
Evènement: IndieCade Europe 2016
Alors que l’actualité de la scène indépendante n’a jamais été aussi importante ces dernières années, les salons et autres événements se multiplient pour offrir un terrain de jeu propice à ceux qui voudraient s’y essayer et discuter avec des développeurs habituellement terrés pour peaufiner le moindre détail de leur bébé. L’IndieCade est un des grands salons de ce terreau prolifique, et pour répondre à la demande importante, les organisateurs exportent l’événement en Europe. Première destination pour ce nouveau venu : Paris.
Direction le troisième arrondissement, au Conservatoire des Arts et Métiers, pour aller découvrir ce que le programme nous réserve. Loin des grandes allées du parc des Expos Porte de Versailles ou de la Villette, le lieu plein de charme et de tranquillité est un endroit bien plus agréable et teinté de culture pour accueillir l’IndieCade. Un choix judicieux, qui réussit à rappeler mes brèves années à la fac en proposant des conférences dans les amphithéâtres du coin. Des conférences somme toute passionnantes, accueillant même quelques personnalités du milieu pour venir bavasser devant un public déjà acquis à la cause. Parmi eux, la journée du vendredi laissait la parole à Matt Nava (directeur artistique sur Journey, réalisateur d’Abzu) ou Rami Ismail de chez Vlambeer (Luftrausers et Nuclear Throne) et le samedi était l’occasion de voir Michel Ancel, qu’on ne présente plus puisqu’il est le papa de Rayman et Beyond Good and Evil.
La petite keynote de Michel Ancel était d’ailleurs intéressante à plus d’un titre, puisqu’il évoquait sa carrière et sa volonté de créer des jeux qui lui plaisait en essayant de balayer tout ce que le travail sur ce média a de plus barbant. Il y parle de son premier titre, Mechanic Warriors, un titre de SF qui devait mélanger crafting et une touche de RPG, mais qui, devant l’ampleur de la tâche, s’est transformé en un shoot’em up où l’on tire sur des brosses à dents. Son parcours lui donne l’occasion de programmer, et c’est lorsqu’il décide de concevoir un prototype pour animer séparément les bras et les jambes d’un personnage que Rayman voit le jour. Le succès du titre lui donne l’occasion de bosser sur des projets de plus grande envergure, comme l’adaptation ludique du King Kong de Jackson, qui toutefois se transforme vite en un transforme en projet complètement scellé où la moindre modification implique beaucoup trop de problèmes. C’est de là qu’est venu le UbiArt, l’outil qui permet de garantir aux graphistes et aux designers une facilité de création sans jamais fermer le circuit, pour se concentrer sur l’essentiel. Il en a découlé les deux titres Rayman Origins et Rayman Legends, ainsi que des titres extérieurs, quoique toujours sous le giron Ubisoft : Child of Light et Mémoires de Soldats Inconnus.
Il y montre aussi son projet Wild, qu’il développe avec l’aide de son nouveau studio créé pour l’occasion. On y découvre ses prototypes, qu’il réalise lui-même pour donner une base de travail à son équipe, comme cette capacité de créer un décor complet à partir d’une planche de pixels qui se déforme, en multipliant le terrain de base. Ainsi, les graphistes peuvent partir d’une forme très simple et recréer très facilement les différents niveaux. Une petite vidéo sur ce GWO Editor permet de voir cette facilité de création. Michel Ancel insiste sur l’aspect technique en priorisant la volonté des créateurs à ne pas se perdre dans une masse technique qui n’arrivera jamais à convaincre une équipe de sa vision. Avoir quelque chose de concret à montrer et de faisable est toujours plus parlant que de juste tout coucher sur le papier. Une keynote passionnante, même si on regrette sa faible durée, avec l’impression que l’on a juste effleuré le sujet.
Le reste des conférences abordait des sujets tout aussi intéressants. On y voyait se succéder de jeunes développeurs et développeuses comme Fakhra AlMansouri, cofondatrice de Hybrid Humans, boîte de jeux vidéo basée à Abu Dabi, décrivant sa position de femme développeuse dans un pays comme les Émirats Arabes, des présentations de jeux comme le Psychonauts VR ou Wheels of Aurelia ou une conférence sur les Escape Games. Une des conférences aperçues est celle d’Étienne Mineur (Volumique), dont le sujet était la relation entre le jeu vidéo et les supports physiques. Il y faisait un rapide historique des premiers jeux à utiliser autre chose qu’une simple manette, ou la façon dont certains détournent des jeux connus pour jouer autrement. On y découvre des versions de Doom jouable au piano ou encore un semi-Track’n Field où l’on court contre un véritable hamster.
Etienne Mineur aborde également l’utilisation des nouvelles technologies pour proposer d’autres expériences de jeux simples et basées sur l’utilisation du physique et de son environnement. Photo/Nykto se sert du capteur de lumière des smartphones pour créer un jeu où le but est d’éteindre ou d’allumer la lumière d’une pièce pour glaner des points. Risk Legacy, basé sur le célèbre jeu, permet de faire évoluer les pièces de son jeu en rajoutant, ouvrant ou même déchirant certaines pièces de jeu pour le besoin de la partie. World of Yo-ho est un jeu de pirates où l’on utilise son smartphone directement sur le plateau de jeu que l’on déplace et qui représente votre bateau. On y évoque même la VR avec Keep Calm and Nobody Explodes où l’on désamorce une bombe avec l’aide de ses « amis » (testé et approuvé) et les évolutions de la technologie en utilisant du papier comme un élément conducteur pour une future interface à moindre coût. Bref, une conférence passionnante qui montre comment le jeu vidéo peut s’étendre à l’infini.
En ce qui concerne les jeux, bon nombre de petites pépites étaient présentes, réparties entre deux salles. Dans la « Salle des Textiles », illuminée par la lueur blafarde du soleil qui empêchaient parfois de voir les écrans correctement, on trouvait tous les genres et toutes les nationalités. Certains jeux étaient déjà sortis et connus, comme le fabuleux Furi et son enchaînement de combats de boss furieux, ou d’autres, moins populaires, comme Arnacute, un chouette jeu qui demande au joueur de diriger une troupe d’animaux mignons pour se rebeller contre une société qui a un peu trop misé sur son pouvoir totalitaire. L’aspect sombre du propos dénote complètement avec le rendu choupi du titre, qui fait penser à Pikmin ou Wonderful 101. On croisera aussi Winter, petit jeu narratif minimaliste se déroulant dans des pièces dont l’esthétisme rappelle immédiatement Monument Valley. Le but (dans cette démo) était de fouiller les pièces pour sortir de l’appartement, à la manière d’un Escape Game, le tout saupoudré d’une ambiance sonore qui donne envie de se lover tout au fond de sa couette avec un chocolat chaud. Ça sort l’année prochaine sur PC, ainsi que sur tablettes.
On trouvait également Aurion : Legacy of the Kori-Odan, jeu intégralement développé au Cameroun et dont son créateur, Olivier Madiba, faisait également un post-mortem vendredi soir en conférence. Le titre est un action-RPG s’inspirant fortement du système des « Tales Of », offrant beaucoup de possibilités lors des combats, en mélangeant des combos classiques avec des coups spéciaux activables avec des directions, couplés avec des pouvoirs d’éléments et la possibilité d’appeler sa compagne en soutien. Le jeu a une bonne patate, une ambiance atypique, promet vingt heures sur la quête principale et vient tout juste de sortir sur Steam. Du côté de la salle « Blanche », on tombait sur un espace bien plus restreint pour un même nombre de jeux, ce qui rendait la circulation compliquée. Au détour d’un laptop, un écran fait tourner une petite version jouable de Monster Boy and the Cursed Kingdom, version indé de la série des WonderBoy, façonné à la française avec un soin très particulier et tout en 2D. On y incarne un animal guerrier devant traverser des niveaux remplis de pièges et d’ennemis vicieux en tout genre. C’est un bon jeu « à l’ancienne » comme je les aime : difficile, exigeant et sacrément vicelard. Ça sort tout bientôt, les développeurs m’ont assuré qu’ils étaient sur la dernière ligne droite.
On trouvait également une version de Hacktag, ce jeu coopératif vous mettant dans la peau de furries désireux de s’introduire dans des lieux ultra protégés pour récupérer le plus d’infos possible. La particularité : l’un des joueurs incarne la hackeuse, dans une vue vous permettant d’aller d’ordinateur en ordinateur en évitant les systèmes de protection, l’autre joue le cambrioleur qui sera sur place. Évidemment, la complémentarité entre les deux sera essentielle pour atteindre l’objectif. Lichtspeer, quant à lui, est relativement simple dans son principe (balancer des lances dans la tête des ennemis qui avance vers vous en gérant la trajectoire parabolique), mais rattrape le tout grâce à une esthétique nordique et un humour dans les dialogues qui font mouche. On trouvera aussi du beat’em all à l’humour inspiré par Castle Crashers (My Mom is a Witch), un jeu d’aventure 3D où l’héroïne peut se transformer en oiseau et qui a joliment évolué depuis son premier trailer (Aer : Memories of Old), un Tetris multijoueur coopératif (Siheyu4n) ou un puzzle-game charmant avec une esthétique soignée (Old Man’s Journey).
L’IndieCade Europe première édition est donc une jolie réussite, l’occasion de rencontrer les développeurs de futures pépites du jeu indé, et d’assister à des conférences passionnantes, avec en plus quelques pointures du milieu que l’on prend toujours plaisir à écouter. Rien ne dit que la prochaine édition se déroulera également à Paris, mais on l’attend de pied ferme.