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Et si on prenait au sérieux la politique dans le jeu vidéo ? (Par B1K)

Et si on prenait au sérieux la politique dans le jeu vidéo ? (Par B1K)

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« Et allez ! Encore un politicien qui s’en prend à un jeu vidéo ! » Relayé par Jean-Luc Mélenchon, Alexis Corbière du Parti de Gauche a déclenché une petite polémique sur Assassin’s Creed Unity, jugeant son trailer au moins aussi réactionnaire que Lorànt Deutsch et son Métronome. Alors cette semaine, quelques journalistes et commentateurs ont commencé à se bidonner. « Quels ringards ces cocos, s’en prendre à un jeu vidéo. Ah ah ah ! ». Et si c’était justement plutôt malin de leur part ?

Car loin de s’inscrire dans la tradition des critiques infantilisantes à la Familles de France, ces politiciens sont peut-être les premiers à considérer le jeu vidéo comme un média adulte. Si le fond de la polémique – une querelle d’historiens sur la Révolution – peut diviser, au moins, ils prennent ce média au sérieux. Assez pour considérer qu’il a une dimension politique, comme n’importe quel livre, pièce de théâtre ou film.

D’ailleurs, il était temps. Parce que les jeux vidéo, eux, n’ont pas attendu les politiciens pour se mêler de politique. Plus ou moins discrètement et consciemment…

‘Murica ! FUCK YEAH !

modernwarfare30523Cela fait grincer bien des dents chez les dénonciateurs de l’impérialisme ricain, à droite comme à gauche. Le parti pris pour la Pax Americana est peut-être aujourd’hui le plus évident dans l’univers du jeu vidéo. Si trucider du nazi sur les plages du débarquement faisait à peu près l’unanimité, l’ambiance Soldat Ryan a vite laissé place à du Tom Clancy va-t-en guerre. Au milieu de la dernière décennie, la grande mode de la guerre moderne a débuté avec Battlefield 2 et les Call of Duty d’anticipation. Dans ces jeux,  l’abominable nazi est en général remplacé par un très méchant nationaliste (Russe ou Arabe de préférence). Ou par un communiste fou nostalgique de la guerre froide. Ou les deux. Difficile de ne pas faire de parallèle avec des organisations et des problématiques bien réelles.

Un pas supplémentaire a été franchi avec les Call of Duty Black Ops, qui ne se contentent plus de situations géopolitiques fictives, mais revisitent carrément certains événements marquants de la guerre froide (de la baie des cochons à la guerre du Vietnam)… Et font intervenir de vrais personnages, dont certains existent encore (et portent plainte).

De leur côté, les Iraniens et le Hezbollah (rarement représentés comme des forces bienveillantes dans les softs occidentaux) ont eux aussi tenté de lancer leurs jeux patriotiques. Mais Special Operation 85: Hostage Rescue, s’il présente les Américains et les Israéliens comme des kidnappeurs de gentils physiciens nucléaires iraniens, n’a pas franchement les moyens de ses ambitions.

 Maxis et l’American Way of Life

D’autres jeux abordent beaucoup un peu plus discrètement la chose politique. Un jeu aussi inoffensif en apparence que Sim City, par la structure de son gameplay, prend mine de rien parti. Essayez d’augmenter les impôts, ou de les rendre simplement progressifs, pour baser votre économie sur des services publics forts : c’est l’échec assuré. De même, tout dans ce jeu pousse à la gentrification. Les populations pauvres sont les moins intéressantes. La nature du jeu (une ville vue de haut) ne pousse pas vraiment à s’intéresser à leurs individualités de pauvres et à leur bien-être. Leurs bâtiments sont laids et, dans Sim City 4, qui permet de gérer plusieurs communes limitrophes, on a vite fait de les reléguer dans les banlieues dégueulasses. Avec toutes les centrales à charbon et les usines qui puent, histoire de soigner sa « vraie » ville, propre, pleine de riches et de jolis bâtiments qui brillent.

L’autre franchise incontournable de Maxis, Les Sims, est souvent pointée du doigt pour son consumérisme. Votre Sim ne PEUT pas être heureux sans acheter une nouvelle lampe, un nouvel ordinateur ou un nouveau canapé. Le bonheur du moine ermite retiré dans la montagne pour méditer, ça n’existe pas. Ici le bonheur, c’est d’avoir. D’en avoir plein nos armoires.

Heureusement, la vie chez les Sims est facile. Il suffit de surfer sur Internet trente secondes pour trouver un job. Et si vous débutez comme préposé au café dans votre entreprise, vous pourrez facilement devenir un trader millionnaire. Tout ce que vous avez à faire pour ça, c’est bien choisir vos meubles pour booster votre motivation !

 Bioshock contre Ayn Rand la turbolibérale

MeanBigDaddy bioshockSans défendre violemment des idées trop clivantes, certains jeux assument totalement leur positionnement politique. Bioshock en est un parfait exemple. Le jeu de 2K fait ouvertement référence à Atlas Shrugged, de la romancière ultralibérale Ayn Rand. Très influente aux Etats Unis et presque inconnue en France, elle a marqué pas mal de figures de la culture geek, comme les libertariens Trey Parker et Matt Stone (pères de South Park), ou encore John Carmack, cofondateur d’ID Software. Et on note çà et là quelques easter eggs citant son œuvre dans le monde du jeu vidéo.

Mais Bioshock ne fait pas tout à fait un modèle de cette référence du Tea Party. Comme une partie d’Atlas Shrugged, le jeu se déroule certes dans une ville à l’écart. Un refuge où tous les libres penseurs de ce monde se sont réunis pour créer une microsociété sans gouvernement, à l’individualisme absolu, au capitalisme sans entrave.

Sauf qu’à la place d’une séduisante utopie, le jeu transforme ce rêve en une catastrophe glauque dans une architecture art déco aussi mégalomane que délabrée. Le fondateur de la cité cauchemardesque, Andrew Ryan (dont le nom contient l’anagramme d’Ayn Rand) a malheureusement vu le pouvoir lui monter à la tête.

Après le djendeur et les transexuels, si on parlait des cyborgs ?

deus-ex-2En cette époque très préoccupée par les histoires de genre, et de rapport au corps, depuis les polémiques sur le mariage gay, on peut aussi citer un jeu comme Deus Ex. Y rejouer permet de mesurer à quel point ses créateurs ont de l’avance sur certains débats de société. Depuis son premier opus en 2000, cette série complotiste tourne autour du thème du transhumanisme.

Dans son futur proche, chacun peut améliorer son corps en achetant des biomodifications (qui sont d’ailleurs une des features clé du jeu). Toute une partie de la population est devenue cyborg, hybride entre l’homme et la machine.

Dans le troisième épisode, prequel des deux premiers, de nombreux détails viennent dénoncer les dérives de ce système. Sur des affiches, de petits films ou dans des conversations, le jeu décrit la montée d’une ségrégation entre les riches pouvant se payer les modifications les plus performantes et les pauvres laissés sur le bas-côté. Dans une société de concurrence, quel pauvre, même motivé, peut rivaliser avec une personne plus favorisée pouvant booster son intelligence et sa vivacité ?

Loin d’être une lubie d’auteur de science-fiction, le transhumanisme pourrait devenir une réalité plus tôt qu’on ne le pense, et inciter les gens à acheter une main ou un œil plus performants. Ce thème agite déjà les comités d’éthique du monde entier, et donnera probablement lieu à des débats enflammés dans les prochaines décennies. Les enjeux sont énormes.

 Difficile de trop prendre parti quand on a une entreprise à gérer

Alors certes, la politique est déjà partout dans le jeu vidéo. Les radios des GTA ont de nombreux programmes satiriques, Fallout rit de l’Amérique puritaine et parano des années 1950, Les Metro (2033 et Last Light) mettent dos à dos communistes et fascistes façon Hannah Arendt.  Mais tout en étant partout, elle s’y fait tout de même discrète, ou la plus consensuelle possible. Les débats clivants sont généralement évités, surtout dans les jeux à gros budget. Car développer un blockbuster, ou même un jeu moyen, coûte hélas trop cher pour se mettre à dos une partie de son public.

Alors quand, et d’où, émergera cette génération de jeux engagés et critiques, qui élèverait le média à un nouveau niveau de maturité ? Difficile à prédire sans boule de cristal. Mais la place de plus en plus grande prise par de petits studios indépendants suggère qu’elle ne viendra probablement pas d’Ubisoft…

Et vous, qu’est-ce que cette polémique vous inspire ? Un jeu vidéo vous a-t-il déjà marqué ou énervé par sa position politique ? N’hésitez pas à nous en faire part dans la partie commentaire.

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