Edito: Gala de gaffes à Angoulême

Edito: Gala de gaffes à Angoulême

o-ANGOULEME-900L’édition 2016 du Festival International de la Bande Dessinée d’Angoulême vient de se clôturer tout comme elle avait commencé, par une polémique, parvenant à se mettre bon nombre d’auteurs et d’éditeurs à dos. Les critiques pleuvent maintenant depuis quelques années et le festival de BD, soi-disant, le plus prestigieux du monde, commence à accumuler les dossiers encombrants, tout cela dans un contexte des plus précaires pour les auteurs de bandes dessinées. Retour sur une édition teintée de scandales et qui montre une fois encore, les failles et les limites de cette manifestation vieillissante.

 

Le Festival International de la Bande Dessinée d’Angoulême est une véritable institution dans le paysage culturel français. Une fierté nationale se tenant chaque année depuis 1974, qui célèbre le neuvième art à l’échelle internationale. Ce festival de Cannes de la bande dessinée est devenu, au fil des années, une belle vitrine mondiale pour un art parfois méprisé, souvent dévalorisé et marginalisé. Les auteurs ont eu l’occasion de faire valoir leur incroyable travail et d’être récompensés pour celui-ci. Quant au public, il a pu rencontrer ceux et celles qui se cachaient derrière leurs œuvres préférées. Oui mais voilà, de nombreuses voix se sont élevées ces dernières années, remettant en cause un certain manque de diversité dans les œuvres et les auteurs récompensés.

 

À titre d’exemple, je vais un peu prêcher pour ma paroisse en vous parlant de manga. Il est assez frappant de voir à quel point le genre manga est sous-représenté dans un festival qui se veut international, d’autant que l’industrie de la BD japonaise est l’une des plus prolifiques au monde et qu’elle compte dans ses rangs des auteurs talentueux et renommés. Et Katsuhiro Ôtomo, invité d’honneur de cette édition 2016, me direz-vous ? Certes, il a gagné le Grand Prix l’année dernière mais il est à ce jour le premier mangaka à l’avoir reçu. En 2013, Akira Toriyama était en lice dans la même catégorie et pressenti pour l’emporter. Mais à la grande surprise de certains, il avait dû se contenter du Prix du quarantenaire du festival, sorte de prix de consolation. En 43 ans de festival, sur les cinq grandes catégories que sont le Grand Prix, le Fauve d’Or, le Prix du Jury, le Prix de la série et le Prix Révélation, le manga n’a remporté que quatre prix, dont le titre honorifique de Toriyama. À noter toutefois, car il faut savoir être bon joueur, que le titre NonNonBâ de Shigeru Mizuki, sorti chez Cornelius, a remporté le Prix du Meilleur Album en 2007, tout de même.

 

841059-libe-sexismejpegLe festival semble occulter un peu facilement tout un pan de la bande dessinée mondiale et quand on se penche sur les heureux lauréats dans ces catégories depuis qu’elles existent, le constat est sans appel, si le festival se veut international, il est avant tout français. La grande majorité des prix ayant été remis à des auteurs français, se pose alors la question de la légitimité des votants et surtout d’un festival quelque peu autocentré. De plus, ce sont de nombreux métiers comme coloriste, lettreur et même éditeur qui sont complètement oubliés dans la remise des prix. Leur travail n’est-il pas digne d’être récompensé ? Cette année 2016 restera très certainement une « annus horribilis » pour le prestigieux festival d’Angoulême et ses organisateurs. Tout a commencé par l’annonce des nommés pour le Grand Prix et cette liste 100% masculine, qui en a fait réagir plus d’un. Sachant qu’en 2013, lors du scrutin pour établir le Grand Prix, comptabilisant environ 500 votants, Posy Simmonds n’a obtenu que douze suffrages et qu’en 2014, sur 1500 votants, Marjane Satrapi n’en a recueilli que huit. Le constat est assez triste et glaçant ou tout du moins, amène à s’interroger sur un tel suffrage. Est-il dû au fait que ce soit des femmes ou alors juste que leur travail paraît moins intéressant ? Le débat reste ouvert…

 

En contestation, des dessinateurs comme Riad Sattouf, Charles Burns ou encore Daniel Clowes montent au créneau et demandent, via les réseaux sociaux, à être retirés de la liste. Le festival tente de se justifier en expliquant que ce prix récompense une œuvre entière et que, jusque dans les années 80, l’univers de la BD était essentiellement d’obédience masculine. Ce à quoi je répondrai par du Corneille:  la valeur n’attend pas le nombre d’années ! On n’a pas forcément besoin d’avoir atteint les cinquante ou soixante ans pour revendiquer une œuvre prolifique et de qualité. Je reviens très rapidement sur le manga, celui-ci comptant dans ses rangs de nombreuses auteures de renom et à l’œuvre conséquente. En vrac, le collectif Clamp, Junko Mizuno, Hiromu Arakawa, Ai Yazawa et j’en passe. Bref, pour tenter d’éteindre l’incendie, une nouvelle liste est proposée, incluant quelques auteures. Mais le mal est déjà fait.

 

Mais là où cette édition s’est vraiment prise les pieds dans le tapis, et s’est lamentablement vautrée, c’est durant ce week-end, lors de la remise des prix, les fameux Fauves d’Angoulême, créés par Lewis Trondheim. La cérémonie commence et les prix sont annoncés, Saga (Urban Comics) de Fiona Staples et de Brian K. Vaughan, décroche le Fauve de la meilleure série, tandis que les éditions Komikku se voit remettre le Fauve du Polar pour Inspecteur Kurokôchi de Kôji Kôno et Takashi Nagasaki et ainsi de suite. Les gagnants se réjouissent jusqu’à ce que l’on annonce que tout ceci n’était qu’une petite blagounette, un canular, une fausse remise de prix avant d’entamer la vraie. L’instigateur de cette idée fumeuse et navrante, n’est autre que Richard Gaitet, présentateur de la cérémonie et qui accessoirement officie sur Radio Nova. Même si le délégué général du festival, Franck Bondoux, invoque le droit à l’impertinence et se justifie de la sorte : « Permettez-moi de rappeler que nous étions dans le cadre d’un festival de bande dessinée qui est un art qui aime se moquer du monde mais aussi de lui-même. » La pilule passe très mal auprès des éditeurs et auteurs dupés.

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Car oui, lorsque l’on veut faire une telle mise en scène, pour que le gag fonctionne, à l’image des Césars ou des Oscars par exemple, il faut y inclure les principaux intéressés et donc les mettre au courant un tant soi peu. Les têtes pensantes du festival ont préféré s’abstenir de prévenir les futures victimes de la « blague » en question, et à défaut de rire avec eux, Richard Gaitet a préféré le faire à leurs dépens. Un ratage complet, doublé d’un manque évident de respect et de professionnalisme, malgré les excuses de l’instigateur quelques heures plus tard.

Qui plus est, l’ambiance était déjà bien aggravée par le compte rendu public d’une enquête de grande importance nommée « Les états généraux de la bande dessinée ». Un sondage qui dévoile une bien triste et trop méconnue réalité : la grande précarité dans laquelle se trouvent bon nombre d’auteurs. On y apprend notamment que 53% des répondants ont un revenu inférieur au SMIC annuel brut, dont 36% qui sont en-dessous du seuil de pauvreté, un chiffre en progression de 2% chaque année. Si on regarde du côté des femmes, la situation est encore plus alarmante avec 67% d’entre elles qui ont un revenu inférieur au SMIC annuel brut et 50% qui se retrouvent sous le seuil de pauvreté. D’autant plus effroyables, ces résultats viennent contraster avec un niveau de formation important de la part des créateurs du 9 ème art puisque 79% d’entre eux ont fait des études supérieures, la très grande majorité dans le domaine artistique.

Du côté des droits sociaux, les chiffres sont accablants : 88 % d’entre eux n’ont jamais pu prendre de congé maladie, tandis que 81 % n’ont jamais pu prétendre à un congé maternité ou paternité. Un autre constat assez édifiant nous interpelle et vient appuyer l’accusation de sexisme envers le festival, c’est la féminisation accrue de la profession, avec 27 % de votants contre les 12,5% généralement mentionnés. Une preuve de plus que la gent féminine se voit, n’en déplaise à certains, de plus en plus représentée dans l’univers de la BD. La ministre de la Culture, Fleur Pellerin, présente au festival, a eu l’occasion de s’exprimer sur tous les problèmes évoqués et promet de revenir avec des propositions sur la situation des auteurs, en mars lors du Salon du Livre. Seule ombre à l’horizon dans toute cette bien belle volonté : des propos similaires ont été tenus par la ministre lors de la précédente édition du festival d’Angoulême…

 

À l’aune de cette grande enquête riche d’enseignements, il apparaît encore plus invraisemblable que le festival et ses dirigeants aient cautionné une blague de si mauvais goût. Une chose est sûre : clairement, la grand-messe de la BD a du plomb dans l’aile et ne s’est pas faite que des amis sur le coup. Pol Scorteccia, le directeur des éditions Urban Comics ne décolère pas et aussitôt réagi : « C’est vraiment un canular de mauvais goût. La perception à l’internationale du festival, qui n’était pas terrible jusque-là après l’affaire de la liste des nominés uniquement masculins, relève du folklore ! Il n’était pas possible de savoir qu’il s’agissait d’une blague. Si, au moins, nous avions été prévenus avant ! ». Quant aux éditions Cornelius, elles parlent « d’un grand moment de honte et d’humiliation ». Bref, le FIBD, comme l’appellent les intimes, semblent s’être définitivement perdu. Entre élitisme, chauvinisme, sexisme et manque de respect flagrant pour une profession fragile et tous ses artisans, la crédibilité du Festival d’Angoulême est mise à rude épreuve. Peut-être est-il temps de repenser cet événement majeur, de le dépoussiérer, de le renouveler et de le moderniser ? Mais en a-t-il seulement les moyens ?

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