Final Fantasy VII Remake : Midgar au gorille

Final Fantasy VII Remake : Midgar au gorille

Note de l'auteur

Mai 2005, conférence de Sony à l’E3. L’instant est historique puisque Sony y dévoile sa future Playstation 3, non sans flouer un petit peu le public, avec notamment la célèbre vidéo pipeautée de Killzone. Et en cette période de Terre Promise, l’éditeur avait aussi dans son sac, on s’en souvient, l’intro de Final Fantasy VII pour montrer ce que la console a dans le ventre. Cris de joie, pleurs pour certains, et évidemment tous se prennent à penser qu’un véritable remake est en préparation dans les sous-sols de Square-Enix. La réponse fut sèche : « non, désolé, c’est juste une vidéo technique ». Mais ce n’était qu’une question de patience et d’opportunité commerciale, puisque quinze ans plus tard, le miracle est arrivé.

Millenial Fantasy

Final Fantasy VII Remake, donc. Bien plus qu’un Resident Evil 2 ou 3 récemment, Final Fantasy VII possède une aura particulière et a eu un impact significatif dans le parcours vidéoludique de beaucoup de joueurs, dont le mien. La découverte du genre J-RPG, la promesse de vivre une grande aventure, l’exaltation devant des cinématiques incroyables, voire tout ça à la fois, Final Fantasy VII aura su faire évoluer la narration dans le jeu vidéo et notamment le RPG japonais. Et lorsque Square Enix annonce enfin en grande pompes le remake de ce titre culte à l’E3 2015, à l’excitation se mêlent plusieurs interrogations : avec l’évolution du jeu vidéo depuis 1997, comment recréer le gigantisme et l’ambition de Final Fantasy VII aujourd’hui ? Est-ce seulement concevable ? La réponse de Square Enix ne se fait pas attendre : Final Fantasy VII Remake n’est que la première partie d’un vaste projet de refonte en plusieurs épisodes.

Si l’on savait que ce premier opus couvrait seulement la partie se déroulant à Midgar, soit une bonne section du premier disque, aucune réponse n’est donnée concernant la suite, s’ouvrant logiquement sur un monde ouvert. Comment cela va-t-il se passer ? Est-ce que le jeu va se transformer en open world ou garder une logique linéaire comme ce remake ? Est-ce que les personnages verront leurs stats revenir au niveau 1 ? Beaucoup de questions laissées en suspens et il faudra attendre patiemment pour les réponses. Mais recentrons-nous sur ce qui nous occupe aujourd’hui, en l’occurrence l’arrivée de Cloud à la gare de Midgar.

Barrett ou Marlène va tirer

Difficile de ne pas avoir des frissons lors des premières heures. L’adolescent au fond de nous resurgit instantanément et se prend un choc triple HD  devant ce qui était auparavant un décor pré-calculé en 640 x 480. Et lorsque l’on pivote pour la première fois la caméra pour admirer la tour Shinra qui surplombe notre héros aux cheveux foisonnants, les frissons sont garantis. Difficile de ne pas jubiler devant cette liberté visuelle qui se limitait jusque-là à une vue de dessus déjà impressionnante à l’époque. On se souvient imaginer tout ce qu’on ne voit pas, ce Midgar incroyable, futuriste, crade, rempli de plaques métalliques et de tuyaux fumants. Tout est là, sous nos yeux, avec ces incroyables panoramas de cette plaque surplombant les bidonvilles du Secteur 7 ou encore la célèbre église du secteur 5 qui n’a jamais paru aussi resplendissante. La madeleine de Proust fonctionne à plein régime, à tel point qu’on se demande comment ce remake est perçu par ceux qui n’ont jamais mis les pieds dedans.

Passé le choc visuel, cette aventure rocambolesque qui vous emportera une trentaine d’heures durant, continuera de vous transporter dans des endroits parfois inédits avec des points de vue surprenants. Car l’aventure sur PsOne ne donnait finalement qu’une poignée de cinématiques pour se rendre compte de l’envergure de Midgar. Ici, on mesure réellement la taille de cette mégalopole, et certains passages inédits développeront même le lore de la cité comme ce passage près des projecteurs géants permettant aux bidonvilles d’avoir des journées ensoleillées. Si des couloirs en ligne droite et une liberté toute relative sont le prix à payer pour assurer la flamboyance technique, les équipes de Square Enix seront parvenus à transposer une Midgar incroyable qui résonnera encore davantage dans l’imaginaire collectif.

Mais les personnages ne sont pas en reste : les modèles sont superbes, détaillés et Cloud et ses potes n’ont jamais été aussi beaux que dans ce remake. Si la plupart des designs de l’époque ne choquent pas aujourd’hui, certains membres d’Avalanche auraient peut-être mérité quelques variantes de costumes pour ne pas casser la cohérence lorsqu’il s’agit de passer inaperçu dans les transports publics. Mais c’est du chipotage, probablement pour suivre religieusement l’original. Il faudra néanmoins faire avec quelques textures baveuses, peut-être dues à des soucis de loading qui pourront être résolus via un patch. Mais suite au confinement mondial, aucune trace d’un patch day one à l’heure où j’écris ces lignes, trois semaines après la sortie du jeu. La musique, en revanche, sonne délicieusement dans nos oreilles. Mis à part quelques nouveaux thèmes discutables, les nouvelles réorchestrations n’auraient pas pu trouver meilleur artisan que Masashi Hamauzu (FFX, FFXIII) pour rendre hommage au travail d’Uematsu. Variations en pagaille, refontes sublimes, chaque thème mémorable est placé avec soin, venant emporter le joueur dans un torrent de nostalgie pendant un simple flashback, ou procurer quelques frissons supplémentaires durant un combat de boss. Autant dire que la soundtrack officielle est déjà un immanquable.

Cloud François

Et des musiques, il en faudra pour combler la durée de vie bien plus conséquente de cette introduction qui ne durait pas plus de dix heures dans la version de 1997. Il aura donc fallu multiplier par trois nos pérégrinations urbaines pour ne pas subir les foudres des fans, dont certains regrettent déjà de n’avoir « que » 30 heures à se mettre sous la dent. Si l’histoire reste fidèle à la trame historique, Square Enix a rallongé certains passages pour booster la durée du jeu. Les nouveaux venus n’auront peut-être pas de quoi y redire, mais difficile pour les connaisseurs d’y voir autre chose que du remplissage artificiel. Le désir d’arriver au plus vite à la prochaine scène-clé est bien plus fort que de laborieusement chercher son chemin dans des niveaux au level design parfois peu inspiré. Les deux premiers tiers arrivent à camoufler les artifices derrière un minimum de mise en scène, mais les derniers chapitres retardent tellement le final qu’on finit par pester contre ces tunnels de monstres et de laboratoires secrets.

Étonnamment, ce ne sera pas dans les quêtes annexes que l’on pourra déverser tout notre fiel. Certes, les objectifs restent du service de voirie pour éliminer quelques monstres qui rôdent, mais ce n’est jamais bien long et ça permet de croiser quelques bestioles inédites tout en récupérant du matos un peu plus consistant. Une bonne affaire, en somme ! Quelques quêtes en fil rouge vous permettront de glaner quelques disques et ses remix de thèmes connus à la clé. Parmi les nouveautés, signalons un nouveau personnage, Chadley, proposant quelques défis de combat et sera à l’origine de l’obtention de quelques invocations, les Espers, à condition d’arriver à les battre à travers une simulation VR (et faisable avec le casque adéquat si vous l’avez).

Et qui dit FFVII, dit également matérias, ces fameuses sphères magiques que l’on insère dans son équipement pour activer magies et compétences. Elles sont réparties en plusieurs catégories : matérias vertes (magie offensives ou défensives), matérias violettes (augmente les statistiques), matérias bleues (ne fonctionne qu’en se liant avec une autre) ou matérias jaunes (compétences spéciales). Chaque pièce d’équipement possède un nombre d’emplacements précis pour vos matérias, certaines avec des connexions pour les matérias bleues. Mais le nombre peut évoluer tout comme les stats via une fenêtre d’amélioration d’arme, représentée par une espèce de plateau où l’on viendra dépenser ses PA dûment gagné à chaque passage de niveau. On pourra venir gonfler ses points de vie ou de magie, son attaque physique ou magique ainsi que d’autres statistiques à choisir selon votre style de jeu. Et fort heureusement, les PA s’accumulent sur toutes les armes, mêmes celles qui ne sont pas équipées. Chacune possède un plateau et des caractéristiques qui lui sont propres, généralement pour privilégier une spécificité comme la magie ou la force physique par exemple.

Mais cette idée possède une faiblesse, puisque chaque personnage pourra alors se spécialiser dans n’importe quel rôle pour pouvoir en théorie gérer l’équipe comme on l’entend. Sauf qu’en pratique, chaque héros possède déjà une façon bien spécifique de jouer au-delà de toutes magies ou attributs. Pourquoi diable mettrait-on Cloud ou Tifa en retrait pour balancer de la magie à distance alors que ce sont les seuls personnages qui attaquent au corps à corps ? Au bout des 30 heures, on met vite de côté certaines armes difficiles à privilégier. Mais comme chaque arme possède une compétence propre qui peut être apprise en l’utilisant un certain nombre de fois, on l’équipe rapidement le temps de quelques combats avant de la ranger au placard. Une petite faiblesse mais difficile à contourner : contrairement à d’autres épisodes et leur système de jobs, Final Fantasy VII possède des personnages avec un rôle dans le combat déjà établi.

Mais si Final Fantasy VII Remake se démarque sur un point que l’on pensait inattaquable, c’est son système de combat. Reprenant peu ou prou l’approche de Final Fantasy XV et son gameplay en temps réel avec pause active, Square Enix est parvenu à perfectionner ce modèle tout en transposant les mécaniques de l’épisode original. Pour faire simple, le chef d’équipe se contrôle comme dans un jeu d’action et peut utiliser l’attaque de base comme bon lui semble, avec coup appuyé si besoin, garde, roulade et attaque spéciale différente pour chaque personnage (changement de pose pour Cloud, tir chargé pour Barret…). Chaque attaque réussie fait grimper vos deux barres ATB (Active Time Battle), qui peuvent, tout comme dans le jeu de 1997, vous donner le droit à une action : lancement d’un sort, compétence ou utilisation d’un objet. Certaines en consomment deux, et les magies demandent d’avoir des PM (points de magie) en stock pour être utilisées. Et chaque action (sauf si vous utilisez des raccourcis) mettra le jeu en pause (ou plutôt, un ultra-ralenti du plus bel effet) le temps de faire votre choix et de sélectionner la cible.

Magic System

Et pour se différencier encore plus de FFXV, il est possible d’alterner à n’importe quel moment entre les personnages. On pourra même choisir les actions des héros passifs, pour peu qu’ils aient une barre d’ATB à disposition. Mais celles-ci se remplissent bien plus lentement que le personnage actif. Ça permet de ne pas trop faciliter les combats et forcer le joueur à utiliser un peu tout le monde, mais il est dommage de voir souvent l’IA aux fraises, se contentant d’attaquer et de se défendre mollement tant que l’on n’a donné aucun ordre, excepté un soin en cas de coup dur si la matéria adéquat est équipée. A l’inverse, on pourra y voir une manière de laisser le contrôle total au joueur pour éviter que les autres personnages ne grillent leurs actions ou leurs PM en faisant n’importe quoi. Et si jamais les combats difficiles s’éternisent trop, l’invocation devient alors disponible, et les Limites se débloquent également après un certain nombre de dégâts subis.

Si Cloud est le personnage que l’on utilisera de base, charcutant facilement les ennemis avec son épée géante, Tifa possède un gameplay étonnant et jouissif en corps à corps, pouvant jongler sur des combos digne des jeux de bastons si l’on prépare bien son set de raccourcis. Barret et Aerith deviennent vite les personnages de soutien par excellence, bien que Barret puisse être finalement assez passe-partout avec certaines armes. Mais si les combats sont aussi grisants, c’est grâce au système de choc qui force la tactique de terrain. Chaque ennemi possède une barre qui se remplit au fur et à mesure des dégâts. Celle-ci peut se remplir plus vite sous certaines conditions, que ce soit une faiblesse élémentaire ou esquiver des attaques aériennes par exemple. Une fois cette barre remplie, l’ennemi passe en état de « Choc » où il sera étourdi et sans défense, octroyant même des bonus de dégâts pendant ce laps de temps. A vous d’en profiter pour balancer vos attaques les plus puissantes. Une mécanique qui sied à merveille avec ce système de combat, permettant d’alterner les personnages pour choisir la bonne compétence tout en créant des diversions pour injecter une vraie synergie de groupe.

C’est encore plus vrai pendant les combats de boss, probablement les plus intéressants du jeu. Ils offrent régulièrement un pattern particulier qui demandera un minimum d’observation et de mouvement pour, par exemple, détruire certaines parties avant d’en attaquer d’autres. Le scénario rallongé pour l’occasion permet d’étendre le bestiaire, tout en procédant à une phase de réécriture pour amener plus de substance à des personnages un peu en retrait dans l’épisode original. On pense notamment à Jesse, simple membre féminin du groupe Avalanche en 1997, qui voit son background se développer. Midgar devient plus vivante que jamais, à travers une dimension sociale plus travaillée et un rapport aux médias et au contrôle des foules bien plus prégnant qu’auparavant. On regrette par contre certains tics d’écritures qui font de chaque personnage féminin une vraie groupie en présence d’un Cloud mystérieux et désabusé. Une sensation renforcée par des cinématiques qui mettent constamment l’accent dessus.

Et les petites hics d’écriture, on n’y échappe pas dans l’histoire. Le passage à Wall Market gardera sa trame narrative intacte avec tout ce que ça implique, et ses quelques moments qui peuvent être au mieux rigolos, au pire gênants, cela dépendra de votre appréciation. Des personnages secondaires viennent compléter la galerie de nouvelles tronches, que ce soit dans le cadre de quêtes annexes (Kirié, Johnny) ou même pour y venir déposer en toute discrétion un nouvel antagoniste pas indispensable que l’on ne verra même plus pendant le reste de l’aventure (Rochey). On sent l’obligation de créer un peu de nouveauté, mais le doublage, quant à lui, est de qualité, en VO ou en VF, même si les sautes d’humeur de Barret sont un brin bizarres dans toutes les langues.

Si la réécriture globale n’a pas forcément d’incidence sur le bon déroulé de l’histoire et parviendra à conserver les grands moments du jeu original, c’est bien la fin de l’aventure qui fera probablement parler d’elle. Il fallait trouver quelque chose pour l’attente du prochain épisode et c’est désormais chose faite. Difficile de répondre sans spoiler, mais Square Enix tente un vrai coup de poker sur les deux dernières heures, qui parviennent à conclure cette première partie tout en rendant extrêmement curieux de ce qu’il va se passer ensuite. Nul doute que cette fin alimentera les forums pendant les nombreuses années séparant la suite de l’aventure, et comme d’habitude avec Square Enix, la subtilité d’exécution rappelle que Nomura n’a pas oublié ses lubies de la saga Kingdom Hearts.

Avec Final Fantasy VII Remake, Square Enix tentait un pari risqué : refondre l’un des titres vidéo-ludiques les plus populaires en le modernisant pour qu’il soit à la hauteur des attentes. Et il faut reconnaître que le studio s’en tire haut la main. A travers un écrin fabuleux qui lui rend justice comme jamais auparavant et un système de combat transcendant le jeu original, Final Fantasy VII Remake peut se targuer d’avoir redéfini le concept du remake vidéo-ludique, avec tout ce que ça implique sur le scénario. Il n’échappe pas à une boulimie presque inévitable quand il faut rallonger une histoire en la multipliant par trois, et cela cause des vrais soucis de rythme dans son dernier tiers, accentué par un aspect couloir très linéaire. Mais la nostalgie est intacte et Final Fantasy VII Remake reste un grand RPG, même sur les consoles actuelles. Il faudra certainement attendre quelques années pour juger l’œuvre dans son ensemble, mais cette mise en bouche était un extraordinaire voyage.

 

FINAL FANTASY VII Remake
Développeur: Square Enix
Editeur: Square Enix
Plate-formes: PS4 (exclu temporaire)
Prix: 60 euros

Partager