Folklore sous effluves – Sharp Objects (HBO / OCS)

Folklore sous effluves – Sharp Objects (HBO / OCS)

Note de l'auteur

Pour un peu, HBO tiendrait presque là son mode opératoire fétiche. Après Big Little Lies l’an passé, voici venir une autre déclinaison d’un roman écrit par une femme autour de plusieurs personnages féminins, le tout porté à l’écran par Jean-Marc Vallée. Mais la comparaison tourne court et Sharp Objects d’évoquer plutôt une certaine True Detective, en bien comme en mal !

De Gillian Flynn, on connaît Gone Girl, son best seller, qu’elle avait déjà elle-même adapté pour un long métrage mis en scène par un certain David Fincher. Mais auparavant, elle avait fait ses débuts de romancière avec ce Sharp Objects en 2006. Il fut également longtemps question qu’il devienne un film. C’est même Pathé qui en avait les droits. Mais le contenu plus sombre se prêtait moins facilement à une déclinaison. Flynn, en particulier, était très attentive à conserver entière toute la personnalité de son héroïne.
Et puis — comme souvent désormais avec les projets HBO — tout s’est décanté avec une star, en l’occurrence Amy Adams, laquelle convaincra Jean-Marc Vallée. Ce dernier aura donc enchaîné sans transition entre Big Little Lies et celle-ci, en intégralité chacune, soit 182 jours de tournage en 20 mois.

Au départ, le Québécois était pourtant dubitatif. Il avait du mal à imaginer Adams dans ce rôle franchement sinistre. Sharp Objects décrit le retour aux sources (du mal) de Camille Preaker, journaliste pour un quotidien de seconde zone à Saint-Louis (au lieu de Chicago dans le roman). Un beau jour, son patron ne trouve rien de mieux que de l’envoyer dans sa ville natale, celle où réside sa famille et dont on devine qu’elle n’est pas spécialement ravie de retrouver. La très reculée (et fictive) Wind Gap, bourgade du Missouri, est secouée par la disparition d’une jeune fille et le rédacteur en chef de Camille anticipe un probable lien avec un homicide plus ancien. Selon les consignes de ce dernier, elle ne doit pas mener une enquête mais amasser des détails pour un reportage d’ambiance… ce qui ne sera, bien sûr, pas si simple, d’autant plus qu’elle revit d’emblée des souvenirs encombrants.

Le travail d’Adams apparaît immédiatement brillant. Il lui faut bien peu d’attitudes pour transmettre la complexité d’un personnage à la fois vernaculaire et étrangère à son ancienne communauté. À ses côtés, Chris Messina (The Mindy Project, The Newsroom) est intéressant dans le rôle d’un inspecteur au ras des pâquerettes. Surtout, les rôles secondaires, essentiellement féminins, sont exceptionnels. Citons Patricia Clarkson (Six Feet Under) en tant qu’Adora, la mère envahissante de Camille, et l’étonnante Eliza Scanlen qui tient le rôle d’Amma, la demi-sœur de Camille, avec une performance qui va la propulser très loin.

De son côté, Jean-Marc Vallée confirme toute sa sensibilité pour sublimer les talents d’une brochette d’actrices aux tempéraments variés. On s’aperçoit toutefois, de manière plus accrue que pour Big Little Lies, qu’il s’exprime mieux dès lors qu’il n’a pas de texte. Les dialogues ne sont pas son point fort et cela ressort dans le contexte si spécifique du Southern Gothic où le travail sur les intonations de langage est si important.

À sa décharge, les rapports de forces établis dans le texte de Gillian Flynn et auquel elle participe ici (elle est créditée sur plusieurs épisodes), sous la houlette de Marti Noxon (Buffy, UnREAL, Dietland), sont plus complexes. Le caractère torturé de Camille fixe rapidement une attitude évocatrice, bien accompagnée en prises de vodka et trajets de voiture au son d’un rock psychédélique (Led Zeppelin) pour un univers White Trash très proche de True Detective. Mais les rappels vers son passé tourmenté, systématisés ici sur la forme par des séquences subliminales, desservent le propos général et tendent à édulcorer les motivations de chacun.

Au fond, la prépondérance des personnages féminins de l’œuvre de Flynn, et notamment Adora, instaure un contexte matriarcal précis qui n’est pas sans rappeler The Handmaid’s Tale. Ce mécanisme social qui veut que face à la prédominance masculine, certaines femmes imposent une domination sur leurs consœurs. Dans le roman de Margaret Atwood et dans la série qui en est tirée, ce procédé véhicule une très juste dénonciation. Dans ce Sharp Objects, tout comme dans le True Detective de Nic Pizzolatto, le contexte doit se suffire à lui-même, pas question de proposer une quelconque réflexion en réaction. Et c’est bien regrettable.

Toujours est-il qu’on devrait souligner avec raison les prouesses d’Amy Adams au cœur de cette torpeur estivale. Gillian Flynn, de son côté, aura fort à faire ensuite pour nous convaincre qu’un remake d’Utopia (Amazon) était nécessaire…

SHARP OBJECTS (HBO) minisérie en 8 épisodes.
Diffusés sur OCS dès le 9 juillet.
Minisérie créée par Marti Noxon.
D’après le roman de Gillian Flynn.
Épisodes écrits par Ariella Blejer, Scott Brown, Vince Calandra, Gillian Flynn, Dawn Kamoche, Alex Metcalf, Marti Nowon.
Minisérie réalisée par Jean-Marc Vallée.
Avec Amy Adams, Patricia Clarkson, Chris Messina, Eliza Scanlen, Matt Craven, Elizabeth Perkins, Miguel Sandoval et Sydney Sweeney.
Supervision musicale de Susan Jacobs.

Visuel : Sharp Objects © 2018 Home Box Office, Inc. All rights reserved. HBO ® and all related programs are the property of Home Box Office, Inc.

Partager