Repéré : deux bonnes utilisations de l’hallucination

Repéré : deux bonnes utilisations de l’hallucination

L’hallucination est un outil dramatique fréquemment utilisé qui peut s’avérer à double tranchant. Le souvenir, encore douloureux, de la cinquième saison de Grey’s Anatomy rappellera combien il peut être dangereux à exploiter et vite sombrer dans une dimension où l’improbabilité devient embarrassante. L’épisode fantasmagorique d’Izzie est donc un cas d’école sur ce qu’il ne faut pas faire, jusqu’où il ne faut pas aller. Dans Dexter, ce que l’on pouvait prendre pour une hallucination du personnage hanté par le fantôme de son père adoptif, est en réalité utilisée comme une illustration de la conscience du serial killer.C’est la voix de la raison qui lui permet d’entretenir des conversations avec lui-même sur la nature de ses gestes. Une personnification obligatoire dans la mesure où la série utilise déjà la voix off.  Employer une nouvelle fois des monologues aurait plongé l’ensemble dans une redondance pesante. D’ailleurs, ces deux exemples tiennent davantage de l’hallucinose (le sujet sait qu’il voit une hallucination) que de l’hallucination.

Actuellement, deux séries utilisent ce principe : Marvel’s Agents of S.H.I.E.L.D. et Profilage
(l’article se concentre uniquement sur leur utilisation, la question de leur éventuelle résolution ne sera pas abordée).

© ABC / Kelsey McNeal

© ABC / Kelsey McNeal

Du côté du S.H.I.E.L.D., la victime est Fitz, qui souffre des séquelles d’un sacrifice héroïque en fin de saison précédente sous la forme d’aphasie et de visions de son amie Simmons. La série joue la carte sentimentalo-dramatique. Une première fois par l’observation douloureuse d’un génie de la science cherchant ses mots, ses réflexions ; une seconde quand la vérité est révélée. La force et la réussite de ces séquences tiennent dans le caractère bref du procédé où la découverte de l’hallucination est éventée. Dès lors, le suspense n’a aucune espèce d’importance, c’est la tragédie du personnage qui emporte tous les suffrages. Sa souffrance était déjà bien réelle, avec ce mal supplémentaire, Fitz entre dans une spirale à l’issue incertaine quant à sa guérison.

Ce jeu entre également dans une volonté de rompre la dynamique d’une première saison à l’étroit dans le schéma du Marvel Cinématic Universe (MCU). Il y a conservation d’éléments familiers (le duo Fitz-Simmons) mais il est cassé, dramatique, presque crucifiant pour le personnage. On entre dans une dimension bien plus sombre, désabusée à l’image de ce qu’il reste du S.H.I.E.L.D. : un organisme devenu hors-la-loi, tout juste maintenu en vie par une poignée d’hommes qui semblent y croire encore… ou peut-être est-ce le vestige d’un idéal passé. L’hallucination devient la promesse d’une série qui évolue vers le tragique, bien plus proche de ses personnages, même si c’est pour les casser, les briser, rompre leur alchimie élémentaire. Fitz devient le reflet de cette nouvelle saison : un chantier à reconstruire, hanté par une image rassurante mais hallucinatoire.

© David Merle

© David Merle

Profilage aborde la question de façon beaucoup clinique et froide. La victime est Chloé elle-même. Toute comme l’exemple précédent, l’hallucination est révélée en un seul épisode (5×09 : Au Nom de mon Fils). Révélation à double niveau, puisque dans un premier temps, c’est le spectateur qui découvre le trouble, puis l’héroïne elle-même. Les deux séquences répondent à un principe similaire : simuler la banalité du quotidien de Chloé, persuadée de vivre un de ces instants ordinaires et basculer, par un changement du point de vue. L’effet est écrasant parce qu’il est imprévisible, surtout dans sa conclusion où la cruauté devient glaçante. Alors que l’épisode questionnait la souffrance du parent ayant perdu un enfant et son rapport à la (auto)justice, la douceur du foyer de Chloé intervenait comme un point rassurant, confortable… jusqu’au coup de téléphone de la nourrice révélant à la criminologue que la petite Lily qui réclamait des tonnes de fromages dans ses pâtes était une hallucination.

Cette modification de la perception implique un nouveau danger pour Chloé, celui de ne plus distinguer le vrai du faux quand sa vie professionnelle est guidée par la quête de la vérité et de la compréhension. L’intérêt d’avoir révélé le trouble visuel dans son quotidien permet de toucher à l’affect et l’impliquer dans sa nouvelle maternité. La filiation au cœur de la saison (chez Chloé, Hippolyte mais également dans les enquêtes des épisodes 01, 02, 04, 08 et 09) trouve une résonance plus dramatique puisqu’il est question de l’aptitude, la capacité. C’est aussi montrer une saison bien plus repliée sur elle et ses personnages et  faire naître un mal qui vient de l’intérieur même de l’héroïne.

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