
Gérardmer 2021 : Possessor
Faute de festival dans les lieux habituels, Gérardmer se lance dans une édition en ligne, permettant à n’importe qui de découvrir les films de la sélection chez soi, bien installé sous la couette. L’occasion d’une petite sélection de critiques.
Dans un futur proche, une organisation secrète possède une technologie donnant la possibilité à quelqu’un d’habiter le corps d’une autre personne, afin de commettre des assassinats pour de gros clients. Tasya Vos est une de ces assassins mais son dernier contrat ne va pas se dérouler comme prévu.
Tout juste auréolé du Grand Prix du festival de Gérardmer de cette année, Possessor est la nouvelle oeuvre de Brandon Cronenberg, le fils de David Cronenberg. Huit ans après Antiviral, sa première tentative, le fiston retente sa chance, lorgnant toujours du côté de son père et de son approche du fantastique, avec un concept de science-fiction fort alléchant. Et en utilisant les règles de la technologie présente dans le film, Cronenberg va s’amuser pour créer du malaise psychologique et distiller tous les enjeux de son thriller : la personne possédée n’a aucun moyen de s’y opposer puisqu’elle n’est tout simplement pas au courant, et le possesseur doit nécessairement tuer son hôte pour sortir et récupérer son vrai corps.
Pour incarner un assassin à la morale plus que douteuse, Andrea Riseborough était la candidate parfaite. Elle amène cette froideur et ce regard glacial, tout en laissant paraître quelques restes de l’humanité de son personnage à travers les scènes en famille. L’actrice y est parfaite, accompagnée par une Jennifer Jason Leigh sans états d’âme chargée de diriger les opérations. Cronenberg arrive à expliquer tout le processus dès les premières minutes de façon claire, en laissant le spectateur assister à la fin d’une mission, avec tout ce que cela implique – des regards perdus, un assassinat froid et sans pitié, l’hésitation au moment du suicide qui doit la libérer. Sans hésitation, le metteur en scène délivre tout ce qu’il faut pour montrer l’implacabilité de cet univers, de ces personnages, et la perversion d’un capitalisme laissant de côté la bienséance. Des thématiques qui rappellent, encore une fois, celles de son paternel.
C’est lorsque tout commence à partir en vrille que Cronenberg se lâche sur les expérimentations visuelles, représentant l’intrusion d’un esprit qui n’est pas le sien avec une vraie maîtrise. Superpositions d’images, création d’une nouvelle peau en accéléré, de multiples effets qui ressemblent – oui, sans surprise – aux anciennes œuvres de Cronenberg père. Ce n’est pas pour nous déplaire, mais Brandon a clairement du mal à s’en détacher pour trouver sa patte. Lorsque arrive le climax, quand l’esprit du possédé se rebelle contre le possesseur, on est à la fois subjugué par ce qu’il se passe et un peu perdu en essayant de comprendre qui est aux commandes. La mise en scène mélange des flashbacks pour afficher le chaos dans la tête du personnage, tout en sombrant dans une tuerie sanguinolente. Une violence aveugle alimentée par les pulsions sauvages des protagonistes, mais difficilement justifiable dans leur cruauté.
Possessor parvient à illustrer de manière saisissante la lutte pour le contrôle d’un corps humain et la psyché d’un esprit qui repousse comme il peut des sentiments contradictoires. Le film est l’opportunité pour Cronenberg d’expérimenter sur le montage, sur les images et de créer des scènes assez glaçantes, mais la surabondance de violence dans sa dernière ligne droite devient trop systématique et abusive, jusqu’à prendre le pas sur la dimension psychologique qui était plus intéressante. Possessor devient un laboratoire fascinant et réussit à mettre en image un concept SF qui peut être compliqué à appréhender, mais se loupe quelque peu sur un débit sanguin qui n’était pas nécessaire. Fascinant mais inégal.
Possessor
Réalisé par Brandon Cronenberg
Avec Andrea Riseborough, Christopher Abott, Jennifer Jason Leigh, Sean Bean, Tuppence Middleton, Rossif Sutherland
Sortie en avril 2021