
First Man : un petit pas vers le néant
Le réalisateur de La Land Land signe une biographie dépressive de Neil Armstrong, encombrée de tics visuels. Une odyssée intimiste doublée d’un tout petit pas pour le cinéma.
Damien Chazelle n’a que 33 ans et semble s’imposer comme une des étoiles montantes d’Hollywood, accumulant les succès, critiques et publiques, et les récompenses. Après Whiplash et La La Land, le cinéaste usine une superproduction calibrée pour les Oscars, sur fond de course vers les étoiles, First Man. Mais si Damien Chazelle est doué, il le sait, et c’est aussi la limite de son cinéma. Résultat, il ne va pas se contenter de refaire L’Étoffe des héros ou Apollo 13. Non, son odyssée va être différente et pas pareille, intérieure, entièrement centrée sur les tourments de son héros, Neil Armstrong, le premier homme à avoir posé le pied sur la Lune, le 21 juillet 1969.
Il est comme ça, Chazelle, il aime bien réinventer l’eau tiède. Et, en élève laborieux, piller le travail de ses cinéastes préférés, d’où l’air de déjà-vu de ses trois films… Avec le très virtuose Whiplash, il filmait le calvaire d’un batteur de jazz confronté à un prof tyrannique, un remix (vol ?) du début de Full Metal Jacket, pour nous retourner à la fin avec sa morale réactionnaire : la méthode du psychopathe était justifiée, il faut souffrir, voire mourir pour l’art, on ne remet surtout pas en cause les ordres. À l’image de son plan-séquence d’ouverture absolument époustouflant, La La Land était une symphonie d’élégants mouvements de caméra et de teintes crépusculaires. Chazelle revisitait la comédie musicale (de Gene Kelly à Jacques Demy), mais ne livrait qu’un objet brillant et désincarné, une compil exécutée sur le bout des doigts, un exercice de style, quoi. Il manquait juste la grâce de Fred Astaire…
Aujourd’hui, Chazelle revient avec un énorme morceau, une biographie de Neil Armstrong. Si Philip Kaufman dans L’Étoffe des héros filmait l’Americana, l’espace, la vitesse, le rêve héroïque de surhommes en Ray-Ban, Chazelle choisit quant à lui l’option odyssée intimiste. Donc on va contempler Armstrong, gentil père de famille sous Prozac, entre sa cuisine et la Lune, siroter des bières, s’occuper de ses mômes, vider la poubelle, s’engueuler avec bobonne… Ce n’est déjà pas très passionnant, donc Chazelle va faire dans le pathos, la psychologie de bazar. Sa ligne directrice, son Rosebud, c’est la mort d’un enfant. De fait, avant d’être embauché par la Nasa, Neil Armstrong va perdre sa fillette, qui meurt d’une tumeur au cerveau. Armstrong est donc un mec brisé, profondément dépressif, un zombie qui tente de se raccrocher à un rêve, un long calvaire qui culmine lors des séquences sur la Lune, « un grand pas pour l’humanité », mais enterrement de première classe pour Armstrong.
Avec cette mort qui plane et qui plombe, on est loin d’avoir un film en apesanteur. Et comme Chazelle cisèle un film INTIME et qu’il n’est pas certain que le spectateur soit aussi intelligent que lui, il va cadrer Armstrong et tous ses personnages en TRÈS gros plan, entre le front et les lèvres. Et ce pendant 2h30 ! Chazelle refuse le spectaculaire, les plans d’ensemble, et filme un bout de la carlingue vrombissante de la fusée, un boulon, ou l’exiguïté du module d’Apollo 11. Et pour nous prouver qu’il est définitivement un grand visionnaire, il filme le tout caméra à l’épaule avec le chef op suédois Linus Sandgren. Donc, même pendant les moments calmes, apaisés, la caméra tremble comme un junkie en manque. Après avoir repompé Stanley Kubrick et Philip Kaufman, Chazelle, tel un moine copiste, singe les frères Dardenne ou Lars von Trier, mais on ne voit que le truc, le tic, l’esbroufe. On se retrouve sur la Lune (où Chazelle fait quand même un truc dément au niveau du son) ou lors d’une explication tétanisante entre Armstrong et ses enfants et il n’y a aucune émotion, juste l’artifice qui dévore l’écran.
Comme certains musiciens de jazz, Chazelle est un virtuose. Mais ce qui est important dans le cinéma et dans la musique, ce n’est pas seulement la perfection, mais aussi les accidents, l’émotion, les fulgurances, les improvisations. Dans son cinéma storyboardé à l’extrême, cadré jusque dans ses décadrages, il n’y a pas (beaucoup) de place pour l’originalité, l’émotion, la sincérité, le rêve.
Dommage quand on propose un voyage vers la Lune…
First Man
Réalisé par Damien Chazelle
Avec Ryan Gosling, Claire Foy et Jason Clarke.
En salles le 17 octobre 2018
je comprends pas non plus l’ engouement pour cet habile cinéphile
C’est vrai qu’à l’époque DrNo en avait gros contre Whiplash, notamment sur sa morale réactionnaire. J’ai vu le film bien plus tard après sortie, et je ne suis pas tout a fait d’accord avec cette conclusion. Pour moi, ce que vous tenez du prescriptif dans le film, c’est seulement du descriptif : ce sont deux hommes passionnés à l’excès par leur art et qui se comprennent fondamentalement. Rien dans le film ne montre que leur relation est bénéfique, ils brisent chacun leur carrière professionnelle, et leur vie privée est sacrifiée !
D’ailleurs, il me semble que c’est le point central des films de Chazelle : il met en scène des personnages habités par leur passion à l’extrême au point de se déshumaniser. Je n’ai pas vu First Man, mais eu égard aux critiques diverses que j’ai lues sur le film, la mécanique semble la même et appliquée à la conquête de la Lune ! Dans mes souvenirs, je n’ai vu que des films « positifs » et non « dépressifs » sur la conquête spatiale. Même si votre billet n’est pas très laudateur, je verrai quand même ce film, parce que Chazelle reste un réalisateur formel intéressant et qui me paraît moins prétentieux que ces contemporains, je pense à Villeneuve par exemple.
Live long and Prosper
Très intéressant Bob votre point de vue sur Whiplash.
J’avais été très choqué par la fin de Whiplash où j’avais l’impression que Chazelle disait la fin justifie les moyens, il faut tout sacrifier à son art. Sauf que dans le film, le prof tyrannique a conduit un de ses élèves au suicide. Voilà ce qu’il déclarait à l’époque : « On ne peut pas nier qu’il y a une tradition de la cruauté dans le jazz. Les chefs d’orchestre tyranniques sont monnaie courante. Parfois, leur cruauté produit quelque chose, parfois non. Mais dans les cas où elle fonctionne, la question est : est-ce que le jeu en vaut la chandelle ? D’un côté, je suis plutôt humaniste par nature, je trouve cette tradition douloureuse, mais d’un autre côté, j’aime l’art… Je crois qu’il faut choisir. L’autre jour, je parlais de Paris avec mon producteur, de l’architecture haussmannienne, de cette géométrie extraordinaire… Il a fallu beaucoup de souffrance pour bâtir la ville : supprimer des foyers, déplacer des familles. »
Of his works, he is especially famous