
Going My Home, la contemplation gourmande
Nous concluons cette semaine thématique Accords Séries et Cuisine à l’occasion de la diffusion de Chefs sur France 2 par l’exploration de la gastronomie japonaise à travers la série Going My Home de Hirokazu Kore Eda. Laissons la parole à LL, dont l’érudition culinaire n’est plus à démontrer et qui a ouvert récemment un compte Instagram sur lequel s’expriment ses appétissantes créations. Going My Home, c’est un drame familiale dans lequel infuse la cuisine japonaise sous toutes ses formes. Des formes que LL révèle et nous explique dans une lecture éclairée.
« La gastronomie est l’art d’utiliser la nourriture pour créer le bonheur »
Théodore Zeldin
Si la France a toujours été considérée comme le pays de la gastronomie, le Japon n’est certes pas en reste (classé au patrimoine de l’UNESCO en 2013, 21 chefs étoilés en France). Précision, harmonie des couleurs, textures et goûts naturels : les plats des grands restaurants japonais tout comme les bentôs des petits écoliers nous ont tous fait saliver un jour, à la TV comme en vrai pour ceux qui ont eu la chance d’aller au pays du Soleil-Levant. Là-bas, peu ou point de sushis, de brochettes de bœuf au fromage mais des donburis (grand bol de riz avec de la garniture), des udons (pâtes), des soupes, des fritures ou encore des onigiris (boules de riz souvent fourrées), le tout confectionné avec ce souci esthétique et ce sens du détail qui caractérise la cuisine japonaise (pardon mais visuellement parlant, un boeuf bourguignon ça dépote pas des masses).
Going my home est une série japonaise que les participants du Festival Séries Mania ont pu découvrir lors de l’édition 2013. Elle raconte l’histoire d’un salaryman, Ryota, marié à une chef cuistot Sae, et papa d’une petite fille, Moe, qui traverse une dure épreuve et compense sa tristesse en se plongeant à corps perdus dans la chasse aux Kunas (lutins). Lorsque le grand-père paternel tombe dans le coma, Ryota se voit forcé de retourner dans la petite ville où il a grandi pour y découvrir certains secrets bien enfouis. Going my home est une vraie série feel good, et pas seulement grâce au ton joyeux et farfelu de l’histoire, mais aussi à travers le personnage de Sae, qui nous fait découvrir la gastronomie japonaise, son histoire et ses traditions. Pas de coups de feu, pas de stress, pas de hurlements, Going my home opte avant tout pour une cuisine simple, posée, familiale, très dépaysante pour nous mais extrêmement séduisante pour servir son propos.
La série n’a pas pour vocation de mettre la cuisine au premier plan mais la réalisation contemplative d’Hirokazu Kore-Eda s’immisce dans le quotidien de Sae et sa famille et nous offre de très beaux moments de gastronomie. La jeune chef cuisine avant tout pour sa famille, et si elle participe de loin aux conversations, tout le monde finit autour d’un bon repas confectionné par ses soins. Les gros plans du réalisateur nous montrent les doigts de Sae qui fabrique (car c’est véritablement une construction) tous les plats avec un soin et une délicatesse qui confine au ravissement. La chef manie l’art ancestrale de la coupe avec un certain brio, indispensable quand on mange avec des baguettes, notamment la découpe d’aliments en fleurs, hanata-giri, pour égayer les repas de Moe. Chaque déjeuner représente un tableau, une histoire que la jeune mère raconte à sa fille à travers les charabens (characters bentô) qu’elle fabrique. Sae se remet beaucoup en question vis-à-vis de Moe, notamment lorsque cette dernière est surprise à vendre les bentôs confectionnés par sa chef de mère à l’école. Le repas du midi est comme une trace qu’elle laisse dans le sac de sa fille et, tout comme Moe et Ryota, son mari, Sae finira par achever sa propre quête, celle de trouver le bentô bako (la boîte) parfaite pour le pique-nique final.
Si les bentôs constituent une grande part de la gastronomie japonaise (faute de cantine), le déjeuner et le dîner ne sont pas exempts de démonstrations gastronomiques. Le petit déjeuner se prend en famille, tout comme le dîner et même si quelques fantaisies sont permises, comme les hamburgers demandés par Moe, la règle du sankaku-tabé (« Manger en triangle pour manger de tout ») nous permet de voir les soupes, salades et multiples accompagnements que Sae prépare. La cuisine est également très présente lors des moments de deuil, quand elle rejoint Ryota et sa famille. Face au sale caractère de sa belle-mère et de sa belle-sœur qui vont parfois à l’encontre de toutes les règles de la bienséance japonaise, Sae fait face avec une humilité sans nom. Au lieu de la mettre à l’aise et de la laisser se reposer, les 2 mégères la culpabilisent pour la pousser à cuisiner. Heureusement, Sae ne prend pas la mouche, bien au contraire, et elle s’attache à montrer qu’une cuisine traditionnelle a autant sa place dans leurs assiettes qu’une cuisine haut de gamme.
Une expédition dans la famille de Sae nous permet de comprendre que la jeune femme a appris à cuisiner seule, du propre aveu de sa mère. Si elle n’hésite pas à dispenser des conseils autant pour son assistante que pour nous, elle s’occupe elle-même de chaque ingrédient et comment les sublimer à l’écran, que ce soit à l’aide d’un blanc d’œuf ou d’eau froide pour raviver les couleurs. Simples sans pour autant être minimalistes, élégants sans forcément être trop raffinés, ses plats sont de jolis jeux de couleur (à défaut de goût, on ne saurait juger) que l’on voit prendre forme devant nous. Sae et sa cuisine reste très représentatifs de la société japonaise tels qu’on les conçoit. 3 repas, tous pris de manière traditionnelle (c’est à dire en respectant les règles élémentaires de la politesse japonaise, ne pas planter ou pointer ses baguette, les lécher ou faire le tri dans son assiette ou son bol) avec un franc itadakimasu en guise de Bon appétit (qui traduit plus une forme d’acceptation pour ce que l’on va manger).
Au final, si Sae est au second plan derrière Moe et Ryota, Hirokazu Kore-Eda parvient à nous montrer en peu de temps, le caractère et les difficultés que rencontre la chef dans sa vie professionnelle et sa vie de famille, qu’elle tente tant bien que mal de concilier. Malgré tous ses doutes (notamment vis-à-vis de Moe qu’elle a l’impression de négliger à cause de son travail), il n’en reste pas moins que sa cuisine sera à l’origine de plusieurs éléments déclencheurs d’intrigues : la punition de Moe car elle a vendu ses bentôs à ses camarades vont lui permettre de se rapprocher de sa mère et son géant pique-nique, sur une idée de Naho, qui permettra de lancer la chasse aux kunas et de clôturer la quête première.
Néanmoins, Sae n’est pas la seule référente gastronomique de Going my home. On y trouve aussi un petit restaurant de campagne où la seconde famille d’Eisuke, le grand-père, se rend régulièrement pour des dîners en famille. Là encore, chaleur familiale et ambiance joyeuses sont au rendez-vous, au milieu des gyozas et des nouilles.
Hirokazu Kore Eda, le réalisateur, prend un gourmand plaisir à mélanger plusieurs mondes, à savoir, la quête de Ryota, les kunas de Moe et la cuisine de Sae qui finiront par être réunis dans un ultime épisode. Il passe plusieurs minutes à regarder la chef travailler, manipuler avec précaution pour délivrer un déjeuner à sa fille ou encore partir à la recherche de la meilleure boîte à Bentô pour un pique-nique, dans le fin fond de Tokyo. Le générique de fin est d’ailleurs un hommage à la chef puisqu’on y voit les plats cuisinés par Sae tout au long de l’épisode concerné. La gastronomie japonaise et toutes les traditions qui l’entourent ont ainsi une exposition de premier ordre aux côtés des Kunas et du drame que traverse la famille.
Pour une fois que le contemplatif peut vous mettre l’eau à la bouche…