
Gone Girl de David Fincher : une femme disparaît (Critique)
Pour son dixième long métrage, en salles depuis le 8 octobre, David Fincher dissèque le lent et inexorable naufrage domestique d’un couple dont le mariage s’étiole et le vernis vole en éclats. Bénéficiant d’un script de catégorie A, ce grand formaliste signe avec cette œuvre à l’intrigue bicéphale un thriller très fincherien, riche en humour noir, dans lequel il retrouve tous ses fidèles collaborateurs (Jeff Cronenweth à la photo, Kirk Baxter au montage, Trent Reznor et Atticus Ross pour la bande originale). Analyse et premières impressions, au sortir de la projection de presse, avec cette critique garantie sans spoiler.
She’d never laid claim to the fact that she was a strong girl.
So why should I loudly proclaim that she was a wrong girl.
I’d rather think of her name as some sort of song girl.
And think poetical things to think of my gone girl.
Gone like a knock on the door.
Gone with the wind for ever more.
Johnny Cash (“Gone Girl”, 1978).
Ils sont combien les grands cinéastes américains de la jeune génération (en gros celle apparue dans les années 1990) dont on attend chaque nouveau film avec impatience, dont on guette le prochain long métrage avec une réelle ferveur religieuse ? Si l’on fait le décompte des réalisateurs adulés comme des rock stars par les cinéphiles, ils se comptent en gros sur les doigts d’une main (allez, deux, maxi !). Des noms ? Bon, d’accord, en voici quelques-uns : Tarantino, Aronofsky, les Anderson (Wes et Paul Thomas – pas Paul W.S., hein !), Spike Jonze, Coppola fille, David O. Russell… Mais encore ? Les frères Coen (c’est de la triche, ils ont débuté dans les années 1980 !). Nolan peut-être ? Ah non pas lui, il est britannique, comme Danny Boyle ! Iñárritu, Cuarón et del Toro alors ? Non plus, les trois Caballeros font partie du gang des Mexicains.
Reste le cas David Fincher.
Ça tombe bien, le wonder boy est de retour. Avec un film qui renferme toutes ses obsessions, sorte de best of. Le cinéaste est actuellement à un stade de sa carrière où il n’a plus rien à prouver. Et son dernier thriller démontre une fois encore avec quelle aisance son style, sa maîtrise technique et son élégance formelle se placent bien au-dessus la mêlée.
Si le réalisateur avait signé fin 2010 un authentique chef-d’œuvre avec The Social Network (sur un sujet a priori peu cinématographique – la création de Facebook en 2004), ses créations s’appuyaient ces derniers temps sur des récits ayant fait leurs preuves ailleurs : Millénium : les hommes qui n’aimaient pas les femmes (The Girl with the Dragon Tattoo, 2011) était en effet une version hollywoodienne du best-seller de Stieg Larsson, déjà adapté à l’écran en 2009 par une production scandinave.
Dans le même ordre d’idées, House of Cards, conçue en 2013 pour Netflix, était le remake d’une mini-série britannique diffusée sur la BBC en 1990 (dont il a réalisé le double épisode pilote et coproduit, avec Kevin Spacey, les deux premières saisons). Fincher prépare d’ailleurs Utopia pour la chaîne HBO… d’après une série télé anglaise du même nom.
N’oublions pas le projet Vingt mille lieues sous les mers (qui devait se tourner en 3D), une véritable adaptation (et non une suite ou un prequel) du livre de Jules Verne que Disney devait produire… tout comme le long métrage de Richard Fleischer tourné pour le même studio en 1954 ! Un projet qui a vraiment failli se faire, mais qui est tombé à l’eau (c’est le cas de le dire) pour cause de budget trop élevé.
Simple film de commande proposé par la Fox, Gone Girl a au moins le mérite d’être tiré d’un scénario original – même s’il est adapté d’un roman à succès. En l’occurrence celui de Gillian Flynn, Les apparences, que la romancière a elle-même adapté pour le cinéma (en changeant la fin). Un ouvrage touffu dont elle a jeté 380 des 500 pages à la poubelle ! Vu que la durée du long métrage atteint déjà les 2h30, les fans du best-seller ne lui en tiendront sûrement pas rigueur. Gone Girl est en effet un véritable labyrinthe narratif, dont l’arborescence donne le vertige. Depuis Zodiac en 2007 (qui a visiblement inspiré le ton d’une série comme True Detective), ce control freak de Fincher s’est en effet spécialisé dans des films à la structure complexe, impliquant un grand nombre de faits, de chiffres, de dates mais aussi de personnages (que l’on se souvienne seulement de L’étrange histoire de Benjamin Button, à cheval sur plusieurs époques. Ou du cauchemar scénaristique et juridique qu’a dû constituer The Social Network. Voire de l’enquête tortueuse de Millénium – qui pourrait pousser au suicide n’importe quelle script-girl sur un plateau de tournage, vu le nombre de détails et d’indices qu’implique l’intrigue).
Avec Gone Girl, David se lance dans un nouveau pari. Celui de donner la parole en voix off à un couple. Un mari et une femme qui, tour à tour, exprime chacun leur point de vue sur la nature de leur relation. À savoir Nick et Amy Dunne (Ben Affleck et Rosamund Pike), deux new-yorkais qui abandonnent Manhattan pour s’installer dans une petite ville du Missouri dans laquelle Nick a grandi, North Carthage (ce dernier exerce le métier de journaliste dans un magazine branché). Ils sont jeunes, ils sont beaux, ils sont fous amoureux l’un de l’autre (dans son journal intime, Amy considère Nick comme “l’homme de ses rêvesˮ). Ils baisent même dans des endroits publics (à la bibliothèque municipale, notamment). Mais progressivement, ce couple a priori modèle va se fissurer. Les amis d’Amy l’avaient pourtant prévenu : le mariage, c’est du “hard workˮ. Une grosse somme de travail.
Le film débute justement le jour de leur cinquième anniversaire de mariage. Nick découvre que son épouse Amy a mystérieusement disparu du domicile conjugal et retrouve leur maison saccagée. Constatant des traces de lutte dans son salon, il prévient aussitôt la police. Quelque chose de grave est arrivée. Mais Nick devient peu à peu le suspect idéal aux yeux des autorités. Et il est jeté en pâture aux médias du pays. Chaque petit secret, lâcheté, trahison quotidienne de la vie d’un couple est soudain exposé au grand jour… Alors “guilty or not guiltyˮ ? Nick a-t-il tué sa femme ? En dire davantage serait criminel tant l’intrigue à tiroirs de ce thriller réserve des retournements multiples. Avec, en prime, un gros décrochage scénaristique central qui n’a rien à envier à celui de Fight Club ! Fincher et sa scénariste nous entraînent en effet dans une série de faux-semblants où personne n’est ce qu’il semble être. À vous de découvrir la partie immergée de l’iceberg.
A priori, ce qui a intéressé le réalisateur dans cette histoire, c’est avant tout l’étude du couple et du mariage : “J’ai trouvé que le livre donnait un point de vue très original sur la question, une bonne explication au fait qu’un nombre considérable d’unions se terminent mal.ˮ Le metteur en scène sait de quoi il parle. Et c’est sans doute pourquoi il a traité son sujet sur un ton si ironique.
Au début des années 1990, Fincher épousa le mannequin et photographe Donya Fiorentino, droguée et alcoolique. Le couple eut une fille, Phelix, en 1994, mais leur mariage prit l’eau. Après le divorce, le réalisateur obtint la garde de Phelix. Fiorentino, elle, se remaria en 1997 avec l’acteur britannique Gary Oldman (rencontré un an plus tôt au cours d’une réunion des Alcooliques anonymes à Beverly Hills). Ils eurent deux fils, mais leur mariage se termina devant les tribunaux en 2001 (Fiorentino affirmait qu’Oldman se droguait et la frappait devant ses enfants – en fait un mensonge éhonté).

Sela Ward (l’épouse d’Harrison Ford dans Le fugitif) en journaliste perverse et « bitchy » de NBC News.
Mais si Fincher passe l’institution du mariage au Kärcher, son film est également une satire féroce – bien que facile – des médias. Peinture assassine, tout sauf caricaturale, des grands networks américains, Gone Girl ménage de grandes scènes de comédie lorsque, trainé dans la boue et éclaboussé par le scandale, le personnage interprété par Ben Affleck se fait étriller dans un vulgaire talk-show, présenté par un sosie de Joan Rivers (la blonde Missi Pyle, somptueuse de bêtise froide). Ou se voit contraint de faire son autocritique, face à des millions de téléspectateurs, dans l’émission d’une animatrice vicelarde de NBC News (la brune Sela Ward, au sourire carnassier).
Le sadique Fincher semble d’ailleurs avoir pris un malin plaisir à torturer le pauvre Ben Affleck dans cette farce cruelle où il fait constamment office de punching-ball (“Au début de Gone Girl, on met les testicules de Ben dans un étau et on passe le reste du film à serrer, serrer, serrer encoreˮ a récemment déclaré le réalisateur au magazine Première). Le choix d’Affleck pour tenir le rôle principal n’est du reste pas innocent. C’est même l’idée la plus tordue du film. Fincher joue avec son image de gendre idéal en lui donnant un rôle qui n’est pas sans parallèle avec sa vie privée et sa carrière en dent de scie. Car Ben Affleck revient de loin. Avant d’avoir été choisi par Warner pour succéder à Christian Bale dans le rôle de l’homme chauve-souris dans Batman vs Superman : L’aube de la justice (prévu en salles pour le 23 mars 2016), Affleck avait incarné… Daredevil. À cette époque lointaine, il était considéré par la majeure partie de l’opinion publique comme un acteur fade et inexpressif, une endive. On était encore loin du réalisateur croulant sous les récompenses et une pluie d’Oscars pour Argo. Non, aux yeux du monde, Affleck était le bellâtre des productions Michael Bay (les compromettants Armageddon et Pearl Harbor), la star peu charismatique de La somme de toutes les peurs et Paycheck. Pire : on ne parlait de lui qu’à travers ses démêlés avec la presse people. Ses liaisons tumultueuses avec Gwyneth Paltrow, Jennifer Lopez – avec qui il a tourné le catastrophique Amours troubles – et Jennifer Garner. Ses cures de désintoxication, ses problèmes avec l’alcool, le jeu, l’argent. Mais aussi ses altercations musclées avec les paparazzis : “J’ai souffert de l’acharnement des médias, d’une certaine forme de rejet du milieu professionnel (…) Je pensais que j’étais plus fort que les journaux à scandale, que je devais les ignorer, mener ma vie comme je l’entendais. Mais aux États-Unis, c’était devenu si infernal, si disproportionné, si injuste et malintentionné que j’ai dû renoncer et m’éloigner de tout ça, sinon j’y laissais ma peauˮ a avoué l’acteur en 2007 dans Studio. L’année où, lesté de dix kilos et affublé d’une perruque, il a commencé à relancer sa carrière avec l’excellent Hollywoodland. “Hier, ils me haïssaient. Aujourd’hui, ils m’aiment enfinˮ déclare à un moment Nick Dunne, son personnage de Gone Girl. Terrible réplique que Ben Affleck aurait pu, à sa manière, prononcer aussi.
Pour incarner Amy Dunne, Fincher a opté, à la surprise générale, pour la Britannique Rosamund Pike, que l’on avait découvert, à 21 ans, en James Bond girl perfide dans Meurs un autre jour. Reese Witherspoon avait été pressentie avant elle pour interpréter ce rôle (elle se contente de coproduire le film à travers sa société Pacific Standard), mais c’est finalement l’anglaise qui a décroché le cocotier, grillant au passage d’autres concurrentes sérieuses comme Olivia Wilde ou Abbie Cornish (Natalie Portman, Emily Blunt et Charlize Theron avaient quant à elles refusé l’offre du réalisateur). Pike, dont l’inquiétante beauté, froide et classique, rappelle évidemment les fameuses “blondes hitchcockiennesˮ (en 2009, elle a d’ailleurs tenu le rôle principal dans la pièce Hitchcock Blonde, en jouant tous les soirs sur scène… complètement nue !) trouve ici son rôle le plus marquant, bien loin de ses emplois de potiche tenus dans Jack Reacher ou La colère des titans. Son visage au teint cireux en fait une sortie de poupée Barbie détraquée.

La magnifique couverture du magazine américain Entertainment Weekly, photographiée par Fincher himself.
En dehors du mariage et de la satire, drôle mais assez convenue, des mass médias U.S., Gone Girl aborde également d’autres thèmes. Comme celui du jeu. On peut lire en effet ce thriller sophistiqué comme un immense jeu de piste, où chaque indice est livré au compte-gouttes par le réalisateur. Dans l’une des toutes premières scènes, Ben Affleck se promène par exemple dans une rue avec, sous le bras, une boîte du célèbre jeu de société Hasbro, Mastermind. Serait-il désigné par le cinéaste comme le “cerveauˮ machiavélique de l’affaire ? En fait, il vient déposer au bar de sa sœur jumelle (Carrie Coon, remarquable) d’anciens jouets de leur enfance, qu’elle entrepose sous le comptoir. On retrouve plus loin Nick jouant à un jeu vidéo, affalé sur le canapé de son salon (“J’y joue parce que j’avais une furieuse envie de tuer des gens !ˮ lâche-t-il à son épouse). Au volant de sa voiture, Nick écoute un soir à la radio la chanson du groupe Blue Öyster Cult, (Don’t Fear) the Reaper. Hasard ou coïncidence ? L’aspect ludique de l’intrigue se poursuit avec la découverte de lettres, cachées à divers endroits, par Amy. Chaque enveloppe contient des devinettes sous forme de charades qui mènent à d’autres itinéraires et messages. Cette chasse au trésor est a priori un jeu auquel Nick et Amy se prêtent depuis le début de leur relation (elle aime d’ailleurs deviner les mensonges de son mari, lorsque son menton tremble et trahit ses pensées). On se rappelle alors que Fincher a tourné autrefois un thriller baptisé The Game. Et que les serial killers de Se7en et Zodiac, jouaient, eux aussi, avec les forces de l’ordre (l’un commettait une série de crimes inspirés des sept péchés capitaux, l’autre adressait des messages cryptés à la presse).
L’autre grande thématique de Gone Girl semble l’emprisonnement. Le mariage y est bien sûr décrit comme une prison (ou un enfer). Mais Amy se sent aussi étouffée par un père et une mère, auteurs à succès de livres pour enfants (elle a servi de modèle à l’héroïne de fiction créée par ses parents, Amazing Amy, ce qui a dépossédé la jeune femme de sa propre existence). Nick Dunne fait quant à lui un court séjour derrière les barreaux… avant d’être pris en otage par les médias. Et à l’instar de Jodie Foster enfermée dans sa Panic Room, un personnage de Gone Girl se retrouve cloîtré dans une cage dorée aux multiples caméras de surveillance.

La « kinky » Emily Ratajkowski a l’avant-premiere de Gone Girl au New York Film Festival, le 26 septembre dernier. Gloups !
Après 106 jours de tournage (débuté en septembre 2013) avec la 6K RED Epic Dragon, une caméra numérique offrant une définition de l’image neuf fois supérieure à celle des caméras HD standard, David Fincher peut être fier. Il vient de réaliser le meilleur démarrage de sa carrière et de se retrouver en tête du box-office avec Gone Girl. “Le meilleur film de la décennie pour un premier rendez-vous.ˮ Le slogan ironique de la Fox pour promouvoir le long métrage a manifestement fonctionné. Ce thriller a engrangé 38 millions de dollars lors de son premier week-end d’exploitation aux États-Unis. Des chiffres impressionnants pour une œuvre interdite aux moins de 17 ans (R-Rated) et contenant des scènes de nu (Emily Ratajkowski, le mannequin anglais de 23 ans, révélée par le clip de Robin Thicke, Blurred Lines, y est peu avare de ses charmes). De quoi asseoir un peu plus le pouvoir à Hollywood d’un réalisateur décidément hors du commun !
Réalisé par David Fincher (USA, 2014). 2h29. Avec Ben Affleck, Rosamund Pike, Neil Patrick Harris, Kim Dickens, Carrie Coon, Tyler Perry, Patrick Fugit, Emily Ratajkowski. Sortie le 8 octobre.
P.-S. : vous pourrez aussi trouver une critique négative de Gone Girl par Dr No (ça vous surprend ?) sur le Daily Mars. Il va sans dire que ses écrits comme les miens n’entraînent que nos responsabilités respectives.
Oh punaise, cette critique fleuve !!! Merci en tous cas, c’est très intéressant de lire votre avis après celui du Docteur.
Merci infiniment Alex. On est prêt à tout pour satisfaire les lecteurs du Daily Mars ! Je te souhaite une bonne séance si ça t’a décidé à aller voir le film par ce mercredi pluvieux au ciné. Salutations.
Très chouette critique qui m’a permis de mettre certaine chose en perspective et de voir le film un peu différemment en y repensant.
Ça manque de surprise, et d’un petit je ne sais quoi pour que la mayo prenne sur moi, je ne partage pas non plus l’avis sur la noirceur absolue sur la vie de couple que tout le monde semble avoir vu.
Mais formellement c’était juste impressionnant.
Merci Taoby.
Gone Girl est typiquement le genre de film qu’il faut voir deux fois. La scène de la douche est absolument géniale !
[SPOILER] La scène de la douche était insuffisante pour moi comme prétexte à laisser Amy couverte de sang pendant au moins 3 heures après son retour… [/SPOILER]
Utopia par Fincher, ça peut être intéressant… merci pour l’info!
Be seeing you,
Mentine
Hello Mentine,
Je pense que la séquence de la douche est davantage métaphorique que réaliste. On est dans le Grand Guignol lorsque Rosamund Pike est recouverte de sang. C’est très grinçant, mais pas du tout à prendre au premier degré.
Concernant Utopia, la team série du Daily Mars reviendra très prochainement sur ce remake signé Fincher.
Bien à toi.
Et bon week-end.
Tiens sur les boards d’imdb, tout le monde justifie cela par le fait que les équipes soignantes en salle d’urgence n’ont pas le temps de faire le bain de leurs patients… mais pas d’hypothèse métaphorique. Si ce n’était pas dans le bouquin d’origine, c’est un « effet » à-la-Fincher un peu grossier, ou je cite un des posts: « But Fiiiincher needed his cooool shot of the blood washing off of her in the shower. »
Be seeing you,
Mentine
Bon, j’ai beau avoir tapé un peu fort sur notre ami Dr. No, même si Fincher reste mon cinéaste favori (à égalité avec Michael Mann) ça ne doit pas m’empêcher de rester objectif.
Comme d’habitude chez Fincher, la mise en scène est nickel chrome, même si je trouve qu’elle est pour le coup parfois un peu trop « sage ».
Direction d’acteur au cordeau, comme d’hab aussi.
Personnellement je pense que si on aborde le film comme un thriller, le risque d’être déçu est important. Pour ne rien arranger, il n’est même pas nécessaire d’avoir lu le roman pour deviner aisément le fameux « twist » central.
J’ai lu que Fincher ne considérait pas « Gone Girl » comme un thriller (ouf!!Merci David!!), mais plutôt comme un « whodunit » qui bascule lentement mais sûrement vers l’absurde, finissant par carrément plonger dans la grosse satire.
« Gone Girl », c’est « La guerre des Roses » à la sauce Fincher, et c’est en ça que le film dépote!!
Si l’on déguste le film comme une énorme satire trash, on prends un pieds pas possible. Le talent de Fincher et de sa scénariste Gillian Flynn permet au film de pouvoir jongler entre différents « genres », mais il est clair qu’entre d’autres mains ça aurait définitivement viré à la catastrophe.
Pas un Fincher majeur pour moi, mais un excellent cru du maitre, avec quelques scènes absolument cultes, la chronique satirique d’un mariage cauchemardesque, une énorme dose d’humour noir, des interprètes excellents, un superbe hommage à Hitchcock et DePalma…allez-y vous passerez un super moment!!
Bonsoir Sylvrock,
Merci pour tes remarques.
D’accord avec toi sur un point, ce Fincher n’est pas son plus grand film, ni son plus personnel (quoique), mais le problème avec lui, c’est qu’il est condamné à être génial. Il a mis la barre tellement haut avec certains de ses films, qu’il doit être toujours au niveau d’excellence qu’il s’est fixé. Un peu comme un sportif de haut niveau. Sur Gone Girl, il fait office d’illustrateur. Mais de très bon illustrateur!
Comme l’a dit récemment un critique de Première : « La seule chose qu’on pourrait lui reprocher, en dernière instance, est que tout ça a presque l’air trop facile pour lui ».
On est tellement blasé, tellement exigeant avec ce réalisateur, que l’on ne s’étonne même plus du résultat. Ca a l’air normal pour quelqu’un de sa trempe. Oui, sauf que des thrillers de la qualité de Gone Girl, j’aimerai bien en voir plus souvent ! Il est tout de même mieux emballé que la moyenne du genre. Tu trouves peut-être « la mise en scène un peu sage ». Mais comme le dit Gregg Araki : « Fincher fait partie des grands réalisateurs classiques contemporains ». C’est un beau compliment. Et il est surtout très juste. Ce cinéaste se fout de faire le malin avec sa caméra ! C’était peut-être vrai à l’époque de Fight Club ou Panic Room (le fameux plan de l’anse de la cafetière). Mais depuis Zodiac – le film de la cassure -, son style a franchement mûri.
Et pour aller dans ton sens, plus qu’un thriller, GG est un film avec plusieurs saveurs. C’est le cinéaste qui en parle le mieux dans le dernier numéro de Cinémateaser, paru hier en kiosque : « Le film a trois actes. Ca démarre comme un mystère, ça devient un thriller fucked up et ça finit en satire. Et pour moi, l’aspect satirique est le plus important ».
Fincher a aussi fait cette excellente déclaration dans le même journal :
« C’est un long métrage qui parle d’une affaire exacerbée par l’hystérie collective. Un type d’hystérie qui va main dans la main avec l’indignation moralisatrice. Les deux se nourrissent l’un de l’autre ».
Il ajoute : « Il y a une plèbe qui veut une justice accélérée. On s’est tellement battu en tant que civilisation pour trouver des moyens de protéger les innocents des erreurs judiciaires et pourtant il y encore des voies publiques pour juger hâtivement et accuser ».
Tout est dit.
« un gros décrochage scénaristique central qui n’a rien à envier à celui de Fight Club ! »
== >> n’exagérons rien… 😉
« Ben Affleck se promène par exemple dans une rue avec, sous le bras, une boîte du célèbre jeu de société Hasbro, Mastermind. Serait-il désigné par le cinéaste comme le “cerveauˮ machiavélique de l’affaire ? »
== >> Fincher a démenti dans une interview… tout en admettant être conscient que le spectateur puisse y penser. 😉
C’est clair que ce type est un phénomène, même son « Alien 3 », pourtant saboté de long en large par la Fox, est bourré de qualités, c’est dire!!
Maintenant c’est clair que pour ma part j’aurais toujours une préférence pour la première partie de sa carrière, et que « Se7en » est toujours, et restera je pense mon Fincher favori.
D’ailleurs je donnerais cher pour pouvoir lui poser une question par rapport à son « cauchemar » vécu sur le tournage d' »Aien 3″ : sans ce dernier, y’aurait-il eu la déflagration « Se7en » ?? Pas certain du tout… ce serait intéressant de savoir ce qu’il en pense, non ?? 😉
Hello Sylvrock,
J’ai interviewé Fincher à ce sujet en 1998 dans le magazine Première (tu peux lire mon article dans le numéro 260, pages 120 à 123 inclus). Ce papier parlait en exclu de Fight Club, plus d’un an avant sa sortie en France. Bien qu’en tournage du film, Fincher s’était montré extrêmement cordial avec moi. Il m’a révélé aussi son calvaire sur Alien 3. Mais cette partie de l’entretien est parue, elle, dans le numéro 194 de Vidéo 7 en décembre 1999, à l’occasion de la sortie d’Alien la résurrection en VHS et Laserdisc. Il a commenté d’ailleurs tous les films de la saga à cette occasion, en précisant que son troisième volet était, à ses yeux, le pire de la série. Pour dire à quel point il était humble à l’époque…