Élise et les nouveaux partisans

Élise et les nouveaux partisans

Note de l'auteur

« N’effacez pas nos traces ». Dans la BD éponyme en 2008, Dominique Grange se fendait déjà d’une supplique en forme de titre. Dans sa nouvelle réalisation, l’auteur persiste et signe et nous lègue son héritage de Mai-68. Pas d’autojustification mais une autofiction, juste le parcours de militants qui voulaient changer le monde à la gauche de la gauche. La révolution était en marche et Tardi toujours au crayon…

L’histoire : c’est bien connu, pour réussir dans le métier, faut monter à la capitale. En 1958, c’est le constat fait par Élise, jeune chanteuse lyonnaise. Très vite, la môme se prend d’amour pour la lutte des classes et le combat des idées progressistes, ce que Mai-68 ne fera que confirmer. La révolution manquée accentua son engagement et son refus d’un retour à la normale. Elle opta, avec ses camarades maoïstes, pour la clandestinité. Un résumé d’une génération qui a voulu renverser ce monde colonialiste et capitaliste.

Mon avis : bien qu’elle s’en défende, entretenant un flou bien confortable, ni autobiographie, ni fiction, ce récit ressemble diablement à la vie de Dominique Grange. On se gardera bien de contrarier cette noble dame de 81 printemps née au bord du lac du Bourget à Aix-les-Bains qui s’associe à Tardi pour nous offrir ces Nouveaux partisans, le titre d’une de ses chansons, par ailleurs. Faut dire que l’auteur, chanteuse et dessinatrice s’est construit un destin tellement à part qu’à la lecture de cette BD, on a du mal à ne pas associer le parcours d’Élise et de sa scénariste…

Ceci posé, c’est le portrait d’une certaine France qui nous est esquissé. Ou plutôt largement détaillé au terme des 174 pages dont on a du mal à décrocher. Celle qui épousa la cause du peuple en Mai-68, celle qui rejoignit la Gauche prolétarienne sans jamais cesser de croire en Mao et son fameux Petit livre rouge. Celle qui hésita longtemps entre la contestation armée et l’agitprop tout en restant fidèle à la lutte des classes. Celle qui goûta aux geôles à force de militantisme dissimulé. Celle qui forgea ses convictions dans le combat contres tous les impérialismes. Celle qui s’est souvent perdue, aussi, à la fin de l’idéal révolutionnaire, ce qui n’est pas le cas de Dominique Grange qui n’a jamais abandonné le combat s’amourachant davantage du drapeau noir que de l’étendard rouge au fil du temps.

C’est un récit fort où une partie de nos concitoyens pensaient un autre monde possible. Au point de se mobiliser pour pousser l’ancien dans les orties. Le tout avec un contexte de forts tourments sociaux et sociétaux. ça ne vous rappelle rien ? Sauf qu’aujourd’hui, on n’entrevoit pas trop les successeurs de cette gauche extrême alors que la violence politique et économique est prégnante. Ce témoignage de Dominique Grange sonne comme un droit d’inventaire et de suite sur une période troublée. « L’héritage de mai 68 appartient à ceux qui se sont battus », a-t-elle dit à France Info en nous donnant une sacrée leçon d’engagement.

Cette BD est également un flambant constat d’échec pour toute une génération qui s’est donné corps et âmes pour l’avènement d’une société plus juste. Juste comme le ton général de ce roman graphique qui ne vous laissera pas de bois.

Si vous aimez : Le cri du peuple du même Tardi. Un préambule 100 ans plus tôt à Mai-68 avec la Commune.

En accompagnement : Le chiffon rouge de cher Michel Fugain.

Autour de la BD : c’est le transfert de l’année, celui de Tardi chez Delcourt après 40 ans d’extrêmement bons et loyaux services chez Casterman. Pige ou transfert définitif ? L’avenir le dira même c’est un énorme coup de tonnerre dans le petit monde de la bande dessinée.

Toujours est-il que Tardi et Grange s’entendent depuis longtemps comme larrons en foire et ont multiplié, au cours des années, les collaborations et, de fait, le compagnonnage. Leur destin est commun à la ville comme à la scène. Le tout dans une mouvance anarcho-libertaire.

Extraits :
Elise : « La prof de philo allait changer ma vie… J’attendais chaque cours avec impatience, tellement elle était passionnante et passionnée par ce qu’elle nous enseignait. A la maison, personne n’abordait jamais ces sujets-là : la colonisation, l’esclavage, le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, la lutte des classes, le marxisme, la Révolution… Grâce à elle, je sortis enfin de l’enfance et de l’ignorance. Cette année-là fut celle d’une prise de conscience politique irréversible. »

La prof de philo : « Fernand Iveton était un ouvrier tourneur et militant communiste. Il a été guillotiné l’an dernier à Alger, à la prison de Barberousse, pour terrorisme, avec deux camarades algériens… parce qu’il luttait pour l’indépendance de l’Algérie ! »

Elise : Mais madame, personne n’a demandé sa grâce ? »

La prof de philo :  » Si, bien sûr, mais le président de la République, René Coty et le ministre de la Justice – qui était alors François Mitterrand – ont refusé de lui accorder. Pour lundi, vous aurez un exposé à faire sur le racisme. Et puis, nous allons parler de la torture. Savez-vous ce que c’est la gégène ? »

Toute la classe : « Non… »

La prof de philo : « Eh bien, je vous invite à lire ce petit livre, écrit en prison par le journaliste Henri Alleg, lui aussi militant de la cause algérienne, La question. »

Écrit par Dominique Grange
Dessiné par Tardi
Édité par Delcourt

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