Gueule de Truie : sur la (dé)route

Gueule de Truie : sur la (dé)route

Note de l'auteur

On finit par tourner en rond avec Gueule de Truie, se lasser de descriptions un poil complaisantes et de comparaisons trop nombreuses. Dommage, car l’univers de Justine Niogret avait ses qualités.

Le livre : Il s’appelle Gueule de Truie. Le visage dissimulé sous un masque de métal, il est devenu Cavale. Aux ordres des Pères, il a pour mission de détruire les dernières traces de vie afin d’exterminer l’humanité. Car l’Apocalypse a eu lieu, emportant le monde du passé et ne laissant qu’une terre pourrissante et des survivants à la morale rongée. Dans cet univers glauque au quotidien violent, Gueule de Truie rencontre un jour une petite fille. Quasi mutique, tenant une mystérieuse boîte en métal, elle semble avoir un but. Il va décider de lier son destin au sien et de l’accompagner dans sa quête vers le centre du monde, le lieu où tout a commencé et où tout s’est achevé.

Mon avis : « Tout le monde, ici, a la terreur du noir. De l’intérieur et des choses fermées. » Univers étouffant que celui de Gueule de Truie. Univers qui paraît aussi clos, aussi enserré que le visage du garçon dans son masque aux hublots huileux. À travers ces bouts de verre solides, le monde se trouble, les couleurs se modifient, tout prend une tonalité déprimante et violente tour à tour.

Dans ce monde d’après la catastrophe, le langage n’est plus tout à fait le même. Le plastique devient le « stique », le papier-peint du « papépeint ». Comme une gangrène généralisée de l’esprit et de son expression phonique. Une dégénérescence. Une longue descente. Les maisons pourrissent comme les corps, métonymies d’une Terre qui s’éteint et pourtant, par certains côtés, renaît.

Gueule de Truie refuse l’emploi d’armes « extérieures » : « Ses armes, il les loge à l’intérieur. Aversion et répugnance. Peur et dégoût. » Il tue à mains nues. Au plus près de ses proies. Presque nez à nez.

Justine Niogret

Justine Niogret déploie un récit d’abord double, celui de Gueule de Truie et celui de la fille, avant que les deux chemins se rejoignent. Celui de la fille jamais nommée, puis celui qu’elle partage avec le garçon-titre, évoquent La Route de Cormac McCarthy. Danger permanent, risque du viol, monde anéanti post-apo, et toujours avancer vers un but à la fois défini et fondamentalement indéterminé. Un fil parallèle, en miroir, à celui de Gueule de Truie – capturée, elle ne dit rien, observe…

La fille sans nom chasse Gueule de Truie de ses certitudes, de son système de vie dominé par les Pères, un monde où même la mort n’est pas certaine – sont-ce des rires qu’il entend dans son dos alors qu’il s’enfuit après avoir massacré si aisément tous ces hommes ? Revenir au point d’origine du désastre lui semble dès lors la bonne chose à faire, d’autant que la fille recèle un mystère qui l’obsède. « Le monde se noie, et Gueule de Truie vient de choisir de remonter à la source. » Le rapport au temps donne le vertige, comme dans certaines bandes dessinées de Mathieu Bablet. Voici des lieux patinés par les gens ou par le temps, dans un monde « déjà mort » :

– On monte, dit la fille.
Elle prend un escalier, l’escalier maigre, entre une rampe de fer et un mur nu qui cloque du plâtre mort. En haut, une salle de bains, une baignoire pleine de rouille en stries, comme les ronds d’un tronc qu’on vient de couper. Un des robinets pend au bout de ses tuyaux tordus. Un rideau en stique est fondu contre un pied de la baignoire, noirci et poudreux. Le lavabo est cassé, broyé sans qu’on puisse savoir par quoi. Il ne reste que les trous des vis de son socle, rongées, rouges comme des dents manquantes. À côté il y a une chambre, et un placard ouvert, plein de poussières et de feuilles, assez pour le remplir. Une autre pièce, des fenêtres aux volets fermés, des courants d’air entre les lattes. De l’obscur et du silence.
– Pourquoi tu m’as emmené là, demande Gueule de Truie.
Il chuchote, sa voix est plus grave que d’habitude.
– Je ne sais pas.
La fille hésite. Elle ajoute.
– On dirait qu’elles sont mortes hier, ces maisons. Les rues aussi. Tout est là, encore. C’est différent. Tu sens que c’est différent ?
Gueule de Truie regarde autour de lui. Et oui, il comprend. Ailleurs, autrefois, les ruines sont usées, patinées par les gens, les pillages, les luttes. Ici, il n’y a que le temps. Il lève les mains devant ses yeux et elles sont grises, couleur du brouillard. C’est la lumière qui passe au travers de cette poussière, de ces vitres pleines de crasse qui cassent les couleurs. On dirait de l’eau. On dirait qu’ils nagent. »

Beaucoup de choses sont mortes, mais à présent beaucoup naissent également. D’où la question : était-ce juste une mue ? Une bête-buisson, un homme à tête de cerf dont on ne sait s’il est le fruit du délire de Gueule de Truie. L’homme-cerf sera leur guide au cœur du labyrinthe où, comme dans une chanson de geste, Gueule de Truie se fait face à lui-même en manière de dernière épreuve. Il doit accepter ce qu’il est, ce qu’il veut.

Le problème de ce roman vient du fait que ses intentions, certes louables en termes de recherche stylistique et de noirceur prolongée, sont trop évidentes. Composer un roman sombre, plein de fluides corporels, de confrontations violentes, de noirceur et de désespoir. Il y manque une vraie tension, une densité renforcée par la surprise et la découverte de la lecture. On finit par tourner en rond, par avoir l’impression de relire un passage (trop proche du précédent). On se lasse de dialogues parfois pénibles, de « pensées intérieures » longues, sans relief et répétitives, de descriptions qui n’apportent rien de fondamentalement nécessaire au récit. Et surtout, on se noie dans les comparaisons permanentes, qui alourdissent le style et le rende au final assez verbeux. C’en devient absurde de trop-plein. Dommage.

Gueule de Truie
Écrit par
Justine Niogret
Édité par Mnémos

Partager