
Guns N’ Roses – Appetite For Destruction (30ème Anniversaire)
Trente ans déjà ? Réaliser que l’album originel de Guns N’ Roses a dépassé cette marque ne nous rajeunit pas ! Pour faire passer la pilule, le groupe ressort son chef-d’œuvre fondateur en diverses éditions pétries de bonus aussi variés qu’hétéroclites et comme d’habitude, ça ne fait pas plaisir à tout le monde…
Rock Crit(hic)
Mais avant de rentrer dans le vif du sujet, posons-nous une petite question, qu’est-ce qu’un rock critic ? Curieux sacerdoce que celui du journaliste musical en effet, surtout lorsqu’il officie dans la presse « gratuite » telle que vous pouvez la lire sur le Daily Mars. Pas de publicité chez nous, pas de sponsors officieux (aussi appelés labels) pour nous suggérer sur quoi écrire (et parfois comment écrire), nous faisons ce que nous faisons pour la beauté du geste. Pour transmettre.
Certes, dans rock critic il y a « critique », il peut nous arriver d’être déçu par un album, une prestation scénique, de ne pas aimer un artiste pour une foule de raisons que nous nous empressons de partager avec nos lecteurs, ça fait partie du boulot. Mais s’il y a bien une chose à éviter de faire, c’est de mépriser ledit lecteur…
D’abord parce que tout le monde peut se tromper ! Lorsque les Rolling Stones ont sorti leur Exile on Main St., la majorité de la presse spécialisée leur est tombée dessus alors qu’aujourd’hui tout le monde s’accorde à dire qu’il s’agit de leur meilleur disque ! Lorsque les Ramones ont débarqué avec leur premier album, un certain Philippe Manœuvre leur prédisait une longévité de trois semaines pour cause de talent inexistant ! Savez-vous qui ne s’y est pas trompé ? Le public.
Ce qui force le journaliste en général à adopter une certaine humilité par rapport au public en question, ne serais-ce que parce que c’est pour lui qu’il écrit à la base ! Si nous passons des heures chaque semaine à rédiger nos articles, c’est bien pour vous faire passer un message ! Écoute ça bonhomme, ça va te faire dresser les poils ! Évite ça par contre, les mecs sont passés à côté de leur sujet ! Mais jamais, au grand jamais pour vous prendre pour des imbéciles…
Comme aime tant le faire Nicolas Ungemuth.
Ungemuthafucka
Car le sieur Ungemuth est coutumier du fait… Responsable chez nos confrères de Rock & Folk de la rubrique Rééditions entre autres, il n’aime rien tant que de démolir tous les groupes qu’il considère comme indignes de leur succès (à savoir tout le monde à part les Kinks) en faisant passer les fans des groupes en question pour des demeurés avec un mépris teinté de snobisme parfaitement insupportable, usant du terme plouc à l’envi histoire de bien montrer qu’il n’en est pas un, lui.
Et sa dernière « victime » en date, vous l’avez deviné, n’est autre que la réédition d’Appetite for Destruction de Guns N’ Roses.

L’abject du délit
Dans un papier dégoulinant de condescendance, Nicolas Ungemuth s’applique à démolir le disque (vendu à près de 31 millions d’exemplaires à ce jour tout de même) en enchaînant erreurs factuelles, approximations et mauvaise foi. Je cite, avec des pincettes.
« 1987 est sans doute l’une des pires périodes du rock »
Vraiment ? Pourtant entre le Kiss Me, Kiss Me, Kiss Me des Cure, le Sign O’ the Times de Prince, Michael Jackson avec Bad, les Smiths avec leur Strangeways, Here We Come, Depeche Mode et leur Music for the Masses ou U2 avec The Joshua Tree, il semble que ça n’allait pas trop mal… Comment ça ce n’est pas du rock ?
Parlons du Tunnel of Love de Bruce Springsteen alors, du Kick d’INXS, du Floodland des Sisters of Mercy, de Def Leppard avec Hysteria ou du Permanent Vacation d’Aerosmith ! Plaît-il ? De la musique de bouseux ?
Quid du Darklands des Jesus and Mary Chain dans ce cas, faudrait voir à ne pas l’oublier celui-là ! Ah ben non, il ne l’oublie pas puisqu’il écrit, je recite :
« Les Mary Chain faisaient de mauvais disques »
Ai-je vraiment besoin d’expliquer pourquoi l’album où figurent April Skies et Happy When It Rains peut difficilement être considéré comme un mauvais disque ? Mais bref, passons.
« Le métal à tendance thrash (Metallica) était underground. Alors les blaireaux se sont payés (sic) un boulevard. »
Oui, mais en fait non. En 1987, Metallica avait déjà publié Master of Puppets et était sorti de l’anonymat des caves depuis un bail… Idem pour Anthrax (Among the Living) et Slayer (Reign in Blood). L’auteur de ces lignes se souvient d’ailleurs parfaitement des nombreux t-shirts et autres vestes à patches à l’effigie de ces groupes portés par les lycéens de cette époque. Il faut croire que notre éminent confrère ne fréquentait pas les mêmes cercles… De là à ignorer qu’ils existaient, il n’y a qu’un pas.
Voilà pour les erreurs factuelles.
« On écoute le disque donc. Les paroles sont évidemment affligeantes (insérez ici une traduction mot à mot absurde du refrain de Paradise City) mais les riffs… Les riffs, hein ? Pas un seul capable de rivaliser avec les plus bourrins (I Can’t Explain, You Really Got Me, Louie, Louie) »
Ahem… Vous voulez vraiment qu’on s’amuse à traduire de façon littérale les paroles des trois chansons citées en référence ? Parce qu’entre « Louie Louie, oh bébé, tu m’emmènes où tu dois aller, oui oui oui oui oui » et « Fille, tu me fais vraiment aller, tu m’as tellement eu que je sais pas ce que je fais maintenant », on est loin du prix Nobel de littérature ! Quant aux riffs… Loin de moi l’idée de critiquer ces monuments du rock’n’roll mais on parle de trois accords là, des MÊMES trois accords d’ailleurs !
Mais on parle également de chansons écrites près de 25 ans auparavant, dans un style musical complètement différent où tout était encore à inventer. Ce serait comme comparer le When the Saints Go Marching in de Louis Armstrong avec Bitches Brew de Miles Davis, on parle de jazz dans les deux cas mais ça n’a aucun sens parce que ce n’est tout simplement pas comparable !
Tout comme comparer les crimes commis par la guérilla karen en Birmanie avec l’ambiance du Sunset Strip de Los Angeles dans les années 80…
« on aurait dû l’envoyer (Axl Rose ndlr) chez les Karens en Birmanie à la fin des années 80 et il aurait sans doute compris que le Strip de 1986 n’était pas forcément l’endroit le plus dangereux de la terre »
Sérieusement ? Autant dire à John Lennon d’arrêter de chouiner avec Working Class Hero parce que, hé, t’as pas entendu parler de la Shoah ? Gerbant.
Voilà pour la mauvaise foi.
Mais il y a pire, et le pire c’est ce mépris crasseux qui inonde chaque ligne de l’article. Entre les références aux fameux ploucs (certainement une sous-classe de l’humanité, on ne sait pas), l’emploi de l’expression métaul (une façon comme une autre de faire passer les amateurs de hard rock pour des débiles mentaux) et la conclusion qui proclame qu’« on ne remerciera jamais assez Kurt Cobain d’avoir ringardisé tout ça », on a le choix.
Kurt qui ? Ah oui, le mec de l’ancien groupe du chanteur des Foo Fighters qui avait tout piqué à Sonic Youth et aux Pixies ! Il devient quoi déjà ? Parce que Guns N’ Roses, eux, ils remplissent encore des stades, pas mal pour des ringards. Laissons donc à leurs 30 000 000 de fans le bénéfice du doute parce que selon l’expression consacrée, il y a une chance qu’ils ne se trompent pas.
Appetite for Réédition
Après cette courte introduction, revenons à nos moutons noirs, à savoir Guns N’ Roses et cette réédition de leur premier album, Appetite for Destruction.
Enfanté dans la douleur (chaque membre du groupe est alors soit accro à l’héroïne, soit alcoolique, voire les deux) et la précarité (les mecs vivaient comme des clochards dans une baraque innommable délicieusement surnommée Hell House quand ils ne trouvaient pas une stripteaseuse peu farouche chez qui passer la nuit), ce disque reste, trente ans après, un témoigne brut du célèbre adage sex, drugs & rock’n’roll.

The Hell House
On pourrait d’ailleurs reparler des Stones et de la genèse d’Exile on Main St. à ce propos, les mois passés par le groupe sous le toit de Keith Richards dans le sud de la France ayant servi de mètre étalon à cette expression, avant que Led Zeppelin ne passe au niveau supérieur. Sauf qu’à la différence de leurs homologues anglais, les Guns N’ Roses n’avaient pas un rond…
Du coup, le sexe était souvent bien plus sordide, la drogue de moins bonne qualité, les grands crus de Bordeaux étaient remplacés par le fameux Nightrain (équivalent local de la pire Villageoise) et le rock’n’roll… Et bien disons qu’en conséquence, il n’avait pas la même odeur.
En douze titres, Appetite for Destruction nous raconte sans filtre le vie d’une bande de paumés aux origines diverses et aux références musicales multiples, sans autre ambition que de voir le soleil se lever le lendemain sans avoir crevé d’une overdose pendant le nuit. Ni plus, ni moins.
Et pour une raison que chaque directeur de maison de disques au monde voudrait bien connaître, l’alchimie a fonctionné. Entre le bassiste punk de Seattle ne jurant que par Johnny Thunders, les guitaristes obsédés par Keith Richards (encore) ou Joe Perry (Aerosmith) et le chanteur fasciné par Bon Scott d’AC/DC (dont il finira un jour par prendre la place mais ceci est une autre histoire), un truc se passe, impossible à prévoir mais pourtant bien là.

Couverture originale signée Robert Williams
Épaulé par l’irrésistible influence de la chaîne MTV (joli furoncle de la musique en général, ce en quoi je rejoins le père Ungemuth, une fois n’est pas coutume), le groupe va bénéficier d’une promotion inespérée et bien malgré les intentions de la chaîne musicale à cause de la demande d’un public devenant plus nombreux de manière exponentielle grâce aux diffusions à la demande des vidéos du groupe et un an après sa sortie, le disque se retrouve numéro un des charts américains.
La suite, tout le monde la connaît plus ou moins… Le double album Use Your Illusion I & II (1991) achèvera de placer le groupe en orbite et sur les platines des kids du monde entier, en faisant une machine de guerre menant à la dislocation de l’ensemble à court terme pour cause d’excès divers, la personnalité erratique du maniaco-dépressif W. Axl Rose étant en tête de la liste des problèmes traversés par les gunners.
Nous voici donc trois décennies plus tard en présence d’une réédition à la démesure du groupe californien, en partie réconcilié depuis (Izzy Stradlin’ continue de ne vouloir rien savoir de ses anciens acolytes pendant que Steven Adler attend toujours que son téléphone sonne) avec au programme plusieurs formats disponibles, suivant votre degré d’addiction à l’album.

Guns N’ Roses circa 1986
La plus simple nous propose une version remasterisée de l’album, augmentée d’un disque de bonus comprenant des extraits de la curiosité GN’R Lies (1988), une sorte d’EP hybride publié en catastrophe par Geffen Records après l’explosion des ventes d’Appetite for Destruction, ainsi que quelques chutes de studio tirées des sessions d’enregistrement du groupe aux studios Sound City de Los Angeles datant de 1986, incluant un titre inédit, Shadow of your Love, cavalcade punk rock que n’auraient pas renié les Misfits.
La plus luxueuse (Locked N’ Loaded) quant à elle ne frise même pas l’indécence, elle lui fait une permanente ! Dans un coffret en bois fait main limité à 10 000 exemplaires, le fan trouvera outre des versions de l’album et de ses bonus en CD, vinyle et même en format digital haute résolution sur une clef USB en métal à l’image du célèbre crucifix qui orne la pochette, un livre d’une centaine de pages, des bagues, des badges, des médiators, drapeaux, bandanas, fac similés de flyers, posters, et même des reproductions des tatouages les plus emblématiques du groupe, n’en jetez plus !

Locked n’ Loaded
De la taille d’une petite télévision, ce coffret est certainement l’objet le plus improbablement excessif jamais imaginé par une maison de disques ! Et par extension, la parfaite illustration de ce qu’a pu représenter le groupe à une certaine époque…
Entre ces deux extrêmes, se niche un coffret plus modeste comprenant une petite partie des memorabilias présents dans la version grand luxe, mais surtout l’intégralité des titres qui y figurent, répartis sur quatre CD et un Blu-ray. Parce qu’avant tout, c’est bien cela qui nous intéresse, la musique…
Et n’en déplaise aux grincheux, cette musique n’a pas pris une ride. Des envolées de Slash sur Paradise City, Sweet Child O’Mine ou Nightrain aux riffs (car oui il y en a, et des bons par dessus le marché) de Mr. Brownstone, It’s So Easy ou Rocket Queen, Appetite for Destruction n’a rien perdu de son efficacité malsaine, une beauté dangereuse qui fila les poils à plusieurs générations.
Or, au sein de la première en date se trouvait par le plus grand des hasards un môme de onze balais qui après la première écoute de Welcome to the Jungle, sans avoir compris un traître mot de ce qui s’y racontait, avait pigé plusieurs choses sur sa vie future, notamment le fait que la musique allait en diriger la majeure partie… Et trente ans plus tard, au moment d’écrire ces lignes, le même gamin devenu grand n’a pas oublié qui avait gratté la première allumette.
Ou, en l’occurrence, tiré le premier coup de feu.
Nicolas Ungemuth dézingue régulierement quelques vaches sacrées rock’n’rolliennes…Patti Smith y a eu droit, Springsteen, Pink Floyd et led Zep, Radiohead, U2, sans parler de Genesis, Yes et du prog en general. Même Leonard Cohen !! Et pourtant tout en appréciant la plupart de ces groupes je trouve que mr Ungemuth écrit bien et j’ai du plaisir à le lire. Il m’a fait découvrir plein de trucs aussi.
J’ai acheté le 1er Guns au lycée en 1988, j’adore cet album ( le même jour j’avais acheté Electric de The Cult, il a defoncé le groupe dans une chronique mémorable ). Mais quelque part c’est clair c’est vraiment des ploucs.