
Hannibal, magnifique hybride (Bilan de la saison 1)

« Avoir un bon copain
Voilà c’qui y a d’meilleur au monde
Oui, car, un bon copain
C’est plus fidèle qu’une blonde »
La première saison d’Hannibal vient de s’achever et le plus difficile dans cette série va être d’en trouver les fausses notes. La série créée par Bryan Fuller sur la base des romans de Thomas Harris s’est avérée comme étant la très bonne surprise de cette fin de saison, s’érigeant tout de suite au rang de ce qui se fait de mieux, au-delà des considérations network/câble.
Will Graham est donc un spécialiste des tueurs en série. Bien caché dans un rôle de conférencier dans une université, il est sorti de sa torpeur par Jack Crawford, agent du FBI massif et peu commode. Alana Bloom, psychiatre qui suit (de loin) le cas Graham, met Crawford en garde. Si Will possède la capacité incroyable de se mettre littéralement dans la tête des tueurs, il est aussi très instable. Les recommandations d’Alana sont simples : il ne faut pas que Will aille trop loin. Pour ça, elle conseille à Jack de faire suivre Will par un psy qu’elle connaît bien : Hannibal Lecter (1).
La série Hannibal est avant tout une histoire d’amitié. Celle qui unit progressivement Will Graham et Hannibal Lecter. Will rejette d’abord Hannibal. Il n’est pas en confiance avec cet homme venu pour l’aider à traquer un tueur en série, mais qui semble plus enclin à l’analyser. Pour Hannibal, Will est un cas d’étude remarquable. Un être tellement unique qu’il veut voir comment il fonctionne, ce qui le rend très spécial. Une fois la réticence d’origine passée, Will va trouver en Hannibal un confident, une vraie béquille.
L’attitude d’Hannibal envers Will est ambivalente, constamment. Pas seulement parce qu’il lui cache sa vraie nature, mais parce qu’il semble avoir autant envie de devenir son ami que de le disséquer. Hannibal ne réagit pas selon ses émotions, mais pour satisfaire un besoin : généralement sa curiosité et son appétit. Mads Mikkelsen offre une performance d’un niveau incroyable. Il donne à Lecter une prestance à la fois rigide et lyrique. Très lointaine du modèle installé pour le personnage par Anthony Hopkins, plus proche d’une certaine perversité.
La lecture de Mikkelsen est très intéressante. Elle se focalise sur le côté esthète de Lecter. Sa fascination pour les belles choses, pour l’art. Il a l’œil pour repérer ce qui est spécial, ce qui dénote. Son intérêt pour Will naît de ça. Hannibal Lecter adore faire la cuisine pour ses invités. Très souvent, dans la saison, on le verra « recevoir ». Le « devine qui vient dîner ce soir ? » se transforme ici en « devine qui tu vas manger ? ». Pourtant, on ne sent jamais de perversité chez Lecter. Sa volonté ne semble pas de piéger son invité, mais de sincèrement lui faire partager ce qu’il estime être un acte tout à fait naturel : se nourrir d’autres êtres humains. Lecter est un jouisseur esthète qui ne valorise pas l’humain au-dessus de tout, mais qui sait reconnaître les êtres spéciaux.
Hugh Dancy nous livre un Will Graham à mille lieux de Lecter. Présentant des symptômes d’autisme, Graham est fermé aux autres. Son don de pure empathie, au lieu de lui permettre de partager et se sociabiliser, le fait vivre dans une bulle. Il ne sait pas parler convenablement aux autres. Will Graham voit plus que nous et ça l’écrase complètement. Ses seuls compagnons sont des animaux, des chiens qu’il récupère sur le bord de la route. Des êtres simples à comprendre. Leur présence l’apaise, leur compagnie le rassure.
Si Lawrence Fishburne paraît un peu fade en comparaison au début de la série, il gagne en profondeur et en présence à mesure que la saison avance. Il livre un Jack Crawford massif, impressionnant, terrifiant. Crawford n’a rien d’un humaniste. Il prend, il se sert. Tout est bon pour qu’il arrive à ses fins. Des objectifs toujours très louables (sauver des innocents), mais qui ne tiennent pas compte des dégâts qu’il peut causer en répercussion, surtout sur Will. Pour lui, Will est un outil de précision qui possède une grande valeur, et qui peut lui permettre de mettre des assassins en prison. Rien d’autre.
Alana Bloom est le plus fidèle soutien de Will. Leur relation oscille entre celle d’un frère et d’une sœur – tant Alana est protectrice – à celle d’un couple en devenir, les deux personnages ayant une réelle alchimie entre eux. Caroline Dhavernas est une superbe Alana, magnétique et belle, sans maniérisme. Plus que les autres, son personnage représente le téléspectateur. Observatrice des autres, elle est capable d’humanité comme aucun autre personnage de la série.
Un soin tout particulier est apporté à toute la galerie de personnages de la série. Qu’il s’agisse des tueurs en série, tous possédant une caractéristique particulière, aux autres psychiatres et membres du FBI. Des personnages qui possèdent tous leur propre voix, jamais interchangeables. Au premier rang des guests notables, Gillian Anderson vient en tête. Psychiatre de Lecter, elle irradie l’image à chaque intervention. Expression de la femme fatale par excellence, elle hypnotise avec une économie de mouvements incroyable.
Kacey Rohl est une Abigail Hobbs en mode oiseau blessé, jeune fille mal à l’aise broyée par les exactions de son père, prise en affection par Will et Hannibal, qui tous deux se disputent le rôle de père de substitution. Freddie Lounds (Lara Jean Chorostecki) marque les esprits dès sa première apparition, sulfureuse, nue et trempée de la tête aux pieds face à son ordinateur. Elle est la blogueuse qui écrit des articles sur des meurtres sanglants, et qui se pose en adversaire thématique de Will Graham. Quand l’un souffre tous les maux face à la violence du monde, l’autre est fascinée par elle et gagne de l’argent en mettant en scène le sordide.
À noter aussi Gina Torres dans le rôle de la femme de Jack Crawford, classe et émouvante ; et Eddie Izzard dans un rôle vraiment étonnant d’assassin dont on ne sait pas s’il est un brillant manipulateur ou une victime manipulée. Seul point noir, Raul Esparza, le docteur Chilton, maniéré au possible, qui semble surjouer chaque instant, et qui faIt bien pâle figure face à Mikkelsen et consort.
De l’écriture à la réalisation, Hannibal est une œuvre remarquable. Ses dialogues sont ciselés à la perfection, brillants au possible. Si la noirceur du propos est constante, l’humour vient se glisser dans des petites lignes, par-ci, par-là, et touche au but à chaque fois. Hannibal, à sa future victime : « I was going to kill you. I didn’t poison your dinner. I wouldn’t do that to food. ». Jack Crawford à Hannibal, au dîner : « What am I about to put in my mouth? » Hannibal répond : « Rabbit. » Crawford : « He should’ve hopped faster! » Ensuite, après un plan où l’on voit un homme fuir, terrifié, en flashback, Hannibal répond : « Yes, he should have. Fortunately for us, he didn’t. ». D’autres lignes, moins drôles, saisissent, comme quand Hannibal dit : « Psychopaths are not crazy. They are fully aware of what they do and the consequences of those actions. ». La série met ici une barrière intelligente entre la folie et les psychopathes. Et si elle traite des deux, elle se refuse à tout mélanger.
David Slade a fait un travail superbe à la réalisation. Chaque plan semble travaillé, millimétré. La série travaille sur les contrastes à de nombreuses reprises, joue avec la lumière, fait passer les personnages de l’ombre à la lumière. Elle n’a pas peur du théâtral et de la mise en scène. Certaines morts tiennent de l’œuvre d’art (les anges de l’épisode 5, Coquille; le totem de corps de l’épisode 9, Trou Normand). Des images qui restent dans les esprits.
Le travail sur le son, en plus de la lumière, est sidérant. Accompagnement musical plus que partition, la BO habite le récit. Des éléments dissonants, pas très agréables par nature et pourtant harmonieux dans l’exécution. Des sons qui prennent aux tripes, qui mettent dans une ambiance parfois cotonneuse, parfois dérangeante, exprimant l’état d’esprit des protagonistes.
Hannibal n’a rien d’un procédural banal. Il transgresse, franchit les limites. La série part du principe que le récit ne doit pas être mené par les péripéties (les enquêtes), mais par la progression de ses personnages (souvent leur état mental). Elle possède autant dans son ADN des composantes propres aux networks qu’au câble. C’est une main tendue aux deux publics. Elle est aussi une preuve que le système américain n’empêche pas aux œuvres de posséder la voix de leur auteur, même sur un grand network. On se demandait bien ce qu’allait faire Bryan Fuller à la tête d’une telle série. Rien n’annonçait dans son CV une propension à donner dans le récit de sérial killer. Fuller est plus proche, dans l’esprit, de Tim Burton que de David Fincher.
Oui mais voilà, malgré la machine hollywoodienne censée tout essorer, tout polir, Hannibal reste bel et bien une œuvre de Bryan Fuller, chargée de ses thématiques personnelles : la mort, le conte (2).
Une galerie de personnages fascinante, des images magnifiques, une écriture virtuose… la saison 1 d’Hannibal est une œuvre merveilleuse qui mérite qu’on s’y attarde longuement. Une œuvre hypnotisante, viscérale, et surtout, mémorable. Treize épisodes pour la plupart marquants, qui ne laissent pas indifférents. Derrière sa froideur apparente, la série est remplie de moments de pure émotion, qu’il s’agisse des sentiments de Will pour Alana, du désespoir de Jack Crawford par rapport à l’état de son couple, ou même de la relation amicale de Will et Hannibal…
Une saison de série majeure, à apprécier devant un bon repas, bien évidemment.
HANNIBAL, Saison 1 (NBC)
Créée et showrunnée par Bryan Fuller d’après l’oeuvre de Thomas Harris
Avec : Hugh Dancy (Special Agent Will Graham), Mads Mikkelsen (Dr. Hannibal Lecter), a brilliant forensic psychiatrist, Caroline Dhavernas (Dr. Alana Bloom), Hettienne Park (Special Agent Beverly Katz), Laurence Fishburne (Special Agent-in-Charge Jack Crawford)
(1) : on est d’accord que rétrospectivement, c’était une très mauvaise idée, hein ?
(2) : on essaiera d’y revenir dans un article ultérieur.
Etonnant comme série … Spock dirait « Fascinating ».
Il est impressionnant de trouver tant de beauté dans des mises en scènes représentant la mort. C’est ce qui m’a le plus surprise. La représentation de la mort élevée au rang d’art dans une série.
Associé à une brochette d’actrices et acteurs impressionnants, Hannibal est une magnifique série qui en effet, mériterait au moins un second article … Et une plus grande audience.
That’s the spirit !
Excellente critique, principalement parce qu’elle est en accord total avec mon ressenti évidemment. 😉
J’ai suivi cette série avec assiduité et beaucoup de plaisir. Il ne lui manque presque rien pour figurer dans le haut du panier télévisuel. Faut voir comment Fuller va continuer sa machine et peut-être que le miracle se produira : il aura à son actif une série d’au moins trois saisons !
Et elle le mérite vraiment. Et j’ai beau fortement apprécier Le Silence des Agneaux, j’espère visionner un jour l’adaptation du roman par Fuller.
Ce qui m’a marqué, c’est la beauté de la mort qui est dépeinte dans cette série ; une débile du CSA avait dit je crois qu’on ne pouvait pas faire du beau à partir de la violence : qu’elle jette un coup d’oeil à cette série et on en reparlera.
Puis j’aime beaucoup l’analogie au conte : Graham en princesse perturbée, aidée et soutenue par le prince charmant Hannibal. 🙂
Série précieuse.
Belle critique. Je suis pour ma part, enchanté par Hannibal, le meilleure surprise de l’année en nouvelle série et les 2 acteurs principaux crévent l’écran
Serie splendide, mise en scène de la mort frappante dès la première victime mise en scène dans l’épisode 1 (ha, les bois de cerfs…). Concernant la musique, il faut quand même attendre l’épisode 7 pour qu’elle joue réellement un rôle et donne une profondeur à l’histoire. J’ai un peu regretté qu’on attende aussi longtemps pour voir le côté esthète d’Hannibal autre que dans la nourriture. Pareil pour l’intrigue du « Chesapeake Ripper » qui tombe un peu d’on ne sait où….
J’aurai peut être écrit « histoire d’amour » plutôt qu’histoire d’amitié, vu les liens forts qui unissent les deux hommes (Bryan Fuller parle de « Bromance » dans un entretien). Le magnétisme de Mads Mikkelsen est tel que même dégouté par les actes de cannibalisme, on reste fasciné par le personnage. Tous les personnages sont vraiment crédibles, une bonne surprise de voir Will Graham en personnage à personnalité autistique. Quant au Dr Chilton, même s’il reste un peu caricatural, c’est surtout le personnage que tout le monde aime détesté (que ce soit dans la série, les films ou les livres) donc il est bien à sa place!
Bref, je vais m’arrêter là avant de parler des rêves, ou de la symbolique dans les meurtres sinon je suis partie pour des heures. Une série magnifique et haletante, sans réels épisodes « tampon », une histoire qui se suit de bout en bout et ou chaque plan, chaque dialogue sert.
A ne pas rater.
(mais parmi les mystères scènaristiques, quelqu’un sait comment la bouteille de rosé que Du Maurier offre à Hannibal pendant sa psychothérapie, donc chez elle, se retrouve dans le bureau d’Hannibal, prête à être offert à Will?) (oui, je sais, je pinaille les enfants)
Enfin un lieu ou je vais pouvoir livrer mon désappointement concernant la fin de la saison un
SPOIL__________________________SPOIL ———————————————————
Et le début de la saison 2 ( si vous n’avez pas fini de regarder la saison un passez votre chemin )
Les derniers épisodes de la saison m’ont donné envie de hurler tellement il m’est apparu incohérent , injustifiable la façon dont Lecter piège Will.
Parceque tout au long de cette saison nous assistons aux enquêtes d’un groupe de psys , agents du F.I.B , experts , etc , tous plus qualifiés les uns que les autres , investigateurs hors pair dont le travail est de décrypter des faits , interpréter des données et faire cracher la vérité aux évidences , bref on est d’accord la bande à Crawford n’est pas du genre à se laisser manipuler par des déclarations arbitraires et des pistes toutes tracées. pourtant c’est bien ce qui se passe , ces personnes si brillantes à flairer l’arnaque ce font , toutes , duper par lecter sans sourciller , sans douter, sans analyser , puis quand çà devient trop incohérent on nous sort l’oreille providentielle …
J’ai lu partout « les relations complexes entre le docteur Lecter et Will Graham … » c’est plutôt les relations inexplicables !
Pour ma part elle est là la fausse note de la série , pourquoi, diable, ces deux hommes se fréquentent-ils ?
Cela dit çà ne m’empêche pas d’adorer cette série et de la suivre goulument .
j’ adore la fin de la critique : … »une série a apprécier devant un bon repas » ! mouais ! fallait oser … lol ! se si dit Hannibal est une des meilleurs series a ce jour mais sacrément tordue …
on dit que qui aime bien châtie bien …
alors j’ai une autre objection mesieurs dammes ! arrivée épisode 8 saison 2 j’assiste à une autre incohérence : hannibal , ce tueur glacé ce monstre cannibale qui conjugue à la fois l’ impulsivité et la préméditation , l’instinct et la
bref Hannibal peut-il décemment avoir une aventure sur le mode judéo chrétien ? peut-il aimer une femme comme le ferait un homme ( type caucasien moderne ,socialement accomplis ) « normal » peut-il à ce stade ,passer la nuit avec une femme , sans que rien ne transpire de ses penchants diaboliques ? peut-il se conduire en gentleman séducteur façon harrison ford ou james bond et garder sa crédibilité?!