
Entre le salut et la ruine (critique de Joe, de David Gordon Green)
Haaaa les Américains. C’est toujours quand on croit avoir touché le fond qu’ils nous en balancent des pires. Avec, Joe, David Gordon Green (Prince Avalanche) nous propose de poser une nouvelle borne dans la connerie humaine par le biais de deux magnifiques connards qui viennent heureusement secouer les branches d’un film sinon un peu trop convenu et prévisible.
Le cinéma US ne nous a jamais vraiment épargné dès qu’il s’agit de montrer la misère et le degré de décrépitude de certaines de leurs villes. On est déjà descendu très bas et avec Joe, on descend encore plus. On ignore où se passe vraiment le récit. Probablement dans une ville en périphérie d’Austin, Texas. Une ville en phase terminale, comme tant d’autres, mais en plus sale, en plus amochée de la gueule. Gordon Green organise sa visite du meilleur vers le pire. On commence avec Joe et son équipe de joyeux drilles, empoisonneurs d’arbres. Ben oui, les gars empoisonnent des arbres pour que la scierie puisse ensuite venir les abattre. S’il n’y a pas de sot métier, celui-ci s’en rapproche quand même pas mal.
Le patron de cette bande de blacks rigolards et incroyables de naturel, c’est Joe. Nicolas Cage en pleine rédemption cinématographique même si son physique travaillé fait un peu tâche au milieu de cette collection impressionnante de sales gueules. Joe nous servira de guide tout au long du film. Il nous présentera tous ses copains édentés, ses putes préférées et son chien. C’est un monde où l’on vit sur quelques dollars, où l’on noie son passé dans l’alcool pour ne pas penser à l’avenir. Joe, comme sa ville, vit constamment entre le salut et la ruine. Le salut, c’est rentrer chez soi sans avoir fait de conneries. La ruine, ben c’est la ruine.
À l’autre bout de la chaîne, il y a nos deux connards magnifiques. Willie-Russell (Ronnie Gene Blevins), une sorte de cousin minable du Joker qui semble passer son temps à se faire décalquer la gueule pour pouvoir ensuite se venger. Willie-Russell est un maso à l’âge mental de 10 ans, prêt à tout pour faire chier le monde. Et enfin, il y a Wade, a.k.a G-Daawg, incarné par Gary Poulter, la véritable révélation du film. Wade est un clodo, un soiffard, un alcoolique, un fainéant, un meurtrier, un salopard sans scrupule qui n’hésite pas à exploiter son fils et à prostituer sa fille mutique pour satisfaire son addiction. Wade, c’est les Thénardier puissance 10 000. Étant SDF lui-même, Gary Poulter a dû croiser pas mal des types dans son genre. Si ça se trouve, il a même été un Wade à un moment donné de sa vie. On ne le saura jamais puisque l’acteur est décédé peu de temps après le tournage, incapable de résister à ses propres démons.
Si Joe avait été fait 30 ans plus tôt, le rôle titre aurait sans doute été tenu par Clint Eastwood et il l’aurait sans doute réalisé aussi. Du coup, le film aurait également été plus original. Car David Gordon Green à beau tenter de noyer le poisson le plus possible, l’ombre de Gran Torino (entre autre) n’est malheureusement que trop visible. Quiconque est familier avec ce type de western moderne ne sera pas surpris pour un sou ni par son déroulement, ni par son final. Joe obéit au récit classique du bad guy en quête de rédemption, qui fait tout ce qu’il peut pour éviter les emmerdes, mais qui va finir par les trouver. Reste le personnage et la performance de Gary Poulter, dont la force est d’être à la fois pathétique et véritablement effrayant. Wade est un monstre au visage abominablement humain qui, malgré les faiblesses du film, peut prétendre à entrer au panthéon des salauds du 7ème art.
En salle le 30 avril
Joe (USA – 2013), de David Gordon Green avec Nicolas Cage, Tye Sheridan, Ronnie Gene Blevins, Gary Poulter…