Le Feu Brûle Encore (critique du 2×01 de How to Get Away with Murder)

Le Feu Brûle Encore (critique du 2×01 de How to Get Away with Murder)

Note de l'auteur

La nouvelle série du Shondaland fut, dans sa première saison, une formidable machine qui ne broyait pas les codes du soap mais les engloutissait par sa vitesse d’exécution et son rythme fulgurant. How to Get Away with Murder revient avec les mêmes intentions dans un season premiere tout simplement fou.

It’s time to move on. Le titre du second season premiere n’a pas été choisi au hasard. Après une première saison intense et épuisante (dans le bon sens du terme), la série a prouvé qu’elle ne laissait guère de place à l’immobilité. Le mystère de la saison résolue (qui a tué Lyla ?), elle se concluait par un nouveau meurtre, celui de Rebecca, et un nouveau point d’interrogation. Seulement Pete Nowalk n’allait certainement pas choisir la facilité pour son ouverture. Et c’est ainsi que nous autres spectateurs, nous encaissons violemment un épisode qui ne confond pas vitesse et précipitation, pour nous asséner révélations, coups de théâtre et séquences chocs en un peu plus de quarante deux minutes.

© ABC/Mitchell Haaseth

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Avancer, oui. Mais pour aller où ? La première saison brûlait d’un feu incandescent, à deux doigts de laisser une terre calcinée. Des cendres encore tièdes, How to Get Away with Murder (Murder, pour faire court) entend renaître en seconde pour proposer (certainement) un nouveau brasier ardent.

Avancer en y injectant ce qu’il faut de nouveaux personnages, notamment une Famke Janssen, incandescente, pour combler le vide laissé par les morts successives.

Avancer mais choisir une destination surprenante. La série se dirige là où on ne l’attend pas, en révélant le meurtrier de Rebecca de façon abrupte (et génial) pour mieux organiser un nouveau mystère qui risque de nous provoquer quelques suées d’impatience.

La surprise suppose une anticipation cognitive prise en défaut, une dissonance entre ce que nous savons et ce que nous montre un état de fait ou la représentation d’un état de fait. Comme la curiosité, c’est une émotion cognitive, liée au savoir ou à l’information dont on dispose.

(Vincent Colonna L’Art des séries télé, Editions Payot)

© ABC/Mitchell Haaseth

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Selon Paul Ekman (psychologue américain qui a travaillé sur les émotions et leurs relations aux expressions faciales¹), la surprise fait partie des six émotions universelles. Pour Vincent Colonna, la surprise associée à la curiosité sont des émotions importantes dans la réception d’une série, en citant Aristote (Poétique) « Préférer l’impossible vraisemblable au possible non persuasif ». Murder est un générateur d’écarquillement oculaire. Shonda Rhimes et Pete Nowalk, les gourous du rythme cardiaque qui s’accélère et du souffle coupé, dans une configuration où le trop n’est jamais l’ennemi du bien. Aucun répit n’est accordé aux spectateurs. A l’échelle de notre réalité, c’est trop ; dans l’univers de la série, cette hyperbole fictionnelle est source de pur plaisir. Ce season premiere nous apprend qui est le meurtrier de Rebecca, un morceau du passé sentimental d’Annalise et un flash d’un futur proche où cette dernière vient de se faire tirer dessus. Trois éléments qui décomposent et recomposent une ligne temporelle.

Dans une interview donnée au Hollywood Reporter, Pete Nowalk avoue aimer jouer avec le temps, comme un apprenti DJ qui remixerait la temporalité de la narration. Parfois de façon maladroite (la boucle répétitive du flash-forward en première saison), d’autres, beaucoup plus habile et virtuose. La série atteint un haut degré de manipulation (du temps, des personnages entre eux et du récit). Elle joue avec des ellipses qu’elle s’empresse de combler avec précision pour mieux (ré)orienter le récit. Ce traitement d’un temps élastique apporte différents éclairages sur une même scène ou personnage. En bon élève d’Hitchcock (notamment sur la gestion du suspense et la corruption des personnages) et de De Palma (pour la valeur du point de vue), Murder entretient son mystère à coup de révélations.

© ABC/Mitchell Haaseth

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Plus nous croyons savoir, moins nous savons. La position s’applique aussi bien aux spectateurs qu’aux personnages quand il s’agit de se mesurer à Annalise. Formidable objet de fiction, elle brille par son caractère insaisissable, insondable où (selon Nowalk dans The Hollywood Reporter) nous ne savons jamais si la vraie Annalise se dresse devant nous ou si elle nous manipule pour obtenir ce que nous croyons vouloir. La révélation de sa romance avec Eve (Famke Janssen) nous prend par surprise alors que nous ne savons pas grand-chose du personnage finalement. Il faut peut-être revenir en première saison quand Annalise enlève sa perruque et se démaquille pour observer un morceau de sa vraie personne, sans manipulation, sans camouflage (et une séquence qui a probablement fait gagner l’Emmy à l’actrice). Dans Entertainment Weekly #1380 (Sept. 11 2015), Viola Davis avouait que dans sa carrière, dans aucun rôle, elle n’avait pu être sexualisée. Son physique ne répond pas aux codes du cinéma comme de la télévision. Shonda Rhimes et Pete Nowalk lui offrent la chance de jouer de son érotisme pour la première fois mais en brouillant le signal afin de conserver le mystère.

Pour le showrunner, Murder possède un côté mafieux avec Annalise en parrain. Organisation pyramidale, exercice du pouvoir, fascination pour une figure tutélaire, le champ lexical s’applique très bien à la série. Rhimes aime mélanger les genres, Murder ne plie jamais sous les influences, elle s’en nourrit parce qu’elle carbure à l’énergie du soap. Sa puissance d’absorption est quasi sans équivalent. Alors que nous craignions une autocombustion possible, il semblerait que la série s’autoalimente, en ne se refusant aucun excès. C’est presque miraculeux.

¹ source wikipedia

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