Guerre froide (Occupied – Critique de la saison 1)

Guerre froide (Occupied – Critique de la saison 1)

Note de l'auteur

Pendant la Seconde Guerre mondiale, la Norvège a été occupée par l’Allemagne. Imaginons un instant que l’histoire se répète, avec des Russes à la place des nazis. Comment la paisible démocratie nordique réagirait-elle ? C’est le point de départ du thriller géopolitique Occupied (Okkupert en VO), dont le tournage a commencé juste avant l’invasion de la Crimée de 2014. Drôle de coïncidence. L’intrigue de la série est-elle crédible pour autant ? Pas forcément, mais les problématiques soulevées n’en demeurent pas moins passionnantes.

Dans un futur proche, la Norvège décide de stopper sa production de pétrole et de gaz – ressources qui avaient jusque-là assuré sa prospérité – pour lutter contre le réchauffement climatique. Pour compenser, le Premier ministre propose une source d’énergie alternative abondante et beaucoup moins polluante : le thorium (ce qui est loin d’être stupide). Problème : l’Union européenne dépend grandement du pétrole et du gaz norvégiens. Elle va donc mandater la Russie pour occuper ces gisements et relancer la production. Menacé par un commando armé, le chef du gouvernement de la Norvège finit par se soumettre…

L’ambivalente ambassadrice russe interprétée par Ingeborga Dapkūnaitė

Un peu capillotracté comme scénario, non ? Déjà, arrêter totalement l’extraction de pétrole alors que presque toute l’industrie automobile (et bien d’autres) est basée dessus, cela semble pour le moins suicidaire. Enfin, admettons. Plus improbable encore : le fait que les institutions européennes orchestrent le kidnapping d’un Premier ministre pour le faire changer d’avis. Idem pour l’absence de réaction de la Communauté internationale alors que les Russes occupent militairement des sites norvégiens. Il est vrai que les États-Unis ont quitté l’OTAN, mais quand même. Par ailleurs, tout au long de la série, les négociations ont lieu quasi exclusivement entre le Premier ministre norvégien (Henrik Mestad), l’ambassadrice russe (Ingeborga Dapkūnaitė) et un commissaire européen français (Hippolyte Girardot). Où sont les autres chefs d’État ? Moins de personnages = une intrigue plus facile à suivre ? Bien sûr, mais la crédibilité de l’ensemble en prend un coup.

Un portrait peu flatteur des Russes

104420

« T’as vu ? Je suis un gentil Russe ! »

Bien que le script relève de la (science-)fiction, il n’a pas plu à tout le monde. « Il est désolant qu’en cette année marquant le 70e anniversaire de la fin de la Seconde Guerre mondiale, des scénaristes, agissant comme s’ils avaient oublié les efforts héroïques de l’armée soviétique dans la libération de la Norvège des occupants nazis, intimident les téléspectateurs norvégiens avec une menace qui n’existe pas », a réagi l’ambassadeur de Russie à Oslo dans un courrier envoyé à la chaîne norvégienne TV2, coproductrice principale d’Occupied aux côtés d’Arte. Et encore, le fonctionnaire russe n’avait sans doute pas vu la saison complète. Sommé d’expliquer l’origine de son blog antirusse, un des personnages de la série – supposément gay – explique qu’en Russie, « tous ceux qui pensent différemment ou qui critiquent le système sont emprisonnés ou tués ». Qu’elle soit extraite d’un dialogue fictif n’y changera rien : la pique est bien réelle. Et il y en a pas mal d’autres de ce genre… Heureusement, aucun manichéisme outrancier n’est à déplorer puisque plusieurs personnages russes s’avèrent assez complexes et moralement ambigus.

« Cette série n’est pas faite pour provoquer les Russes », a tenu à préciser le showrunner Erik Skjoldbjærg. Le réalisateur d’Insomnia (remaké en 2002 par Christopher Nolan) avoue d’ailleurs ne pas s’être particulièrement renseigné sur la présence russe en Norvège, dont il connaît cependant le nombre : 17 000 (sur 5 millions d’habitants). « Dans le contexte de l’histoire, ce sont des étrangers qui nous ressemblent et se comportent comme nous », note-t-il simplement pour dissiper d’éventuelles accusations d’animosité à leur égard. « Le sujet principal d’Occupied n’est pas la Russie, mais la nation démocratique qu’est la Norvège, et cette croyance selon laquelle la civilisation, la démocratie, nos institutions, reposeraient sur une base inébranlable »*, rappelle l’écrivain Jo Nesbø, à l’origine du concept de la série. Pour l’anecdote, sa mère a résisté aux Allemands pendant la Seconde Guerre mondiale alors que son père a collaboré. Du coup, ça a dû lui trotter dans la tête…

Petites histoires dans la grande

Occupied 3

Ane Dahl Torp sur l’affiche de la série

Dans Occupied, le contexte de cohabitation forcée avec les Russes s’avère particulièrement intéressant, avec cette question essentielle : dans une telle situation, que feraient les garants de la démocratie et les simples citoyens ? Pour tenter d’y répondre de façon assez complète, Skjoldbjærg et sa coscénariste Karianne Lund ont choisi de montrer le quotidien, mois après mois, du Premier ministre de Norvège, de la directrice de la sécurité intérieure (Ragnhild Gudbrandsen), d’un membre de la police (Eldar Skar) dont la femme est juge (Selome Emnetu), d’une restauratrice (Ane Dahl Torp) et de son mari journaliste (Vegar Hoel, vu dans les deux Dead Snow). Trois hommes et trois femmes, particulièrement bien campés, que l’on découvre à la fois au travail et dans leur vie de couple/famille, le premier ayant évidemment de forts impacts sur la seconde. Voici un exemple assez parlant : pour sauver son resto au bord de la faillite, Bente le transforme en lieu de rendez-vous pour les Russes, attisant les critiques de certains de ses compatriotes, à commencer par son reporter de mari qui, de son côté, enquête sur les manigances de Moscou.

Une fois le postulat de départ accepté, Occupied se montre globalement très efficace, voire carrément haletante à l’occasion, enchaînant les cliffhangers et les retournements de situations. Chaque épisode correspond à un mois de l’année, sauf les 9 et 10 qui se partagent décembre ; ces ellipses permettent une appréciable souplesse narrative. Au fil de la saison, le mouvement de résistance Norvège Libre (Fritt Norge) prend de l’ampleur, forçant certains personnages à choisir leur camp… ou à en changer.

Finalement, la série fonctionne comme un miroir tendu aux citoyens du monde occidental. Dans le cas d’une occupation étrangère (relativement) pacifique, la violence est-elle légitime ? Si oui, est-elle inévitable ? Vous avez quatre heures.

Occupied sera diffusée sur Arte à partir du jeudi 19 novembre (20h55), à raison de deux épisodes par soir. Les DVD et Blu-ray seront disponibles le 25 novembre.

* Citation extraite du dossier de presse

Crédits photo : © Aksel Jermstad

Partager