#Hommage à Jack Ketchum, le dérangeur

#Hommage à Jack Ketchum, le dérangeur

Deux jours après l’écrivaine américaine Ursula K. Le Guin et le même jour que Mark E. Smith, l’âme du groupe britannique The Fall (autre grand dérangeur), le romancier Dallas Mayr, aka Jack Ketchum, auteur notamment de Morte saison, vient de mourir à 71 ans d’un cancer. Ses romans ne laissent pas intact. Éloge d’Une fille comme les autres, un livre définitivement pas comme les autres.

Jack Ketchum

Jack Ketchum. Un pseudonyme aux sonorités presque aussi improbables que le vrai nom de l’auteur, Dallas Mayr. Déjà un programme, celui de quelqu’un qui n’est pas là pour brosser le lecteur dans le sens du poil. Quelqu’un pour qui des expressions aussi galvaudées que « sans concession » retrouveraient un peu de sens. Juste assez pour (re)trouver une certaine vérité. Allez savoir.

Sa mort le 24 janvier 2018, « des suites d’une longue maladie » (soyons précis, le mot « cancer » est honnêtement lâché), est brutale. Mais c’est bien dans sa façon. Il tranche dans le vif. Pourra-t-on s’empêcher de citer Stephen King, qui a probablement livré sa pensée sur tout ce que cette vieille Terre compte d’écrivains de genre ? Non. Au Roi de l’horreur, on demanda un jour : « Qui est le type le plus effrayant des États-Unis ? » Et King de répondre : « Probablement Jack Ketchum. » Et d’ajouter : « Aucun écrivain qui l’a lu n’a pu éviter d’être influencé par lui. Et aucun lecteur qui tombe sur son œuvre ne l’oubliera facilement. »

Ouvrir un roman de Jack Ketchum, là, enfin, c’est prendre un risque, un vrai. Pas tous, attention. Fils unique, par exemple, n’a pas un intérêt fou-fou. En revanche, poser les yeux sur Une fille comme les autres, c’est entrer direct dans l’un des cercles infernaux. Celui où l’on torture les jeunes filles dans la cave de la maison d’à côté. Celui où des garçons sans histoire plongent dans une spirale descendante, se transforment en bêtes, lentement, avec mesure, dans un « long, immense et raisonné dérèglement » de la conscience, pour paraphraser Rimbaud. Où le lecteur lui-même se sent sale, voyeur, pose le livre par dégoût de soi mais le reprend parce qu’il est impossible de ne pas aller au bout du chemin.

Et au bout du chemin, il n’y a que l’Enfer toujours, la violence quotidienne est presque normale, le regret face à la mort, le « comment en est-on arrivé là ? » pour ne pas se poser les vraies questions. Les questions sur soi, celles qui font mal mais qui peuvent mener à mieux. « Jack Ketchum ne triche jamais, il n’esquive jamais », écrit encore Stephen King. C’est l’une de ses (nombreuses) qualités.

Les noms de Jack Ketchum : le nom

L’homme a eu plusieurs vies. Dallas Mayr a été notamment secrétaire d’Henry Miller (Tropique du cancer) et proche de Robert Bloch (Psycho). Jack Ketchum a publié une vingtaine de romans, dont certains ont été adaptés au cinéma. Son premier roman, Morte Saison (Off Season), ressemble étrangement au film La colline a des yeux de Wes Craven, sorti trois ans plus tôt – les deux œuvres, il est vrai, se basent partiellement sur le même fait divers. Le livre de Ketchum, qui décrivait la violence (et notamment le cannibalisme) de façon extrêmement directe (même dans cette première version déjà quelque peu « nettoyée » par Ballantine Books), a créé la polémique à sa sortie en 1980, au point que son éditeur le lâche complètement. Il faudra attendre presque deux décennies et la réédition par Cemetery Dance Publications pour en lire la version intégrale.

Jerzy Livingston, enfin, autre pseudo de Mayr, a écrit beaucoup d’articles et de fictions courtes à partir de la fin des années 1970. L’un de ses personnages, Sprout, est l’inverse parfait de Proust : un loser alcoolique et misogyne, là où le Français est « probablement l’écrivain le plus sensible de tous les temps », dixit l’Américain.

Lauréat de quatre Bram Stoker Awards et du prestigieux World Horror Convention Grand Master Award (vous pouvez respirer) en 2011, Jack Ketchum est bien plus que cela. Plus proche, en tout cas, de Thomas « Black Jack » Ketchum, cowboy du 19e siècle devenu criminel, exécuté en 1901 pour une attaque de train. On trouve une autre source possible pour son nom de plume : John « Jack » Ketch, bourreau employé par le roi anglais Charles II au 17e siècle, célèbre pour sa façon « barbare » d’exécuter les condamnés. Depuis lors, l’expression « Jack Ketch » est utilisée pour désigner la mort, Satan et les bourreaux.

Les deux possibilités sont séduisantes. RIP, Mister Death.

Plusieurs romans de Jack Ketchum ont été édités en français chez Bragelonne, dont Une fille comme les autres.

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