
How to Get Away with Murder 3×01 : Ellispe Estivale
La deuxième saison a joué aux montagnes russes, How to Get Away with Murder (HTGAWM) ne relâche pas la pression mais joue avec l’ellipse estivale pour mieux nous manipuler. Pour l’occasion et avant que débute ce season premiere, nous avons invité Renan Cros, enseignant en histoire du cinéma et de la série et critique à CinemaTeaser, à discuter de la série.

© ABC/Mitch Haaseth
Le season finale nous avait laissés dans un état perplexe. Habitué d’une conduite expéditive et d’un dynamisme euphorique, Peter Nowalk nous prenait à contre-pied, privilégiant une observation passive. L’effet n’était pas totalement nouveau. Depuis sa coupure hivernale, la série laissait mariner ses personnages dans des états semi-dépressifs, incapables de bouger de leur torpeur, plongés dans des abîmes personnels. Il aurait été facile de penser que livrer des morceaux du passé d’Annalise devenait un autre jeu temporel, cherchant un nouveau point de combustion. Ces révélations ont nourri ce présent fatigué à force d’épreuves. La fin de saison devenait un trou noir. Tout est aspiré et on ne sait pas trop d’où la lumière pourrait venir. Pour Renan Cros (enseignant en histoire du cinéma et de la série, critique à CinemaTeaser) : « Nowalk choisit quelque chose de plus calme, de plus introspectif. Ça révèle d’autant plus le cœur de la série. Je crois que How to Get Away with Murder a réussi haut la main sa saison 2 et son final ne fait que révéler ce que l’on soupçonnait déjà. Nowalk est en train de faire dévier les schémas narratifs un peu balisés du Shondaland (voir notamment le pilote de The Catch) vers une forme beaucoup plus complexe, plus abstraite aussi qui pousse la série vers une forme de conte moral. La série postule une idée très simple : on est ce que l’on fait. Les personnages ne sont donc plus vus du point de vue de la morale (totalement dévoyé ici) mais bien des causes et des conséquences de leurs actes sur eux-mêmes ou leurs proches. »
La culpabilité a toujours été l’un des moteurs principaux de la série et se trouve au cœur de la deuxième saison, s’incarnant aussi bien chez les étudiants (avec Asher en plus) qu’Annalise, Bonnie ou Frank. Le jeu des différentes lignes temporelles (passé, présent et anticipation) va révéler cette notion et lier tous les niveaux entre eux. Renan Cros parle d’un « principe centrifuge. On rassemble les pièces d’un puzzle qui auraient éclaté dans le récit les causes et les conséquences. Petit à petit, on cherche à avoir une vision globale des liens entre les personnages. Mais la série refuse la linéarité un peu classique du “Comment en sont-ils arrivés là ?”. Il y a quelque chose de quasi-épidémique dans la série : la quête de vérité appelle à une transmission de la culpabilité. Plus on en apprend sur les personnages, plus la noirceur se répand sur eux. Personne n’est épargné. La série fonctionne comme une tache d’huile, une mare de sang, qui contamine tout. On est vraiment dans une structure quasi à la Damon Lindelof où l’abstraction des idées (la culpabilité) trouve une forme très concrète dans la mise en scène (ici le récit en réseaux). J’ai beaucoup pensé à Lost devant cette saison 2. La série comme examen de conscience. »

© ABC/Mitch Haaseth
Pour lancer sa troisième saison, HTGAWM décide de mettre en scène l’attente. La série s’est toujours amusée à nous bousculer entre les périodes dans un chaos organisé. Dans ce premier épisode, elle va jouer sur l’ellipse estivale comme si la série avait continué à avancer sans nous. De façon morcelée (et intéressée), Nowalk nous dévoile de brefs moments introductifs sur ce qu’ont vécu les personnages. Exploitation d’un passé proche qui déconstruit légèrement le présent afin de mieux nous perdre, tout en anticipant le futur dans son célèbre jeu de teasing. Encore une fois, si l’ensemble peut sembler confus dans l’agencement, il est extrêmement malin, chaque flash-back illustrant le présent ou modifiant sa perception. L’enchaînement de deux scènes peut aussi procurer de fausses conclusions (le début et la fin de l’épisode). La série manipule encore la notion de point de vue dans un univers de faux-semblants.
À chaque nouvel épisode, à chaque nouvelle saison, nous nous posons la même question : combien de temps la série va-t-elle pouvoir tenir ? Jusqu’où pourra-t-elle pratiquer cette autocombustion qui l’anime ? Nowalk aime brouiller les pistes jusque dans l’organisation de ses saisons. HTGAWM développe une structure libre. Elle resserre son nombre d’épisodes à quinze, s’impose un faux season finale avant la pause de Noël, enchaîne les première et deuxième saison sans temps mort. Un façon bien particulière de jouer avec la numérotation pour contrer les attentes du public. Un sentiment que développe Renan Cros : « J’ai l’impression finalement que la saison 1 s’arrête à la moitié de la saison 2. Quand tout à coup le dispositif prospectif (flashforward) est remplacé par des flash-backs du passé (le passé d’Annalise, lié intrinsèquement au présent), la série touche enfin à son vrai sujet. La folie furieuse de l’épisode de break de saison 2 est une sorte d’apothéose, de feux d’artifices. Puis, il laisse place ensuite à une structure certes plus lente mais qui plonge plus cruellement dans les démons de chacun. ».
Le season premiere offre un vrai départ, nourrie aussi bien par l’attente créée contractuellement entre les saisons que l’ellipse mise en place. La série possède de nombreux visages, joue avec les rythmes et finalement, d’objet théorique fulgurant, elle déplace le curseur vers une œuvre d’auteur, un geste fort. « On a beaucoup reproché à la série son manque de profondeur, notamment en ce qui concerne les personnages, très caricaturaux. J’ai l’impression que cette caricature était volontaire parce qu’elle permet maintenant de creuser derrière et d’utiliser la culpabilité comme un révélateur. Le cliffhanger final est très malin : le désir de meurtre de Wes est sublimé par quelqu’un d’autre. C’est très Hitchcockien : le désir, c’est être déjà coupable. » Ce désir, c’est aussi celui du spectateur, coupable de jouer le jeu de cette belle et noire machination.

© ABC/Mitch Haaseth
L’épisode s’intitule We’re Good People Now, ironie de l’autopersuasion. On y voit une volonté de nouveau départ en forme d’état des lieux et une façon de faire table rase du passé. La série nous a toujours montré que rien n’était plus difficile. La fin de l’épisode joue sur les deux tableaux : exploitation d’un nouvel événement et destruction symbolique du passé fondateur de la série. La saison s’annonce vicieuse et dramatique.