissant l’assiette, finalement, quel est le bilan qualitatif du rire frenchy en pleine aube du 21e siècle ? Cet édito n’ayant pas pour prétention d’être une étude exhaustive et méthodologique sur l’évolution de la comédie française depuis l’après-guerre, on se gardera bien de tomber dans le “C’était mieux avant”. Mais rien qu’en restant à la surface des choses, l’observation des sorties du genre depuis quinze ans laisse pantois tant le niveau général rase la moquette du multiplexe. Le site cinétrafic.fr a recensé 475 longs métrages tricolores estampillés “comédies” sortis en France depuis 2000. Une base qui paraît déjà suffisante, sinon exhaustive, pour s’autoriser un jugement.

Sur ce nombre, la grande majorité des films peut se ventiler entre : les assassinats de patrimoine (Benoit Brisefer : Les Taxis rouges, Le Marsupilami, Iznogood, Boule et Bill, Le Petit Nicolas et sa suite, les 2 derniers Astérix, Lucky Luke, Les Dalton…) ; les recyclages de starlettes (La Famille Bélier) ; les branchouilleries vulgaires (Situation amoureuse : C’est compliqué, Les Infidèles, De l’autre côté du périph’, Les Kaïra…) ; les trips poseurs gonflés à l’esbroufe (Radiostars, Les Gamins…), les Michael Youneries, les dépliants touristiques (Nous York, Safari, Hôtel Normandy, La Croisière…), les véhicules pour stars du rire feignasses (Hollywoo, les Dany Boon, Coco, Bienvenue à bord, Cyprien, Chouchou….), les transfuges télé fourvoyés (Espace Détente, La Personne aux deux personnes, RRRrrr !!!…), les atrocités pures et simples (Qu’est-ce que j’ai fait au Bon Dieu, Fiston, Bis, Dépression et des PotesRTT, Barbecue, Les Gorilles, Robin des bois, La Véritable Histoire, Les Francis, Mais qui a re-tué Pamela Rose ?, Low cost… catégorie très fournie), les films de Fabien Onteniente (il ne déçoit jamais), la blanquette bourgeoise (Le Code a changé, Fauteuil d’orchestre, Quatre Etoiles…), les plagiats de formules étrangères (Absolument fabuleux, Vive la France, Babysitting, Fonzy…), les ploucqueries familiales formatées pour prime TF1/M6 (Les Tuches, Les Profs 1 & 2, La Cage dorée, Ducobu…), les pochades communautaristes (Il reste du jambon ?, Certifiée Halal, Mariage mixte, Halal police d’Etat, Beur sur la ville, Mohamed Dubois…), les come-back hideux (Les Bronzés 3, Les Trois Frères 2, Le Cœur des hommes 2 & 3, Ripoux 3, 18 ans après…), les moit’ moit’ frustrants (Elle l’adore, Hors de prix, Les Combattants, presque tous les Dupontel…), les bluettes dégueulasses (déjà citées plus haut), les pensums tray distingay (les comédies de Mouret, Labrune, Ozon etc.)… Marrant comme j’ai l’impression que certains titres sont parfaitement interchangeables d’une catégorie à l’autre.

Les Nouvelles aventures d'Aladin, de Arthur Benzaquen. Avec Kev Adams.  Sortie le 14 octobre. Au vu des premiers retours d'avant-première, ça s'annonce atomique...

Les Nouvelles aventures d’Aladin, de Arthur Benzaquen. Avec Kev Adams. Sortie le 14 octobre. Au vu des premiers retours d’avant-première, ça s’annonce atomique…

Ami lecteur, je concède un zeste de provocation dans ce petit inventaire vachard, à passer forcément au crible de la nuance et surtout à relativiser en fonction de ta subjectivité. Mais tout de même. Si je me base sur la mienne, de subjectivité, je compte sur les doigts d’une main les films français qui ont su, ces quinze dernières années, me faire rire à gorge déployée sans avoir l’impression d’être pris pour un putain de bidochon. En incluant ceux qui ne m’ont pas spécialement touché, mais dont les qualités formelles et la valeur travail (au moins au niveau scénario et interprétation) me paraissent sincèrement inattaquables, j’arrive péniblement à une douzaine d’œuvres pas honteuses : les deux OSS 117, Prête-moi ta main, Le Bal des actrices, Le Prénom, Le Grand SoirIntouchables, Nos Jours heureuxLa vérité si je mens 2, Neuf Mois fermeLes Beaux Gosses, Quai d’Orsay. C’est maigre.

Aujourd’hui, quels réalisateurs français attachés à la comédie peuvent prétendre à l’élaboration d’une œuvre qui traversera les décennies et dont l’humour nous rassemblera sans nous abêtir et flatter le beauf en nous ? Cocardiers de tout bord, ne me sortez pas la carte « Mais aux Etats-Unis, est-ce vraiment mieux, mec ?« . Vous aurez probablement raison et on s’y repenchera peut-être plus tard mais dans cet édito, c’est la France qui prend. Oui je sais, c’est injuste, on appelle ça un angle. Hormis Serge Hazanavicius, Riad Sattouf, les duos Delépine/Kervern et Nakache/Toledano, Albert Dupontel ou encore Bruno Podalydès (et encore j’ai brossé large, vu la grande inégalité des uns et des autres), quels réalisateurs made in France portent donc haut et fort actuellement la mission du rire non-bas/nul/con ? Quels auteurs en activité ambitionnent de rejoindre André Hunebelle, Jacques Tati, Pierre Etaix, Gérard Oury, Yves Robert, Jean-Paul Rappeneau, Patrice Leconte (période drôle…), Jean-Marie Poiré (cf Patrice Leconte), Cédric Klapisch (ses quatre premiers films…), Georges Lautner, Edouard Molinaro, Francis Veber, Philippe de Broca ou même le troupier Claude Zidi (qui a eu le temps de commettre un authentique et magnifique classique, Les Ripoux) dans les rangs des nobles soldats de la farce ? En résumé : quel héritage culturel laisseront pour les générations futures toutes les daubasses sus-citées, bricolées à la chaîne et générées par l’éternelle stratégie de la courte vue, du prends l’oseille et tire-toi ? Complainte du vieux con ? Coup de gueule sans recul historique ? Peut-être, mais fallait que ça sorte. Je n’exclue pas que dans 60 ans, Pierre-François Martin Laval soit considéré comme le Gérard Oury de son époque et Dany Boon érigé au même rang qu’un Bourvil. De toute façon, je ne serai plus là pour m’en lamenter.

J’aimerais juste naïvement et simplement que notre horizon du rire ciné en France ne se limite pas à Kev Adams et Onteniente, aux Profs et à Ducobu, aux badernes en manque de tunes et aux jeunes tire-au-flanc planqués derrière un concept… Est-ce si utopique ? Au vu du récent article du Figaro rappelant que la comédie française, elle aussi comme Hollywood, oriente sensiblement ses gros sabots vers l’exploitation de franchise commerciale (Les Visiteurs 3, Brice de Nice 2, Camping 14…), c’est pas gagné. De toute façon, les chiffres donnent pour l’instant raison aux partisans du moindre effort : « Les comédies françaises réalisent une part très importante des entrées du genre, à 90,2% en 2014 (83,8% en 2013). Sur les huit comédies réalisant plus de deux millions d’entrées en 2014, toutes sont françaises« , peut-on lire dans le dernier rapport annuel du CNC. Bon. Pas de raison de changer une équipe médiocre qui gagne, hein.

En misant sur la qualité, lui, L’Arnacœur, avait de son côté généré 3,7 millions d’entrées en France et très bien fonctionné à l’international. Comme quoi, se creuser un minimum la nénette peut aussi rapporter gros. Et aboutir à un modèle de comédie moderne, picorant le meilleur de la rom’com à l’américaine, sans donner l’impression de régurgiter le genre paresseusement. L’Arnacœur, souhaitons-le, traversera mieux le temps que les purges du tout-venant français. Dans le présent en tout cas, la belle histoire de Chaumeil représente plus dignement le genre à l’étranger qu’Hollywoo… C’est la dernière comédie en date, en France, qui m’ait vraiment fait rire de bon cœur tout en me vendant efficacement un joli conte de fée. C’était un scénario original et travaillé (le travail, pas de secret…), pas un pitch racoleur et nain, gratté sur un coin de table pour producteur pressé de séduire les chaînes de télé. Merci M. Chaumeil, au moins le temps d’un film, vous avez rempli votre mission avec noblesse et respect du public. Les autres, bougez-vous un peu le cul.

 

 

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