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Tim Burton (un peu) ressuscité (critique de Frankenweenie, de Tim Burton)

Tim Burton (un peu) ressuscité (critique de Frankenweenie, de Tim Burton)

La hype du moment, c’est de défoncer Tim Burton quoi qu’il fasse depuis Mars Attacks. Mais autant les procès en dévoiement artistique paraissent justifiés devant des purges édulcorées comme Charlie et la chocolaterie ou Alice au pays des merveilles, autant l’acharnement tourne à la pose ou l’obsession sur un film aussi charmant que Frankenweenie.

Synopsis dossier de presse

Après la mort soudaine de Sparky, son chien adoré, le jeune Victor fait appel au pouvoir de la science afin de ramener à la vie celui qui était aussi son meilleur ami. Il lui apporte au passage quelques modifications de son cru… Victor va tenter de cacher la créature qu’il a fabriquée mais lorsque Sparky s’échappe, ses copains de classe, ses professeurs et la ville toute entière vont apprendre que vouloir mettre la vie en laisse peut avoir quelques monstrueuses conséquences…

 

Qu’avons-nous là ? Un adorable spectacle à base de marionnettes en patte à modeler animées image par image, où Burton replonge dans ses souvenirs d’enfance – Burbank, la vie pavillonnaire, l’école et ses profs zarbi, le sentiment d’être en marge des copains de classe, les parents aimants et surtout un petit chien nommé Pepe dont la mort brisa le cœur du futur cinéaste. Ne serait-ce que par l’usage du noir et blanc, pari artistique plutôt gonflé pour un film d’animation destiné aux bambins, Frankenweenie s’apparente ainsi directement à l’autre long métrage autobiographique de Burton (et son plus beau à ce jour), Ed Wood, avec lequel il partage l’immense Martin Landau. Rappelons au passage qu’alors que Burton avait quitté Disney, son premier employeur, sur note plutôt aigre en 1984, leur réconciliation s’opéra en deux temps dans les années 90 : lorsque le studio sollicita Burton pour réaliser L’Etrange noel de Mr Jack (qu’il se contenta de produire finalement) et aussi lorsque Disney lui permit de réaliser Ed Wood, qui venait d’être refusé par Columbia Pictures à cause du noir et blanc. A l’époque, Ed Wood avait été financé et distribué par Touchstone, la filiale pour adultes de Disney.

Tout comme Ed Wood, Frankenweenie rend aussi un hommage appuyé aux vieux films gothiques d’Universal (au premier rang desquels Frankenstein et La Fiancée de Frankenstein), ceux de la firme british Hammer et aussi aux pelloches de monstres qui pullulaient sur les écrans US dans les années 50. Membre de la caste des réalisateurs ultra cinéphiles comme Spielberg, Tarantino ou Scorsese, Burton signe avec Frankenweenie une grosse madeleine touchante, gorgée d’amour sincère pour le cinéma old school mais aussi les coulisses de sa fabrication. On est forcément attendri lorsque le petit Victor projette à ses parents le petit film de monstre qu’il a tourné en super 8, fait de bric et de broc avec l’aide de son chien Sparky.

Et tout comme le cinéaste avait fait de Edward Scissorhands et Ed Wood ses quasi doubles à l’écran, il a mis aussi beaucoup de lui-même dans le petit Victor Frankenstien. Cet investissement émotionnel très personnel du réalisateur, on le ressent tout au long de l’intrigue. Frankenweenie assure au final à 100% sa fonction distractive, il épate par son inventivité esthétique, ses idées rigolotes (le kiss électrique entre Sparky et sa futur fiancée canine…) et la beauté de ce noir et blanc chromé dans lequel évoluent des marionnettes particulièrement expressives, dans le comique ou la mélancolie. Pas sûr au passage que le film soit conseillable à des enfants de moins de sept ans, au regard de l’aspect plutôt effrayant de certains des monstres lors du climax à la fête foraine. Mais peut-être votre serviteur a-t-il lui même gardé en lui quelques terreurs enfantines qui obscurcissent son jugement sur la question, allez savoir…

On regrettera que malgré l’indubitable patte d’auteur de cette charmante entreprise, le récit ne creuse pas plus une charge émotionnelle qui était largement à sa portée. Le film amuse beaucoup mais à trop se concentrer sur l’action au détriment des personnages, il échoue à nous emmener vers les terres humides de la petite larmichette. Dommage à cet égard qu’un hurluberlu  aussi attachant que l’irascible Pr Rzykruski, brillant mais victime de ses origines et ses manières non conformes aux normes en vigueur pour les habitants un poil racistes de New Holland, soit plus ou moins abandonné à mi parcours dans le scénario. On aurait peut-être aussi apprécié que Burton fouille un peu plus la relation entre Victor et ses parents, ou profite de la possibilité de remaker son court-métrage de 1984 pour proposer une fin différente, moins happy endesque. La portée du discours sur l’acceptation de la mort s’en serait trouvée certainement plus cohérente… Mais on est chez Disney après tout ! Pas de quoi non plus crier au ratage : voilà un très joli moment de cinéma, atypique et distrayant, friandise visuelle truffée de clins d’oeils pour cinéphiles avertis. Incontestablement, Tim Burton a bien du mal à renouer avec ses pleins pouvoirs magiques. Mais ici, au moins, il semble essayer de tout son cœur et il faudrait vraiment en manquer soi-même pour ne pas au moins saluer l’initiative.

 

 

Lugosi/Rzykruski, même combat ! (Trois questions à Martin Landau, interprète de Mr Rzykruski)

Comment définiriez-vous Mr Rzykruski, le prof de sciences de Victor à l’école de New Holland ?
Martin Landau : C’est un excellent professeur, il est passionné et veut transmettre sa passion pour la science à ses élèves, mais hélas il n’est pas du tout diplomatique. Il a une tolérance tres réduite pour les crétins, s’emporte vite et à cause de cela, il a dû se faire virer de plusieurs écoles. J’ai reçu le script du film avec une lettre de Tim pour me dire ce qu’il voulait et une photo du personnage. Et Tim m’a précisé que Rzykruski était européen mais pas allemand, ni russe, ni hongrois… Il a donc fallu que je crée un accent générique, je l’ai imaginé venir d’un mystérieux pays nommé la Slobovie, d’ou viennent les « Slobs ». Mais j’adoré faire ce personnage, il fait rire mais quelque part c’est un gars tragique, à la Tchekhov. En plus, il a un rôle important dans Frankenweenie, puisque c’est lui qui montre à Victor les possibilités offertes par l’électricité. Il est le catalyseur de l’histoire.

Il a énormément de points communs avec le Bela Lugosi que vous incarniez dans Ed Wood.
ML : Oui, il a exactement la même fierté qu’un Lugosi. Avant de tourner Ed Wood, j’ai vu un film de 1952 nommé Bela lugosi meets a Brooklyn gorilla. Croyez-moi, à côté de ce truc, les films d’Ed Wood c’est Autant en emporte le vent ! Dans ce film, il y a un duo comique à la Dean Martin/Jerry Lewis, l’action se passe sur une ile avec un château et un savant fou joué par Lugosi, qui injecte un serum qui transforme des singes en acteur dans un horrible costume de gorille. C’est atroce ! Et pourtant, au milieu de cette catastrophe, on voit bien que Lugosi travaille très dur pour apporter un minimum de dignité à ce scientifique. Quand j’ai vu ça, mon cœur n’a fait qu’un tour pour lui et je me suis complètement approprié le personnage.

Martin Landau, juste après la table ronde. Une photo que je qualifierai de floue.

Quelle est votre relation de travail avec Tim Burton ?
ML : Je l’adore évidemment, je n’ai jamais tourné avec un cinéaste aussi singulier et comme tout bon réalisateur, il sait comme personne créer le terrain de jeu idéal pour un acteur. J’étais sidéré quand j’ai vu mon personnage animé à l’écran, ses expressions, c’est exactement comme ça que je l’aurais joué et que je me le représentais.

 

Interview réalisée en table ronde à Londres le 10 octobre 2012. Remerciements : Disney, Michèle Abitbol-Lasry et Séverine Lajarrige.

 

 


 

 

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