
« Eternity Incorporated » : la Bulle, version Platon
L’histoire : La majorité de l’humanité est rayée de la carte, décimée par le Virus des siècles auparavant. Les survivants ont été protégés par la Bulle, un espace clos, protégé et dirigé par une entité tutélaire et omnisciente, informatique : le Processeur. Un jour, ce dernier s’éteint. Alors, que faut-il faire ?
Mon avis : Raphaël Granier de Cassagnac offre un récit qui mêle non seulement science, mais aussi questions philosophiques. Il n’y a pas de grandes dissertations, mais le lecteur se met à penser à ce qu’il ferait dans cette situation.
Déjà, il y a trois points de vues qui scandent le récit. Celui de Sean, artiste et musicien, marginal. Gina, la responsable de la connectique, interagissant au plus près du Processeur. Et Ange, une brigadier, chargée de la sécurité de la bulle, aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur de celle-ci. Grâce à ces trois points de vue, on jongle avec une lecture à plusieurs niveaux. De l’espoir à la peur, en passant par l’attentisme.
La ville-bulle est un univers fermé, qui donne une impression d’échantillon de notre humanité. Des enfants, qui perdent tout contact, une fois leur « Père », leur dirigeant, disparus. Entre l’extérieur, peuplé de « mutants » et l’intérieur, où on a oublié comment prendre soin de l’autre sans l’assistance du Processeur, c’est toute une fable philosophique qui se construit. Les habitants de la bulle sont majoritairement pacifiques. Mais leur béquille ne répond plus et ils se rendent compte qu’il faut désormais se débrouiller seuls. Ou, du moins, chercher à comprendre ce qu’il se passe à l’extérieur de leur monde.
C’est aussi un récit lent à se mettre en place, des fois un peu agaçant, dans des mécanismes comme des rouages rouillés. Mais c’est une machine qui fonctionne, qui réussit à nous entraîner là où elle veut en nous faisant réfléchir, parfois maladroitement, sur le plus puissant moteur de l’homme : sa peur. Et sa curiosité.
Si vous aimez : La bonne vieille SF qui ne fait pas s’affronter des robots à mort et, au lieu d’un combat intergalactique, préfère offrir un miroir à nos comportements.
Autour du livre : Raphaël Granier de Cassagnac est physicien de métier (chercheur en physique des particules). Il a écrit suite à ce roman, sa préquelle : Thinking Eternity.
Extrait : « – Une chose est sûre, me dit-elle sans arrêter son geste. Ils n’autoriseront pas les mélanges. Le Processeur les interdisait pour garder le patrimoine génétique. Les Scands avec les Scands, les Afros avec les Afros, pas question de perdre la variété de l’humanité. Et les quelques fois où le Processeur l’autorisait, les enfants du métissage se voyaient, eux, refuser la reproduction.
Évidemment, elle avait étudié la question. Elle appartenait à un des groupes génétiquement sensibles car minoritaires et il leur était difficile de trouver un partenaire et une autorisation pour se reproduire. Entre les risques de dégénérescence génétique et la volonté de préserver les génotypes, le Processeur ne sélectionnait parmi eux qu’assez peu de couples compatibles, auxquels il demandait beaucoup d’enfants. À quatre-vingt-douze pour cent eurogénétique, j’appartenais moi-même à un des deux groupes dominants et je n’avais – il est vrai – jamais eu l’envie de participer au renouvellement de la population de la Bulle. »
Sortie : avril 2015, éditions Hélios, 376 pages, 10,90 €.