
Good Kid, M.A.A.D City (Critique de Dope, de Rick Famuyiwa)
Une dose de John Hughes, une pincée de Spike Lee, un soupçon de Gregg Araki et deux louches de hip-hop : telle est la formule magique de Dope, film plus fresh que fresh concocté par Rick Famuyiwa. A la fois teen movie sucré et film social au constat amer, le long métrage parvient sans marteler son message à dresser le portrait d’une certaine Amérique de 2015, entre Obama, Kanye West et Trayvon Martin. Le tout dans un joli paquet cadeau de polar comique au groove certain. Word up yo!
Dans son emballage trendy et coloré, Dope a tout du film estampillé Sundance, trop cool pour être vrai et trop branchouille pour être authentique. Avec sa bande-son parfaite, ses héros étiquetés geeks mais lookés comme s’ils avaient été percutés par un camion Supreme, on a du mal à ne pas croire au pur produit marketing. Sauf que… erreur industrielle ou pas, le résultat est tout autre…
Récit de passage à l’âge adulte qui puise son inspiration dans les grosses ficelles classiques du genre, le film n’est ni plus ni moins que l’histoire d’un poisson hors de l’eau, le bien nommé Malcolm, geek de son état et lycéen puceau. Obsédé par la culture hip-hop des années 90, ce gentil nerd, qui ne rêve que d’Harvard et des courbes de la jolie Zoe Kravitz, va devoir, en compagnie de ses deux meilleurs potes, se débarrasser d’une grosse quantité de drogue arrivée en leur possession par pur hasard. S’en suivra alors toute une tripotée de péripéties les mettant en proie avec des gangsters de tout poil, du gros bras au gros mafieux. Jusque-là, pas de quoi s’extasier.
Pourtant, sous ce scénario ultraléger au vernis pop, le réalisateur, Rick Famuyiwa, réussit à dépeindre la crise d’une certaine jeunesse étasunienne, enfermée dans ses clichés et pour qui l’ascenseur social reste toujours bloqué, même quand son président s’appelle Barack. Noirs des banlieues pour la société wasp, traîtres à leur cause pour leur ghetto… Tous les prétextes sont bons pour être enfermé dans une case, quelle qu’elle soit. En choisissant la comédie comme message plutôt que de renvoyer à la tronche une réalité sociale morne, le constat qu’il fait ne se dilue pourtant pas. Mieux : il prend de la vigueur, notamment à travers quelques scènes clefs où la violence surgit sans crier gare.
Restant un teen movie avant tout (faut pas déconner, on n’est pas chez Ken Loach non plus), Dope profite d’un casting de jeunes acteurs qui parviennent, sans effort, à s’accaparer les punchlines du dialogue, tant du côté de l’acteur principal Shameik Moore que pour ses deux sidekicks Kiersey Clemons (vue dans Transparent) et Tony Revolori (le Lobby Boy Zero du Grand Budapest Hotel). Soigneusement castés, les seconds couteaux, de Zoë Kravitz au rappeur A$ap Rocky en passant par Blake Anderson, jouent parfaitement leur partition de rôles stéréotypés, suffisamment bien écrits pour donner corps au récit.
Chaque séquence est traitée avec soin, donnant lieu à quelques gimmicks visuels et à des moments de pure comédie qui, s’ils lorgnent toujours de l’humour adolescent, ne tombent pas dans le pipi-caca-bite-couille facile (bon, un peu par moments mais promis, juste ce qu’il faut). Présente – mais pas trop –, la voix off de luxe de Forest Whitaker enrobe le tout avec une suavité bienvenue. On ne s’en plaindra pas.
Bien sûr, Dope ne serait pas ce qu’il est sans sa B.O., véritable petit bijou élaboré avec la crème de la crème du hip-hop des nineties, compilant au hasard Naughty by Nature, Busta Rhymes, A Tribe Called Quest, Eric B. & Rakim et la Humpty Dance de Digital Undergound. Aidé du producteur Pharrell Williams, le groupe fictif du trio de héros livre même trois chansons pop punk idéales pour faire sauter les kids (promis, on est loin de la purge Happy).
Optimiste sans être totalement neuneu, drôle sans être complètement crétin, et sérieux sans écraser le spectateur, Dope parvient à réaliser le parfait équilibre du teen-movie, celui que John Hughes avait atteint il y a 30 ans dans Ferris Bueller ou Breakfast Club. Pourtant, dans cette formule datée, résonne un écho définitivement contemporain qui capture avec efficacité l’ère du temps. Un grand écart rare qu’on ne peut que savourer.
Et histoire de découvrir un peu plus l’univers de Dope, retrouvez les interviews de l’équipe réalisées par Lordofnoyze lors du dernier Festival de Cannes==> ici et ici.
Dope de Rick Famuyiwa avec Shameik Moore, Kiersey Clemons, Tony Revolori, A$asp Rocky, Blake Anderson, Zoé Kravitz et Forrest Whitaker. Sortie le 4 novembre.