
#Hommage Chuck Berry (1926 – 2017)
Le rock’n roll n’est pas mort, qu’on se le dise. On aura beau essayer de l’enterrer à coups de nouvelles musiques, tenter de le ringardiser en l’affublant des étiquettes classique ou rétro, rien n’y fera. Pourquoi ? Parce que d’ici un siècle, si notre planète tourne encore, il y aura toujours quelque part un gamin qui deviendra maboul à la première écoute de l’intro d’un truc appellé Johnny B. Goode… Et ça, on le doit à Chuck Berry.
C’est l’histoire d’un mec…
Charles « Chuck » Edward Anderson Berry est né en 1926 dans le Missouri. Au contraire de la petite bande des studios Sun de Memphis (Elvis Presley, Jerry Lee Lewis, Carl Perkins, Johnny Cash), sa première ambition n’a jamais été de faire carrière dans la musique. Quand les musiciens précédemment cités commencèrent à mélanger blues et country afin de créer ce qui n’était pas encore du rock’n roll, influencés par l’air du temps qui soufflait sur leur génération, Chuck Berry était déjà trentenaire et avait pratiqué toutes sortes de métiers (de petit voleur à garçon coiffeur).
Guitariste pas particulièrement surdoué, il jouait pour le plaisir le soir dans des clubs locaux avant d’être repéré par un certain Muddy Waters, fer de lance de l’écurie Chess Records et grand manitou du blues électrique. Pour l’anecdote, c’est en hommage à l’un de ses titres que les Rolling Stones trouvèrent leur nom en catastrophe… Mais ne brûlons pas les étapes.
Avec le prestigieux parrainage du vétéran du blues, Chuck Berry enregistre son premier titre en juillet 1955 dans le même studio qui verra naître deux jours plus tard le légendaire Mannish Boy du même Muddy Waters. La chanson s’appelle Maybellene et marquera le début d’une petite révolution.
Guitar Hero
Qu’a donc apporté en plus Chuck Berry pour être aujourd’hui considéré comme le père fondateur du rock’n roll ? Facile. Il est tout simplement le premier guitar hero de l’histoire. Jusque-là, la guitare n’était utilisée que comme un instrument d’accompagnement, les quelques soli pratiqués sur des morceaux blues ne servaient qu’à habiller la chanson, centrée sur les parties vocales de l’artiste. L’art du solo appartenait aux musiciens de jazz instrumental, point final.
Lorsque Chuck Berry lâche son Roll Over Beethoven en mai 1956, rien ne sera plus pareil. La guitare devient une arme, c’est elle qui ouvre les hostilités sans aucun accompagnement, elle est la trame du morceau en faisant presque oublier les paroles. Et puis il y a l’invention du double stop, une technique consistant à jouer une note sur deux cordes, transformant de facto un solo en une rythmique implacable.
Cette technique initiée avec Roll Over Beethoven deviendra la marque de fabrique de Chuck Berry et trouvera sa quintessence sur Johnny B. Goode en mars 1958, morceau presque autobiographique où Berry théorise même la chose lorsqu’il chante que le petit Johnny pouvait « jouer de la guitare comme on sonne une cloche ».
Enfants du Rock
Dresser la liste des filles et fils spirituels plus ou moins illégitimes de Chuck Berry serait non seulement fastidieux mais également superflu tant à peu près tous les musiciens qui commencèrent leur carrière à partir des années soixante pourraient figurer sur cette liste. On se contentera donc de citer les deux principaux, les Beatles qui ouvraient leurs premiers concerts avec Rock and Roll Music et enregistrèrent probablement la meilleure reprise de Roll Over Beethoven (1963), et les Rolling Stones dont le tout premier single n’était autre que Come On (1963), une reprise d’un titre de Berry paru en 1961.
Et à propos des Stones, il est à noter que Keith Richards, en adorateur absolu du maître, organisa pour le soixantième anniversaire de Chuck Berry un concert anthologique regroupant autour de lui Eric Clapton, Robert Cray, Etta James et Julian Lennon entre autres, concert documenté sous la forme du film Hail ! Hail ! Rock’n’Roll ! (1987). Et qu’importe si le père Chuck demanda à être payé pour jouer lors de la fête donnée en son honneur…
Citons également l’héritier majeur de Chuck Berry en termes de rock’n roll attitude, Angus Young d’AC/DC, dépositaire officiel du fameux duck walk qui consiste à arpenter la scène guitare en main en sautillant sur une jambe, technique unique en son genre qui valut à Berry le surnom de crazy legs !

Vos enfants vont adorer ça…
Mais les enfants de Chuck Berry se comptent aussi parmi d’autres acteurs de la pop culture, à commencer par Robert Zemeckis qui n’hésita pas à attribuer la paternité de Johnny B. Goode à Marty McFly lors d’une scène devenue culte de Retour vers le futur… Paradoxe temporel s’il en est puisque l’événement censé se dérouler en 1955 ne donnera effectivement naissance à la chanson qu’en 1958, deux ans après la sortie de Roll Over Beethoven qui reprend l’intro jouée par Marty note pour note.
Et que dire de Quentin Tarantino et de la scène de twist torride entre John Travolta et Uma Thurman dans Pulp Fiction sur l’air de You Never Can Tell ? Est-ce l’amour de la langue française qui poussa l’ami Quentin à choisir ce titre obscur de la discographie de Chuck Berry qui raconte la vie simple de deux jeunes mariés de Louisiane ? Toujours est-il que la chanson est désormais l’un de ses titres les plus populaires.
L’album
Parce que les plateformes de streaming et de téléchargement légal fourmillent de compilations diverses aux qualités variées, le choix d’un album à se mettre entre les oreilles peut paraître hasardeux. Mauvais encodages, choix des titres incomplet, il serait facile d’écouter un disque au hasard et d’en sortir déçu. Heureusement qu’on est là !
Si vous ne devez écouter qu’un seul album de Chuck Berry, votre serviteur vous recommande chaudement le Chuck Berry’s Golden Hits, son premier album paru chez Mercury en mars 1967. Nous sommes au cœur des swinging sixties, la nouvelle vague venue d’Angleterre a tout balayé sur son passage et les décideurs du label Mercury veulent faire fructifier leur nouvelle acquisition en lui demandant de réenregistrer ses plus grands hits avec un son plus moderne et en stéréo.
Chuck Berry les prend au mot et accouche d’une quinzaine de titres en six jours d’enregistrement, avec une moyenne de trois prises par chanson. Le tempo est volontairement accéléré par rapport aux originaux, on sent la jubilation de l’artiste dans sa manière de réinterpréter ses propres titres devenus alors des standards, et une certaine envie de prouver à ces petits jeunes qui lui doivent tant qu’il est loin de n’être qu’une figure du passé.
Du rock’n roll pur et sans artifices, une sélection de titres parfaite incluant les méconnus et pourtant indispensables Brown Eyed Handsome Man, Thirty Days, Reelin’ and Rockin’ ou encore Around and Around, s’il n’en reste qu’un, ce sera celui-là comme dirait Eddy Mitchell.
Monsieur Eddy, en grand amoureux de Chuck Berry, aura aussi dit pas mal d’autres choses sur son idole, dans ses compositions originales (L’Épopée du rock, Happy Birthday Rock’N Roll) comme dans ses (nombreuses) adaptations françaises telles que Eddy soit bon, Repose Beethoven ou encore À crédit et en stéréo. Laissons-lui donc le mot de la fin et chantons avec lui Bye Bye Johnny, goodbye Johnny B Goode…