
How to Get Away with Murder, l’art de se réécrire
Dans la vie d’une série, la question du renouvellement des personnages, comme celle de l’intrigue, se pose. How to Get Away with Murder semble avoir plusieurs existences au compteur, malgré son année et demie d’âge. La série s’est imposée une cadence effrénée depuis ses débuts, qu’elle ne cherche pas à ralentir dans sa seconde saison, bien au contraire. Et notre interrogation ne porte plus sur combien de temps elle va tenir mais comment.
Nous l’affirmions en attendant la seconde saison de How to Get Away with Murder (Murder, pour les intimes), Shonda Rhimes aime travestir ses séries, leur donner l’apparence d’un genre particulier pour mieux exploiter le soap. Cette monomanie n’est absolument pas réductrice. La productrice y trouve l’énergie pour des séries bigger than life, sans pour autant sacrifier fond ou réflexion dans des thématiques multiples. De l’éthique médicale à celle judiciaire, la morale se (re)trouve souvent dans les séries made in Shondaland. Qu’il s’agisse de tics d’écriture ou de redondance dans les thèmes, les genres, la dame entretient l’attitude d’auteur à part entière. Et dans sa façon à user du soap, elle rappelle un George A. Romero et ses zombies, prétexte à délivrer message politico-social à l’intérieur du genre horrifique aux styles différents. Le soap comme le zombie n’aime rien mieux que de dévorer des corps, les broyer dans un élan anthropophage.
Seulement, l’idée du cannibalisme s’accorde mal avec la narration fleuve d’une série. On l’imagine mieux dans un cadre fulgurant, plus à l’aise dans le confort rassurant d’un récit bouclé en une heure trente. Cette crainte accompagne la série depuis ses débuts. Celle qui a choisi le sprint à la course de fond doit composer avec une narration exponentielle et rutilante. La trajectoire, à l’aube de la seconde saison, n’a pas dévié, ni ralenti. Elle opère le geste similaire à l’année passée : un rythme pressant, fugitif par sa façon de se défiler face aux problèmes soulevés pour choisir des chemins de traverse, des détours, qui semblent prendre parfois des allures d’impasse mais dont la série sort victorieuse.
Pour comprendre ces tours de prestidigitation, il faut observer Annalise au travail, face au juge, aux jurés, quand elle défend ses clients. Son arme principale : réécrire l’histoire.
Murder ne cesse de réécrire son histoire. C’est son jeu narratif : le flash-forward complété avec parcimonie qui en modifie la perception comme la compréhension ; ce sont les volte-face des personnages, les mensonges, les vérités qui se renouvellent. La série n’est jamais ce qu’elle semble être mais elle ne ment jamais. Pour cette raison, le jeu de faux-semblants permanents n’est pas un piège et le spectateur aime ainsi se faire berner. Finalement, le but de la série est d’instaurer un doute raisonnable continu. De ne livrer ses clés que lorsqu’elle est acculée.
Murder ne cherche jamais à nous bercer de fausses illusions. Elle opère comme un navire dans une tempête, avec violence. Le coup de théâtre est un assommoir. Nous nous inquiétions de sa permanence et de sa persistance. Si elle continue ainsi, usant de réécriture, on pourra mesurer son âge comme un arbre, par le nombre de ses cernes où chaque couche exprime ainsi son renouvellement. Et comme pour certains animaux, trouver le multiplicateur pour définir son âge réel, parce que How to Get Away with Murder semble déjà avoir vécu plusieurs existences.