Il était une fois… Tom Fontana (Partie 3 : d’Oz à Borgia)

Il était une fois… Tom Fontana (Partie 3 : d’Oz à Borgia)

FontanaTomPour certains, il est d’abord le créateur d’Oz et des Borgia. Pour d’autres, c’est surtout le scénariste de St Elsewhere et le showrunner d’Homicide. Dans tous les cas, Tom Fontana est un des producteurs les plus fascinants de la télé américaine : un de ceux qui repoussent sans cesse les limites des séries. Alors que la saison 3 de Borgia est diffusée actuellement sur Canal +, le Daily Mars revisite l’histoire d’un homme singulier.

Après ses débuts à la MTM et ses années à la tête d’Homicide, gros plan sur ces 15 dernières années.

L’été 1997 marque un nouveau tournant dans la carrière de Tom Fontana. Un tournant bien particulier. Si ses premiers pas de scénariste télé, quinze ans auparavant, tiennent de l’heureux accident, le lancement d’Oz semble quelque part écrit très tôt dans son parcours. Tout au moins d’un point de vue narratif.

Depuis St Elsewhere, Fontana nourrit effectivement une sorte de fascination pour le bad guy. Et plus exactement pour le bad guy comme produit de l’environnement qui l’a vu naître.

« Le mieux n’est pas mon problème »

Dans les saisons 2 et 3 du drama hospitalier, Fontana explore déjà cette idée avec une intrigue feuilletonnante qui, à l’époque, provoque la controverse : l’histoire du Violeur au masque de ski, dans laquelle un prédateur hante les couloirs de l’hôpital St Eligius.

Le "Ski Mask Rapist" de l'hôpial St Eligius.

Le « Ski Mask Rapist » de l’hôpial St Eligius.

Sous une forme assez proche du soap opera, cette storyline déstabilise considérablement le public en liant très directement le prédateur à une poignée de personnages principaux. Le plus troublant ? Fontana et Masius s’enfoncent dans une histoire particulièrement sombre mais dans laquelle le parcours des principaux protagonistes est le fruit d’une succession d’événements tragiques. L’intrigue ne justifie pas les actes mais les contextualise avec brio.

Sans l’avoir encore explicité de la sorte, Fontana met en pratique une formule qu’il prononcera des années plus tard dans un entretien publié dans le magazine Génération Séries à la fin des années 90 : « Le mieux n’est pas mon problème ».

Traduction : l’objectif n’est pas de raconter une rédemption, ni de forcément permettre à un personnage de tendre vers la lumière. Le but, c’est d’aller au bout du chemin emprunté, que la pente soit ascendante… ou descendante.

Si cette logique est au cœur d’Homicide, c’est évidemment avec Oz qu’elle est magnifiée.

 « Pars à Los Angeles : il y a quelqu’un assez stupide pour faire ta série »

Exploré dans St Elsewhere (l’expérience sera traumatisante pour le docteur Morrison) et dans Homicide (un épisode de la saison 5, Prison Riot, est consacré à une enquête de la Crim après une émeute pénitentiaire), l’univers de la prison intéresse Fontana depuis longtemps. Mais c’est pendant ses années sur Homicide qu’il commence à proposer le sujet ici et là. Sans succès.

« J’avais envie de produire une série sur le système carcéral et quand je l’ai proposée aux chaînes, tout le monde m’a dit « Sortez d’ici », raconte-t-il lors d’une masterclass à Série Series en 2014. Jusqu’à ce qu’un de mes amis me mette en relation avec les gens de HBO, qui cherchaient justement ce type de projet. Il m’a dit : « Pars à Los Angeles : il y a quelqu’un assez stupide pour faire ta série ». »

Oz arrive en 1997 sur HBO

Oz arrive en 1997 sur HBO

De retour en Californie, Fontana rencontre Chris Albrecht, le big boss de HBO, en train de réfléchir à la production de séries originales. Branchée sports et programmes pour adultes, la chaîne câblée a jusqu’ici fait parler d’elle en produisant Dream On et The Larry Sanders Show. Avec Fontana, l’heure est venue d’explorer l’univers des dramas.

Pour lancer la production de la série, Fontana fait de longues recherches sur le sujet. Et change, pour le coup, sa façon de travailler. C’est ce qu’il explique dans son échange au long cours avec Karen Herman :

« Avant Oz, j’avais l’habitude de prendre tout un tas de notes, de demander aux gens de me raconter ce qu’ils font et de consigner tout ce que je récupérais. Pour mes recherches en prison, je suis allé là-bas sans stylo ni bloc-notes. Je me suis dit que je retiendrais ce qui me semblerait le plus important. Pour mieux m’immerger dans l’environnement. J’ai décidé de m’appuyer sur ma mémoire, car je retiens très bien les choses. Finalement, j’ai compris une chose : vous mettez ensemble tout un groupe de personnes qui ont commis des actes extrêmes. Que voulez-vous qu’il se passe ? »

C’est évidemment autour de cette idée que Fontana tisse le canevas d’Oz, fresque brillante et brutale qui durera six saisons sur la future chaîne des Soprano.

À travers cette expérience, le showrunner va encore plus loin dans sa méthode pour esquisser ses personnages. À l’image de ce qu’il avait imaginé pour le personnage de Tim Bayliss pour Homicide, il a une idée assez précise de ce par quoi ses taulards vont passer, où ils vont aller. Notamment Beecher et O’Reilly. Une logique de travail qu’il reprendra pour la série Borgia.

Le divorce avec les networks

Chouchou des critiques américains, Fontana se fait (enfin !) connaître en France auprès du public sériephile grâce aux pérégrinations des prisonniers d’Emerald City. Mais ceci ne change pas franchement son image auprès des patrons de chaînes américaines. Il faut dire qu’entre Oz et Borgia, le scénariste tente à plusieurs reprises et en vain de faire son come back sur les networks.

The Jury, avec Cote de Pablo (NCIS) au début de sa carrière.

The Jury, avec Cote de Pablo (NCIS) au début de sa carrière.

Avec The Beat (2000), The Jury (2002, pour Fox avec James Yoshimura) et Bedford Diaries (2006, avec Julie Martin), il essuie trois échecs. Son envie de repousser les limites, de tenter des choses est toujours là. Sauf que le public ne suit pas. Et que l’évolution de la télé américaine ne fait plus vraiment des networks des terrains d’expérimentation sur lesquels Fontana peut prospecter.

En 2009, la production de la série The Philantropist pour NBC tourne au fiasco. Incompréhensions en série avec la chaîne, chiffres en berne, critiques circonspects… Plusieurs fois dans le passé, Fontana a songé à raccrocher, pour, comme il le dit en riant, aller écrire des poèmes épiques en Italie. L’heure H n’a cependant pas sonné : c’est finalement en Europe et en Amérique du Nord, pour Borgia (2011/2014) et pour Copper (série créée par Will Rokos, tournée à Toronto et diffusée en 2012/2013) qu’il va continuer à travailler.

Borgia, froide radiographie de la foi ?

À travers Borgia, Fontana explore une autre de ses thématiques phares : la foi.

« Depuis St Elsewhere, j’étudie le combat qui se joue entre Dieu et l’homme. En quoi cela construit ou détruit ce dernier. Avec Borgiai, c’est la deuxième fois que l’on pensait à moi. Je voulais travailler sur le thème des Bad Popes (un livre écrit en 1969 par ER Chamberlin, qui raconte la vie des huit papes les plus controversés) depuis un moment et c’est à cette période que Takis Candilis (le patron d’Atlantique Productions qui produit Borgia, ndlr) a pensé à moi. C’est la seconde fois que quelqu’un que je ne connais pas fait ça ».

Âpre et complexe pour les uns, froide et hermétique pour les autres, la série suscite une circonspection certaine auprès des fans d’Homicide et d’Oz. Mais Borgia offre surtout à Fontana l’occasion de travailler sur un projet historique dense pour mieux parler de notre monde.

« Borgia, c’est le début de la Renaissance, explique-t-il dans une conversation filmée avec Richard Belzer. Le Vatican, ce pourrait être News Corp sauf qu’ici, on ne vend pas des journaux mais le salut. Rodrigo voit le monde, la compétition qui s’y joue et se dit : « Bon Dieu, je peux faire mieux qu’eux ». »

À travers cet aventure, le natif de Buffalo poursuit surtout son travail sur deux axes cruciaux. La conception de personnages complexes et la formation de jeunes auteurs.

Travailler au plus près des comédiens…
Le sombre trio de Borgia.

Le sombre trio de Borgia.

En plus de trente ans de carrière, Fontana a toujours affirmé avec force le caractère collectif de son travail. Notamment avec les comédiens. Ce qu’il aime : créer des héros dont la consistance s’appuie ostensiblement sur les acteurs qui les incarnent.

« Je me rappelle d’une scène écrite avec John Masius où le couple William Daniels (Docteur Craig) et Bonnie Bartlett (sa femme, Ellen) se disputaient. Bonnie est venue me voir après l’avoir lue et m’a dit : « Tu étais sous notre fenêtre il y a trois soirs, c’est ça ? Parce que c’est exactement ce qu’on s’est dit à la maison! (rires) ». »

« J’essaie d’établir une relation de confiance avec les acteurs, pour comprendre qui ils sont, ce qu’ils font et mieux intégrer ce qui leur plaît ou les inquiète », avoue Fontana à Karen Herman. Andre Braugher en a marre de jouer les inspecteurs qui ne se plantent jamais dans Homicide ? Fontana lui répond : « On peut te faire avoir une attaque dans Le Bocal, si tu veux ». Et c’est ce qui ouvrira un des chapitres les plus marquants de la série.

… et jouer les figures tutélaires

Autre constante chez le créateur de Borgia : le goût de la transmission. De la même façon que Bruce Paltrow l’a accompagné dans sa découverte de l’écriture télévisuelle, il a toujours eu à cœur de soutenir les jeunes scénaristes. Qu’ils s’appellent James Yoshimura, David Simon, Bradford Winters, Sean Whitesell… ou les françaises Audrey Fouché et Marie Roussin, qui ont travaillé sur les saisons 2 et 3 de Borgia.

Fontana_Borgia« Au départ, j’y allais pour regarder comment il travaillait avec son équipe et essayer de trouver les clés du succès des séries américaines, explique Marie Roussin dans un entretien au Monde. Je me suis faite toute petite, car je savais que Tom Fontana n’avait pas spécialement besoin d’une scénariste française. Sur place, j’ai découvert un type qui adore transmettre son savoir-faire. Il aime former les gens ».

32 ans après ses débuts, Fontana s’impose finalement comme un des plus grands artisans de la télé américaine. Un empêcheur de tourner en rond dont on ne sait trop ce qu’il nous réserve encore, mais dont l’ambition est toujours la même : secouer, déstabiliser le téléspectateur. Pour mieux, comme il le dit lui-même, « exorciser (ses) propres démons ».

« Je pense que mon travail est sombre, parce que ça m’inquiète de voir la télévision devenir une sorte de Prozac, conclut-il avec Karen Herman. Quelque chose qui donnerait aux téléspectateurs sans les encourager à demander plus. Ce devrait être quelque chose qui ferait penser et ressentir des émotions faciles. C’est possible de divertir, je le comprends… mais je pense aussi qu’il y a de la place pour tout le monde. Je me sens une obligation de mettre la lumière sur les coins les plus sombres ».

 

Première partie disponible ici et deuxième partie .

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