Guide de l’uchronie : c’est déjà demain

Guide de l’uchronie : c’est déjà demain

Note de l'auteur

Qu’est-ce qu’une uchronie ? Comment se situe-t-elle par rapport au steampunk et aux récits de voyage dans le temps ? Et par où commencer ? Ce guide vous servira de fil d’Ariane dans les méandres d’un genre à la fois très connu et méconnu, longtemps méprisé mais qui a trouvé ses lettres de noblesse au fil des années. Comme quoi, le temps est vraiment son allié.

Le livre : Et si Christophe Colomb n’avait jamais découvert l’Amérique ? Et si les nazis avaient remporté la Seconde Guerre mondiale ? L’uchronie joue avec l’histoire pour créer des réalités différentes, explorer des possibilités infinies. Ce guide (déjà publié en 2015) définit l’uchronie, la situe par rapport aux genres proches, et surtout regorge de fiches de lecture sur la littérature uchronique.

Mon avis : « Et si… » En définitive, un pan entier de la littérature (de genre, mais pas uniquement) est fondé sur ce début de question. L’uchronie, quant à elle, en dépend quasi exclusivement. Et si Napoléon s’était finalement échappé de Sainte-Hélène ? De ce point de départ, un.e écrivain.e peut imaginer une infinité de fils narratifs, jusqu’à voir Napoléon se réfugier en Amérique et, de là, organiser sa prise de pouvoir sur le Monde.

L’uchronie est partout ; pourtant, il est difficile d’en retrouver l’étiquette clairement apposée sur des ouvrages, et encore moins sur des rayons de librairie, soulignent les deux auteurs de ce guide. Pour un Maître du Haut Château estampillé visiblement “uchronie”, combien de roman passent-ils sous le radar de l’amateur.trice du genre ? D’où l’importance d’un tel guide et de ses très nombreux conseils de lecture.

Karine Gobled et Bertrand Campeis distinguent plusieurs sortes d’uchronie : l’uchronie historique ou expérimentale (faire diverger l’histoire conventionnelle à partir d’une date historique précise), l’uchronie personnelle (et si vous pouviez changer un élément de votre passé, comment votre parcours s’en trouverait-il modifié ?), l’uchronie fantasy ou fantastique (des dragons au service de l’armée de l’air japonaise pendant la Seconde Guerre mondiale, des troupes de soldats loups-garous au Moyen Âge), l’uchronie de fiction (une uchronie insérée dans un univers fictionnel, chez Marvel et DC par exemple), etc.

« Marvel 1602 » par Neil Gaiman et Andy Kubert

En France, le genre uchronique a connu un réel essor lorsqu’il a quitté les rayons historiques (où il était plutôt mal considéré) pour rejoindre les collections de SF. En volume, cependant, les Anglo-Saxons demeurent les plus prolifiques, soulignent les auteurs de ce guide. Il faut dire que « les historiens anglais et américains s’y adonnent sans défiance ni préjugés, contrairement aux Français. L’uchronie sert de terrain de recherche pour tenter de mesurer le poids de certains événements dans la trame historique ou l’influence des hommes qui ont marqué l’histoire. »

Le premier véritable essai d’uchronie est à mettre à l’actif de Tite-Live en 9 avant Jésus-Christ. Dans son Histoire de Rome depuis sa fondation, il imagine ce que serait devenu le monde si Alexandre le Grand était parti conquérir l’ouest et non l’est de la Grèce. Mais le premier vrai ouvrage uchronique a été signé en France par Louis-Napoléon Geoffroy-Château. Publié en 1836 (soit 15 ans après la mort de son sujet), son Napoléon et la conquête du monde 1812-1832 explore un monde dont Bonaparte serait devenu le premier et seul monarque universel.

Sur 180 pages, Karine Gobled et Bertrand Campeis détaillent ensuite des dizaines de livres que l’on peut qualifier d’uchroniques, à la fois francophones et en langue étrangère : romans, livres jeunesse, essais, nouvelles, œuvres graphiques, mangas, films de cinéma et œuvres d’animation, séries télé, jeux vidéo, musique, théâtre… L’éventail des possibles est, ici aussi, immense.

Chaque “fiche de lecture” comprend notamment un résumé, un commentaire et des suggestions d’œuvres sur le mode “vous avez aimé ceci ? Cela pourrait aussi vous plaire”. Le tout émaillé d’interviews d’auteurs qui reviennent sur leur amour du genre, leur travail, leur vision, etc.

« Watchmen » d’Alan Moore et Dave Gibbons

On pointera au passage les uchronies de fiction chez Marvel (série “What if”) et DC Comics (série “Elseworlds”). Chez le premier, je mentionnerai simplement l’excellent Marvel 1602 signé Neil Gaiman (scénario) et Andy Kubert (dessin). Où l’on voit les Quatre Fantastique, Spider-Man et autres Doctor Strange plongés dans l’Angleterre du début du 17e siècle. Passionnant et surprenant.

Côté cinéma, l’un de mes fétiches a droit lui aussi à une mention dans ce guide : Donnie Darko, « uchronie personnelle fantasmagorique où le héros, un jeune adolescent intelligent mais manifestement perturbé, va se voir sauvé par un ami imaginaire, un lapin géant, qui va lui demander de faire certains choix avant la fin du monde qui doit survenir dans 26 jours ». Un film magnifique, sensible et dur à la fois.

En conclusion, les auteurs pointent que l’uchronie « fonctionne sur cette notion de regret mais la dépasse et la transcende. Elle porte souvent un message politique, une critique sociale, une alerte. Cette dimension pédagogique ne peut être niée. » C’est aussi tout le mérite de ce guide de le rappeler. 

L’extrait : (à propos de Watchmen, le comics séminal signé Alan Moore et Dave Gibbons)
« Voici une œuvre culte, dense, possédant plusieurs niveaux de lecture. Alan Moore s’amuse à transposer son histoire dans un monde uchronique qui a vu la naissance de justiciers masqués, puis d’un véritable super-héros, le Dr Manhattan, doté de pouvoirs incommensurables et inimaginables qui, petit à petit, le coupent de l’humanité. Celui-ci permet aux USA de remporter la guerre au Vietnam et de voir Nixon gagner un troisième mandat (donc pas de Watergate) et se représenter pour un quatrième. Une belle dictature qui ne dit pas son nom. Watchmen porte une réflexion douce-amère sur le rêve américain, sur la société et la place des héros dans celle-ci.
Alan Moore pensait révolutionner le monde du comic book avec son histoire. Pourtant, seul l’aspect sombre, violent et profondément nihiliste de l’œuvre a été retenu par bon nombre d’auteurs les conduisant à la création de super-héros plus sombres et plus violents encore. »

Le Guide de l’uchronie
Écrit par
Karine Gobled et Bertrand Campeis
Édité par ActuSF

Partager