Grand Orient de Jérôme Denis et Alexandre Franc

Grand Orient de Jérôme Denis et Alexandre Franc

Note de l'auteur

La franc-maçonnerie, vous en rêviez ? Vous la fantasmiez ? Retour au réel dans cet ouvrage aussi drôle que documenté sur ce monde à qui on prête toutes les influences. Mais, là, point de symboles trop pointus, juste la vie de tous les jours dans les loges, le quotidien parfois comique, parfois tragique des frères et sœurs qui le composent. Des tranches de vie qui vont vous permettre de vous en payer une sacrée.

L’histoire : Philippe, trentenaire, s’apprête à entrer en franc-maçonnerie. Dans une loge, pas exemptée de nombreux problèmes d’intendance. L’esprit n’est pas oublié mais le matériel et l’accessoire semblent prendre le pas dans ce parcours bien singulier. Il nous conte par le menu son quotidien dans le monde des « frères trois points », sa découverte des codes, des us et des coutumes d’un univers malgré tout encore un peu secret et esotérique. Son obédience se révèle à la fois humaine, tendre, tiraillée par son envie de ressembler aux autres et surtout très, très drôle. Toute ressemblance avec des personnages existants n’est pas fortuite.

Mon avis : gros moment de détente et de rigolade pour peu que la franc-maçonnerie ne vous laisse pas complètement de marbre. Que vous soyez curieux de cet univers ou que vous en maîtrisiez les tenants et les aboutissants, cet ouvrage est fait pour vous. C’est un peu les maçons par le petit bout de la lorgnette, par le prisme d’une petite obédience, le Triangle bleu, qui ne se prend pas au sérieux, loin de certaines autres, qu’on aperçoit par ailleurs dans ce joli livre. Des « franc-mac », certes en recherche d’un engagement humaniste et fraternel, mais qui estiment aussi et surtout que les agapes après la tenue ne sont pas loin d’être le moment le plus croustillant de la soirée. Les muffins, le brillat-savarin ou les meilleurs bordeaux constituent l’art de vivre en loge.

Les détails sont soignés dans ce récit comme les initiations de nouveaux membres que l’on fait patienter dans une simple cuisine puisque le temple du rez-de-chaussée est déjà squatté par une loge amie, pas assez de chaises non plus pour assoir tout le monde, des panneaux pour rappeler aux frères et sœurs de bien penser à sortir les poubelles et un vénérable franchement en retard à cause d’un bus en panne… C’est un peu les pieds-nickelés qui mettent en branle le message du Grand architecte. La dérision est ultra-présente et on a l’impression d’être un spectateur dans la coulisse qui assiste aux grandes et petites choses qui émaillent ces rassemblements de frangins. Dérision mais pas raillerie car c’est raconté avec toujours beaucoup de tendresse. Avec, aussi, un running-gag qui fonctionne bien. Des personnages qui évoquent leurs semblables installés dans la pièce d’à côté et qui, parlant fort, sont tout de même persuadés de ne pas être entendus par les objets de leurs discussions. Vous imaginez bien que c’est tout le contraire qui se produit.

Rigolade et bonne bouffe mais aussi des thèmes très sérieux dans les planches proposées pour des gens qui aiment réfléchir. De brillants esprits parfois draftés par des loges plus prestigieuses. Et une découverte franchement captivante d’un monde initiatique, certes plutôt par les existences de ses membres que par les symboles, mais intéressante quand même. Malgré toutes les unes de certains hebdomadaires sur le sujet (« Les Franc-maçons, qui sont-ils ? Quels sont leurs réseaux ? La main invisible, blablabla…), c’est bien utile de connaître l’envers – réel – du décors puisque cette bande-dessinée est largement inspirée de ce qu’a connu l’auteur dans la « vraie » vie. C’est également un zoom sur la trop grande distance de certaines loges avec la réalité sociale et politique.

Inspirant, hilarant, décapant et rafraîchissant, beaucoup de qualités pour un seul ouvrage.

Si vous aimez : Le triangle secret de Didier Convard, servi par de nombreux dessinateurs de talent.

En accompagnement : un des nombreux bouquins du duo Giacometti et Ravenne qui ne savent plus écrire sur autre chose que sur les Franc-maçons.

Autour de la BD : Jérôme Denis est aujourd’hui professeur de philosophie d’une cinquantaine d’années, après avoir été journaliste. Son récit autobiographique sert parfaitement ce scénario. Alexandre Franc, au crayon, est un dessinateur qui multiplie les collaborations et les éditeurs qui sait aussi tenir un stylo (mais pas là) pour écrire des histoires  (Victor et l’ourours, Antoine et le fille trop bien…). Un nom prédestiné en l’espèce.

Extraits : « Non, on n’achète pas les gobelets chez Bonprix, Joséphine. Les gobelets, c’est chez Lidl, ils ont une promo à 1,20 € la cinquantaine. Le budget des agapes, c’est 3,50 € par personne. 4€, c’est le banquet familial. Et encore, avec le vin, on dépasse à chaque fois. D’ailleurs, il faut que je rembourse Catherine pour les assiettes en carton. Bien sûr qu’il y aura des muffins. »

Écrit par Jérôme Denis
Dessiné par Alexandre Franc
Édité par Soleil

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