God of War : un grec à l’hydromel

God of War : un grec à l’hydromel

Note de l'auteur

Passionné de mythologie, God of War était mon rêve de gosse assouvi sur grand écran. Affronter l’hydre à bord d’un navire voguant sur une mer Égée déchaînée, foncer vers un colosse de Rhodes bien décidé à en finir avec le dieu de la Guerre ou grimper sur Gaia pour aller rétamer une fois pour toutes les ardeurs d’un Poséidon en colère : God of War n’a jamais caché sa démesure, sans toutefois remettre en question son système de combat quand des concurrents ont débarqué pour lui faire de l’ombre.

En ligne de Mímir

Même panoplie de coups, même caméra désespérément fixe et roulades pataudes pour esquiver les coups, God of War devenait l’ancien que l’on cache dans la maison de retraite. Il faut dire que le dernier épisode en date, Ascension, n’aura pas bousculé les foules. Jusqu’à aujourd’hui, où le chef de meute revient sur le devant de la scène en oubliant toute numérotation pour remettre les compteurs à zéro. God of War vient montrer qui est le patron, plus hargneux que jamais, voyageant dans les contrées nordiques pour venir titiller la mythologie viking. Il était temps : à force d’éviscérer toute la mythologie grecque, il ne restait plus grand monde pour combler les ardeurs de notre spartiate préféré. Et le bougre est entre-temps devenu père, un rôle qu’il a déjà eu par le passé, simple prétexte pour justifier sa soif de vengeance (sa femme et sa fille, tuées par Arès). Mais le fiston Atreus n’est pas tout à fait un guerrier comme son paternel, ayant vécu principalement avec sa mère. Sauf que celle-ci vient juste de passer l’arme à gauche, et père et fils ont pour mission de porter ses cendres jusqu’au plus haut sommet de Midgard. Ce voyage initiatique deviendra un beau prétexte pour les rapprocher, mais vous imaginez bien que ce road-trip parental ne sera pas de tout repos.

Pour raconter cette histoire, Cory Barlog et l’équipe de Santa Monica Studios ont fait le choix d’articuler tout le jeu autour d’un seul plan-séquence, un pari audacieux à la Birdman qui empêche les coupes de caméra durant l’aventure. Peu s’y sont essayés. Dead Space 2 a par exemple prouvé qu’il était possible de réussir ce tour de force à échelle plus réduite et Half-Life en son temps peut aussi être considéré comme un jeu plan-séquence. Mais God of War place la barre plus haut en n’hésitant pas à capitaliser tout le grandiloquent de la licence dans cet effet de style sans jamais rompre le contrat. Les séquences spectaculaires sont bien là, et elles le sont encore plus quand on voit la maestria qui s’opère pour ne jamais couper l’action. L’histoire devient plus compacte, plus dense, donnant cette sensation d’une aventure en temps réel où l’on accompagne nos deux héros sans jamais les lâcher. La relation entre Kratos et Atreus y apparaît bien plus intime, n’hésitant pas à temporiser l’action par des pauses régulières et touchantes sur des séquences où l’on aurait d’habitude appliqué une ellipse grossière.

« Don’t be sorry, be better »

Si God of War a radicalement changé sa façon de raconter son histoire, tout en transformant un titre d’action en buddy-movie frigorifique, le jeu opère également des transitions en profondeur sur son gameplay, à commencer par une caméra désormais dans le dos de Kratos. On pourra comparer ce changement avec la saga Resident Evil et ce fabuleux quatrième épisode qui bousculait les codes de la saga. Ici aussi, God of War fait enfin sa mue (il était temps) en concentrant tout le système de combat sur sa hache Leviathan alliée à un bouclier rétractable, offrant du répondant aux bestioles trop nerveuses. Coup faible, coup fort, protection : trois actions de base que l’on maîtrise assez vite, mais ce ne sont que les arbres qui cachent la forêt.

Force est de constater que ce revirement radical est un vrai bonheur à découvrir, puisque comme dans un élan d’épure totale, le combat se concentre uniquement autour de cette arme, donnant à chacune de nouvelles compétences une manière d’enrichir sa tactique sur le terrain. La hache peut s’envoyer à n’importe quel moment et revenir dans la main de Kratos d’une simple touche sur la manette. Le joueur peut même dégainer ses pognes pour enchaîner l’ennemi et ainsi l’étourdir plus rapidement afin de déclencher un finish move sanglant et propre à notre vieux bourru. Quant au bouclier, il offre une protection sacrément dynamique, interrompant un combo pour se protéger contre une vague rapide venant sur les flancs. La contre-attaque est de mise pour éclater les draugr ad patres et renvoyer les créatures au fin fond de Helfheim. Du côté d’Atreus, le bambin se révèle sacrément utile avec son arc, histoire d’attirer l’attention des trolls des montagnes un peu trop collant, voire même d’interrompre certaines attaques fatales.

Tout ce petit monde s’améliore via un arbre de compétences où chaque niveau se débloque en récoltant certaines améliorations (généralement en suivant l’histoire) avant de dépenser votre expérience engrangée en combat. Le gameplay s’affine de plus en plus, et les confrontations deviennent excellentes devant la panoplie de coups qui se développe : contre-attaque de projectiles pour ennemis à distance, coups de hache virevoltant en appuyant sur la touche d’attaque après un temps d’attente, reprise de volée de son arme avant de déclencher une attaque dévastatrice ou même lancer de hache en multi-cibles pour dégommer plusieurs ennemis en même temps. Deux attaques runiques sont accessibles pour venir agrémenter les joutes de votre puissance sauvage, avec un cooldown ajustable au gré de votre équipement. Et si jamais le combat s’éternise, la fameuse rage spartiate permet de lancer Kratos dans une furie de poings furieux, récupérant un peu de vie tout en refroidissant les ardeurs de vos adversaires à coups de tatanes.

Comme un Ragnarok

God of War surprendra l’habitué quand vient le moment d’arpenter tout le pan RPG, et les débuts sont quelque peu laborieux. Les premières fois dans les menus du jeu ressembleront à un supplice digne de Tantale tant l’accumulation de menus et sous-menus donne le tournis. Tout est à la fois partout et nulle part, avec des écrans d’améliorations qui changent de place (une fois à droite, une fois à gauche) et des menus d’armures qui améliorent à la fois les caractéristiques de Kratos mais lui donne aussi une compétence d’attaque. J’ai attendu la fin du jeu avant de me rendre compte qu’il était possible d’améliorer les attaques runiques, me rappelant avoir vu un message rapide en début de partie avant de l’oublier. Une fois la lourdeur du système passée, on y trouve son compte, mais les premières heures restent confuses.

Comme un quinquagénaire tentant de s’intégrer dans la génération d’aujourd’hui, God of War récupère tout ce qui fait le sel des jeux modernes, avec équipements, loots et XP dans tous les sens. Une approche qui aurait pu ruiner l’aspect narratif, mais les notifications restent étonnamment discrètes et ne viennent pas gâcher les moments de grâce grecque. Construit principalement autour d’un hub central, le jeu se structure en un monde semi-ouvert qui offre la liberté au joueur d’explorer le monde un peu comme il veut, des quêtes annexes venant dynamiser et enrichir le contenu. L’intelligence du game design est d’être parvenue à garder l’histoire au centre de tout sans enfermer le joueur dans un chemin prédéfini. Un mélange entre une confiance ouverte et un semi-guidage, qui permet de laisser le joueur aller où bon lui semble mais en reprenant la main sur la narration au bon moment, sans lui donner l’impression de manquer quelque chose. Un vrai tour de force, quand on voit comment les mondes ouverts se cassent les dents à force de se blinder de contenu en tentant de soutenir l’intérêt de l’intrigue. Il faut dire que l’aspect plan-séquence aide bien.

C’est d’ailleurs une surprise pour un titre aussi bavard et cinématique, mais le jeu propose un contenu sacrément riche, avec même des environnements inédits que l’on ne traverse jamais durant l’aventure principale. Quêtes annexes ou défis de circonstance, il y aura fort à faire pour dénicher tout ce que le jeu propose, avec des loots d’armure rutilantes en récompense. Santa Monica ne chôme d’ailleurs pas, et profite même des quêtes annexes comme des formes de respirations pour approfondir les liens entre Kratos et Atreus. Mais si l’intention est louable, donner une telle liberté a un prix, et c’est l’écriture qui en paye les conséquences.

Midgard du corps

God of War ne s’en cache pas, l’inspiration des titres Naughty Dog crève les yeux : de ses moments de dialogues laissant du temps aux personnages aux quelques interactions de déplacements entre Kratos et son fils, le jeu profite de tous les artifices habituels des Last of Us et Uncharted pour créer de l’empathie sur les personnages. Le background de la saga est important, et God of War a transformé son héros en une icône tellement forte qu’il serait dommage de ne pas s’en servir allègrement. Kratos est un guerrier sanguinaire, brutal et sans pitié, qui découvre au fur et à mesure son rôle de père, tandis qu’Atreus est obsédé par la peur de le décevoir alors qu’il n’a pas forcément envie d’être aussi cruel que lui. Un postulat de base excitant, mais Santa Monica n’est pas Naughty Dog et dans cette volonté d’apposer une patte plus délicate, on sent un manque de finesse flagrant dans l’écriture. Que ce soit dans certains dialogues trop bruts, posant notamment Kratos comme le pire des pères dès le début, ou une fin un poil expédiée concernant les deux personnages, il manque une subtilité qui l’empêche d’atteindre l’excellence, bien que certaines scènes soient réellement touchantes et tapent juste.

Mais l’écriture souffre également de l’aspect semi-ouvert du jeu, puisque tout le développement des personnages se retrouve bloqué par la trame narrative, dès lors que le joueur s’aventure hors des sentiers battus. Résultat : une évolution parfois trop franche d’Atreus, passant du gamin attachant et bienveillant au gosse insupportable, donnant envie de continuer le périple en le laissant derrière. Et c’est finalement bien normal : comment construire en douceur une évolution de son caractère alors que le joueur peut à n’importe quel moment fuir le déroulement de l’histoire pour aller fouiller une quête annexe, pas du tout prévue pour accueillir des dialogues correspondant au moment T de sa caractérisation ? Il faut donc condenser toute cette écriture sur des courts passages du jeu, forçant les scénaristes à brûler les étapes, ce qui donne lieu à des sautes d’humeur moyennement crédibles.

En revanche, nulle déception à avoir quand on regarde la partie graphique. Somptueux et étourdissant, God of War en met plein les mirettes, accompagné par le magnifique score de Bear McCreary (monsieur Battlestar Galactica) même si sur la technique pure, Uncharted 4 remporte toujours la palme, la faute à des textures pas toujours glorieuses, qui se révèlent bien tristes sur les quelques passages en pleine lumière extérieure. Mais dès qu’il s’agit de travailler les ambiances lumineuses des mines sombres ou sur une plaine balayée par un vent glacial, les artistes de Santa Monica s’illustrent de bien belle manière. Petite réserve néanmoins concernant le monde des elfes, avec des choix et une esthétique discutables, renforcés par un level design assez sommaire qui rappelle les heures sombres des premiers jeux Halo et son univers bariolé et parfois sans cohérence.

Solidifié par une structure narrative semi-ouverte, le jeu se parcourt le sourire aux lèvres, où chaque affrontement est l’occasion de faire monter son skill, même si un twist scénaristique aux 2/3 de l’aventure modifie quelque peu le gameplay, sans même parvenir à le diversifier. Un poil dommage, mais on s’en contente, surtout que God of War réserve son lot de défis ardus si on sort de l’axe principal. Des bestioles plus agressives que d’habitude demanderont un peu plus de maîtrise ou une meilleure armure, mais c’est dans la quête des Valkyries que le joueur ira se mouiller s’il cherche du défi velu et sans concession. Un contenu vraiment généreux sans remettre l’histoire au second plan, c’est ça, la toute puissance de son nouvel épisode.

Si God of War a déserté les consoles pendant autant d’années, c’est pour mieux revenir, via une aventure laissant de côté la mythologie grecque pour s’attaquer aux pays nordiques. Et quelle aventure ! Repensant son système et sa narration de fond en comble, jetant un œil à ce qu’ont fait ses voisins durant ses années de convalescence, God of War rend une copie solide et superbe, articulée autour d’une construction tentaculaire parvenant à mixer tout l’intérêt d’un monde ouvert avec un jeu solo à histoire forte. Une prouesse, rien que pour cela, conjuguée avec une mise en scène atypique d’une maîtrise folle, qui n’est jamais dans la gratuité. Le prix à payer se trouve dans un cruel manque de finesse de certaines séquences, pas toujours subtiles. Difficile également de passer outre l’apprentissage laborieux de son aspect RPG les premières heures. Rien de grave cependant et God of War ravira les amateurs du spartiate tatoué qui a encore de beaux jours devant lui, dorénavant accompagné de sa progéniture.

God of War
Développeur : Santa Monica Studios
Editeur : Sony
Prix : 60 euros
Plate-formes : PLAYSTATION 4

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